Gastronomie
The Good Culture
Cultivée et conditionnée sur place depuis toujours, la câpre fait l’orgueil des habitants de cette île volcanique des confins de l’Europe, en Méditerranée, non loin des côtes tunisiennes. Un condiment qui est aujourd’hui prisé par les meilleures tables dans le monde.
Sur le tarmac de l’aéroport Falcone Borsellino de Palerme, entre la mer et les montagnes de Cinisi, un petit avion multicolore qui semble tout droit sorti d’une caisse à jouets s’apprête à prendre son envol. À peine s’est-il stabilisé dans les airs que le commandant de bord annonce déjà l’atterrissage imminent sur l’île de Pantelleria, à quelque 200 kilomètres au sud de la capitale sicilienne, et plus près encore des côtes tunisiennes.
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Le front collé au hublot, on aperçoit une grande tâche noir et vert avec, en son cœur, un lac bicolore d’une étrange beauté. Les côtes sont ourlées d’une écume qui contraste avec la noirceur des lames de lave séchée sur lesquelles se brisent les vagues. Ce tableau et les nombreux champs qui se dessinent à mesure que l’on se rapproche confirment une intuition : Pantelleria est une île tournée vers la terre plutôt que vers la mer.
L’isolement de ce lieu ‘‘battu par les vents et sa géographie ont contraint les habitants à vivre de l’agriculture. S’ils y cultivent bon nombre de fruits et légumes, ce sont deux billes vertes qui font cependant la grande fierté des insulaires : la câpre et le raisin zibibbo. Avec le tourisme, ce sont les piliers de l’économie de l’île.
Présentes dans les assiettes des Panteschi (les habitants de l’île) depuis des siècles, les câpres de Pantelleria s’invitent désormais jusque dans les cuisines des chefs du monde entier, donnant une visibilité internationale à cette terre volcanique de 83 kilomètres carrés.
Rien que de l’eau de pluie
Au printemps, il n’est pas rare de croiser, ici et là, des promeneurs en train de cueillir de ces boutons verts pour leur consommation personnelle. Ici, les câpres poussent partout. Entre les pierres d’un vieux mur, au bord des routes, sur les falaises…
Une anarchie poétique qui tranche avec l’ordre militaire qui règne dans les champs des exploitations agricoles situées dans le Sud, entre les hameaux de Scauri et Serraglia. Comme les câpriers sont uniquement abreuvés par l’eau de pluie et la rosée du matin, il est hors de question que la moindre mauvaise herbe vienne leur chiper ne serait-ce qu’un peu d’humidité.
Contrairement aux idées reçues, la câpre n’est pas un fruit, mais un bourgeon de fleur, cueilli juste avant qu’il ne s’épanouisse. C’est d’ailleurs ce qui rend ce produit si précieux : il faut se hâter pour le ramasser au bon moment, à la main. La récolte débute en mai et peut durer jusqu’en août, selon les pluies.
Agenouillés dans la terre, les travailleurs procèdent d’un geste rapide, du lever du jour jusqu’à la fin de la matinée, pour éviter la chaleur et tenter de préserver leurs lombaires. Les branches continuent à bourgeonner et on revient à la même plante tous les 8 ou 10 jours.
Les câpres sont ensuite triées selon leur calibre, puis plongées à sec dans des seaux de sel de mer pendant 10jours, avant d’être ôtées de leur eau de végétation, resalés et éventuellement confites dans de l’huile d’olive. La récolte, comme la maturation, exige temps, minutie et dévotion.
La câpre, du champ au bocal
Dans les années 80, l’île produisait jusqu’à 1 200 tonnes de câpres par an. C’était l’âge d’or du bouton vert. Puis la concurrence étrangère a fait chuter les ventes et de nombreux insulaires ot abandonné la production pour s’orienter vers le tourisme.
« Face à ce déclin, les derniers debout ont travaillé pour obtenir la certification indication géographique protégée (IGP), en 1993, qui a permis de reconnaître la qualité des câpres de Pantelleria dans tout le pays comme à l’étranger », raconte Gabriele Lasagni, actuel directeur de La Nicchia, fondée par deux cousins, Antonio Bonomo et Girolamo Giglio, en 1949.
Parmi la dizaine d’entreprises de l’île qui travaillent la câpre cette société familiale est l’une des seules à le faire du champ au bocal : elle possède ses terres, son usine de transformation et son laboratoire d’aliments spécialisés. « Nous sommes petits, mais bien organisés », explique celui qui peut se targuer de facturer plus de 1,6 million d’euros pour environ 40 tonnes de câpres récoltés, les bonnes années.
Pour augmenter son chiffre d’affaires, Gabriele Lasagni pourrait travailler avec des câpres venues d’ailleurs, d’autant que le siège de La Nicchia se situe dans le nord de l’Italie, en Émilie-Romagne.
« En voyant la logistique requise pour travailler depuis une petite île, on m’a parfois dit que j’étais fou, poursuit-il. Mais je veux continuer à maintenir toute la production ici, parce que j’estime que nous avons une responsabilité envers Pantelleria. Nous sommes fiers de permettre à des jeunes de rester sur l’île en les embauchant, alors que nombreux sont ceux qui doivent aller chercher du travail sur le continent. »
Mues par leur amour de l’île et des câpres, les équipes de La Nicchia ne cessent de chercher de nouvelles utilisations du câprier, comme, dernièrement, ses feuilles croquantes. Un poème gustatif qui s’écrit depuis des temps immémoriaux sur ce bout de terre envoûtant, isolé en Méditerranée.
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