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Tim Bernardes, l'artiste qui réussit la synthèse du meilleur de la chanson brésilienne et de l’approche indie folk réalisée maison, Paris, France, 2023 - The Good Life
Tim Bernardes, l'artiste qui réussit la synthèse du meilleur de la chanson brésilienne et de l’approche indie folk réalisée maison, Paris, France, 2023 - The Good Life
Marine Mimouni

Horlogerie

Tim Bernardes, la relève des tropicalistes

Horlogerie

Ce qui ne devait être qu’un projet distrayant pour le leader d’O Torno, trio rock de São Paulo, s’est transformé en carrière solo à succès grâce à l’album Mil Coisas Invisíveis, qui l’a révélé de ce côté de l’Atlantique. Tim Bernardes y réussit la synthèse du meilleur de la chanson brésilienne et de l’approche indie folk réalisée maison.

En 2017, le chanteur prend son envol en solo avec un album dont le nom annonçait la couleur : Recomeçar.
En 2017, le chanteur prend son envol en solo avec un album dont le nom annonçait la couleur : Recomeçar. DR

Les clichés ont la peau dure et le Brésil n’y échappe pas. Depuis São Paulo, un trentenaire irréductible, Tim Bernardes, leur résiste encore et toujours. Son secret ? S’être réconcilié avec l’héritage musical national contre lequel il s’était élevé dans sa période rock, pour le moderniser en le mariant à l’écriture indie pop à l’américaine du moment.

Tim Bernardes, une prouesse artistique

À l’aube d’une carrière prometteuse, son superbe second album paru durant l’été 2022, Mil Coisas Invisíveis (mille choses invisibles), prouve qu’il est dans le vrai, son respect des traditions épousant à merveille la mondialisation des échanges musicaux.



En 2017, le chanteur prend son envol en solo avec un album dont le nom annonçait la couleur : Recomeçar, soit « recommencer ». Loin d’être un débutant, Tim Bernardes officie depuis ses 20 printemps comme chanteur et guitariste du groupe O Terno.

Ⓒ Raphael Nogueira / Unsplash.
Ⓒ Raphael Nogueira / Unsplash.

Influencé par les pionniers d’Os Mutantes, ce trio de rock psychédélique a gagné en popularité au pays avec son troisième album Melhor Do Que Parece, paru l’année précédente. L’oeuvre agit comme un révélateur pour le musicien. « C’est là que j’ai entamé mes essais d’arrangements de cordes et de cuivres, en commençant à trouver un format à la fois indie et tropicaliste pour le groupe. »

Parallèlement, son écriture penche vers des sujets plus personnels. « Je ne voyais pas ces chansons de plus en plus intimes sur nos disques. Je les mettais de côté en me disant que si un jour je voulais les sortir, ce serait en solo. Ou je ne les sortirais jamais. »

L’œuvre semble être le fruit d’échanges intercontinentaux entre l’amérique du sud et le courant folk rock anglo-saxon

Fort heureusement, elles verront le jour et constitueront l’épine dorsale de Recomeçar. « Le sens du titre est encore plus fort que “recommencer”. Il signifie plutôt un nouveau début, mais avec les vérités acquises durant les années en groupe ».

Seul, Tim Bernardes ose se livrer, afficher ses doutes ou parler d’amour en touchant souvent à la mélancolie.
Seul, Tim Bernardes ose se livrer, afficher ses doutes ou parler d’amour en touchant souvent à la mélancolie. DR

Premier surpris de son bon accueil au Brésil, Tim Bernardes réalise que ce qu’il envisageait comme un essai solo prend autant d’importance qu’O Terno, les deux lui offrant des modes d’expression complémentaires.



Seul, il ose se livrer, afficher ses doutes ou parler d’amour en touchant souvent à la mélancolie. Quant à sa gourmandise instrumentale, il en fait profiter le trio, dont l’album Atrás/Além enrobe les préoccupations de ces adultes en devenir, dans des arrangements toujours plus soignés. Paru en 2019 au Brésil, il ouvre le succès d’O Terno à un large public.

Dans un grand mouvement de balancier, sa conception donne à Tim Bernardes de nouvelles idées pour sa carrière en solo. Tandis qu’il alterne concerts seul et avec le groupe, la pandémie de Covid‑19 vient brutalement interrompre leurs tournées. La gestion de la crise par le gouvernement plonge le pays dans une profonde inquiétude.

Ⓒ Marianna Smiley / Unsplash.
Ⓒ Marianna Smiley / Unsplash.

« Nous étions très isolés, la situation était très grave. En 2020, je suis donc beaucoup resté à la maison. Ce fut une période contemplative, émotionnellement intense, car il n’y avait rien d’autre à faire que de regarder les news, et, au Brésil, elles étaient terribles. Ça a forcément influencé mon être. Il m’arrivait de penser à ce que je ferais si je devais mourir un mois plus tard. »



Incapable d’écrire, Tim Bernardes se remet doucement au travail en composant des mélodies. Puis reviennent des textes, et les constructions qui finissent par former Mil Coisas Invisíveis.

« Les chansons observent la réalité d’une façon différente, car je ne pensais plus trop comme avant. J’étais presque émerveillé par certaines choses que je ne voyais plus ; cet album a fini par devenir plus métaphysique. »

Des textes venus du coeur

Emerveillés, nous l’avons été aussi à la découverte de cet étonnant paradoxe. Née d’une période inédite de confinement, cette oeuvre semble pourtant être le fruit d’échanges intercontinentaux entre l’Amérique du Sud et le courant folk rock alternatif anglo-saxon.

Ⓒ Mateus Campos Felipe / Unsplash.
Ⓒ Mateus Campos Felipe / Unsplash.

Un mariage qui sonne comme une évidence pour celui qu’on a vu invité sur scène par le groupe américain indie pop, folk rock Fleet Foxes, de Seattle.

Un tropicalisme 2.0 ?

Par sa façon de s’inscrire dans une filiation de chanson intimiste aux arrangements lumineux, Tim Bernardes renoue avec l’un des courants fondamentaux de la musique populaire brésilienne : le tropicalisme. Derrière ce nom se cache une révolution culturelle et sociétale face à la dictature au pouvoir dans les années 60. L’explosion flower‑power aux États‑Unis, couplée au boom pop rock anglo‑saxon, inspire une nouvelle génération d’artistes activistes pour une musique à l’essence brésilienne, mais gorgée des idéaux et des idées des chevelus occidentaux contestataires. Ainsi émerge le mouvement tropicaliste (tropicalia pour les Brésiliens), avec Caetano Veloso, Gilberto Gil, Chico Buarque, Tom Zé, le groupe Os Mutantes ou Gal Costa – avec qui Tim Bernardes a enregistré un duo en 2021 –, comme figures majeures, vite confrontées à la répression, à l’exil et à une censure qui durera jusqu’à la fin de la dictature, au milieu des années 80. Entre‑temps, une esthétique était née, qui a trouvé un parfait écho dans les chansons de Tim Bernardes et dans ce Brésil qui vient de tourner la page Bolsonaro. 

« Je me considère comme un élément de la scène indépendante internationale tout en portant cet héritage des artistes brésiliens des années 50 et 60 avec lesquels j’ai grandi. D’autant qu’au fil du temps je les comprends mieux. S’ils me touchent toujours, c’est qu’ils restent modernes. Mon style correspond à ce mélange inattendu de leur esthétique et de mon écriture, faite de textes sincères venus du coeur. »

Ⓒ Canva.
Ⓒ Canva.

Dès sa naissance, en juin 1991, Tim Bernardes débarquait en terrain sonore favorable, car fils du musicien Maurício Pereira, chanteur et saxophoniste du groupe Os Mulheres Negras. «Quand on me disait, à l’école, d’écouter tel bon disque, je le connaissais en réalité depuis mes 10 ans, car mon père l’écoutait. J’ai donc compris combien de bonnes musiques il m’avait fait découvrir, du Brésil et du monde entier. »

Mauricio laisse son fils se construire en toute liberté. L’apprentissage de la musique se fera à tous les âges, à tous les postes. Tim Bernardes prend des cours de guitare dès ses 6 ans, puis devient roadie sur des concerts du père. Une éducation qui lui évite de se dresser face à la figure paternelle quand il se met à composer.



« Il m’a toujours soutenu, mais en me laissant toute liberté, sans jamais rien m’imposer. Il n’était pas non plus question d’écrire ou de chanter comme lui, mais de développer mon propre style. Il me montrait seulement que c’était possible. Tim s’ouvre des horizons sonores par delà les frontières du Brésil.

« En grandissant dans les années 90 et au début des années 2000, c’était super de découvrir de nombreux champs musicaux par le téléchargement. J’ai ainsi compris que chaque groupe des années 60 et 70 avait son propre son, expérimentait à sa façon. »

Ⓒ Caroline Cagnin / Pexels.
Ⓒ Caroline Cagnin / Pexels.

Ce déclic le pousse à une réflexion globale, à l’issue de laquelle naîtra son intention artistique. « Je me suis interrogé sur le son de notre décennie : qu’y avait-il alors à faire au Brésil ? J’ai constaté que d’autres, comme les Fleet Foxes, Tame Impala, Dirty Projectors ou Mac DeMarco, ne cherchaient pas à copier les années 60 et 70, mais s’en inspiraient en créant du neuf. Non seulement j’avais appris du passé, mais aussi de tous ces noms qui me touchaient tout en étant contemporains. »



Il ne restait qu’à établir un pont avec le meilleur de la musique brésilienne, pour trouver une formule que Tim Bernardes définit comme « une musique indie contemporaine qui posséderait ce bagage brésilien qui part de la bossa nova ».

Ⓒ Canva.
Ⓒ Canva.

Là où les artistes du mouvement tropicaliste voulaient avaler la culture pop et la contre-culture mondiale, Tim Bernardes, au contraire, prend le chemin inverse, en diffusant ses racines en direction d’un public international plus pop.

En attendant de revenir sur scène en Europe au printemps-été 2023, il reste fermement attaché à sa ville de São Paulo qui l’a vu naître et grandir.

« Ce n’est pas une belle ville comme Rio, c’est une jungle de béton, brutale, mais qui attire plein de gens de tout le Brésil pour sa vitalité économique et sa scène underground. Ici, tu es au Brésil tout en étant détaché du pays et de tous ses stéréotypes – la nature, le football, la samba… Tu t’y sens brésilien, mais pas tant que ça. » Peut-être la meilleure définition de tout l’art de Tim Bernardes.

Retrouvez l’univers musical de Tim Bernardes juste ici : 

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