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Saucisse du Perche et sa purée.
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The Good Culture // Gastronomie

Paul Bert : instigateur de la bistronomie et meilleur bistrot de Paris ?

Gastronomie

The Good Culture

Le Paul Bert, tenu par Bertrand Auboyneau et Gwénaëlle Cadoret, se distingue comme une institution parisienne incontournable. Plus qu’un simple bistrot, c’est une scène où se mêlent convivialité, cuisine de haute volée et clientèle internationale. Plongée dans l’histoire de cet estaminet mythique du 11e arrondissement, où la bistronomie a trouvé sa définition et où chaque plat raconte une aventure.

Alors que les cafés et les bistrots de France sont désormais inscrits à l’inventaire du patrimoine immatériel français, on a demandé à Bertrand Auboyneau, tenancier du Bistrot Paul Bert, de nous raconter l’histoire de cette institution aussi prisée par les Parisiens que par les touristes. Il vient de publier avec sa compagne et copropriétaire Gwénaëlle Cadoret, « Paul Bert, les recettes cultes d’un vrai bistrot parisien » (éd. Hachette Cuisine), qui consacre le bistrot comme un art de (bien) vivre.


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À peine arrivé dans le bistrot, on entend le téléphone sonner toutes les deux minutes. Thomas, derrière le bar, sommelier, barman, caissier et secrétaire manifestement, décroche puis note les noms pour les réservations, griffonnant comme on signerait un contrat, frénétiquement. Il retourne à ses affaires quand le combiné s’agite de nouveau. Tous les matins au Paul Bert, c’est la même rengaine, et rien ne changera : « Je ne veux pas m’inscrire à une plateforme de réservations en ligne, pas envie de m’embêter avec ça. » Celui qui râle avec un sourire, c’est Bertrand Auboyneau, le gérant du bistrot. Le restaurant est quasiment complet chaque midi et chaque soir. Il ne l’aurait même pas imaginé lorsqu’il a repris l’estaminet en 1996. À cette époque, il n’y “connaissai[t] rien.”

Je voulais créer un endroit où l’on m’accueille et où l’on me reconnaît. »

Gwenaelle Cadoret et Bertrand Auboyneau.
Gwenaelle Cadoret et Bertrand Auboyneau. Annabelle Schachmes

Dans sa première vie, il travaillait dans les finances. Son métier l’amenait à voyager dans différents pays, et chaque fois, la même préoccupation : où allait-il manger le soir venu ? « Je voulais changer de métier, et avec ma compagne, l’idée d’avoir un restaurant devenait de plus en plus forte. Dans les rues du Bairro Alto à Lisbonne, une dame tenait un troquet où j’allais régulièrement. Elle savait systématiquement où m’installer. C’était une seconde maison pour moi, et je voulais que notre établissement y ressemble. »

Au 18 rue Paul Bert, dans le 11ème arrondissement de Paris, un bistrot est à vendre. Bertrand Auboyneau et Gwénaëlle Cadoret appellent et se présentent devant le propriétaire, qui tient une brasserie à Saint-Germain-en-Laye : « Vous êtes de quelle région ? » lance-t-il, pas très commode. « De Paris, » répond le couple. « C’est dommage ma foi, on va dire que vous êtes Bretons, c’est mieux que rien et pas pire qu’autre chose. » Ils entrent alors de plain-pied dans l’univers bistrotier parisien, passant le baptême du feu d’une soirée entre bougnats. Adoubés par les cafetiers auvergnats, ils signent.

« Je voulais créer un endroit comme j’en avais vu dans mes voyages d’affaires, un lieu où l’on m’accueille et où l’on me reconnaît. » Un restaurant populaire, à rebours d’une enfance bourgeoise que le nouveau propriétaire ne cache pas. Avant de s’encanailler dans une seconde vie, quittant les finances pour tenir un bistrot, Bertrand Auboyneau a grandi dans une famille qui engageait un cuisinier à domicile pour les repas. Il se souvient des truites qui barbotaient dans la baignoire en attendant d’être cuites et servies pour un repas de 30 personnes. Blanquette, bourguignon, poule-au-pot : telles étaient les recettes qui l’ont nourri. Mais en 1996, avec les clés d’un bistrot en main, le nouveau patron ne savait pas faire. Les premières années furent rudes, avec des cuisiniers et des démissions qui se succédaient. Heureusement, des rencontres précieuses inversèrent la tendance.

Saint Jacques rôties au kari gosse.
Saint Jacques rôties au kari gosse.

Bistrot et bistronomie

« Michel Picard était pour moi plus qu’un homme. Il était une histoire, une légende. » Le patron du Paul Bert ne tarit pas d’éloges pour celui qui lui a pratiquement tout appris. Il faut imaginer un homme, célibataire, sans enfants, vêtu d’un jean usé et de bretelles, lançant : « Parait que vous faites à manger ? » Le loubard, tout droit sorti d’un film de Claude Sautet, était le propriétaire de Chez Astier, un des restaurants les plus prisés de la capitale dans les années 1980-1990. Bertrand suivit ses conseils assidûment et reprit son idée d’un « menu-carte » : entrée, plat, plateau de fromages à volonté et dessert, le tout à prix fixe et abordable.

Quelque chose se passait au Paul Bert. Les critiques et journalistes se succédaient, dont Sébastien Demorand, et bientôt le mot « bistronomie » éclata dans les conversations, définissant l’horizon du Paul Bert. Selon Bertrand Auboyneau, la bistronomie, c’est un bistrot de quartier au cadre convivial, proposant une cuisine à prix doux, faite avec les mêmes produits et techniques que dans les restaurants étoilés, exécutée par de jeunes chefs issus de la haute gastronomie voulant s’affranchir des contraintes de l’époque. La carte évolua subtilement, les classiques étant revus et corrigés par Bertrand et le chef Thierry Laurent, avec qui il fête aujourd’hui leurs 24 ans de collaboration : « Nous sommes le couple parfait, lui au boulot, moi au théâtre. Il veut envoyer, je veux mettre en scène. »

Mythologie du steak au poivre

Colonne vertébrale du bistrot, la cuisine du Paul Bert séduit les Parisiens amateurs de lieux authentiques et les touristes bien renseignés. Un chiffre : 14 000 filets de bœuf sauce au poivre et autant de corbeilles de frites ont été servis l’année dernière. Bertrand Auboyneau et Thierry Laurent ont compté. Le plat est célébré sur les réseaux sociaux, en anglais, en japonais, sur des blogs d’expatriés américains, devenant un symbole de « francité. » Après avoir recouvert le filet de poivre de Sarawak réduit en mignonnette, le chef cuit la viande sur les deux faces. La sauce est obtenue en déglaçant avec de l’armagnac, avant d’ajouter crème fraîche et crème liquide pour ajuster la texture. Le tout est bichonné dans une marmite perpétuelle où la sauce mijote lentement : « J’ai passé du temps en cuisine avec Thierry pour retracer chaque geste, raconte Annabelle Schachmes, collaboratrice et photographe du livre, mais même en ayant fidèlement reproduit la recette, il y a un goût que je ne retrouve qu’ici. Je ne sais pas si ce sont les poêles ou l’atmosphère particulière du bistrot, mais il y a quelque chose d’unique. »

Grâce à ses amis et alliés, dont Sébastien Demorand et Yves Camdeborde, le patron et son chef ont perfectionné la carte, éliminant les étapes superflues : « Inutile de faire blanchir le ris de veau avant de le cuire, on perd du temps et du goût« , précise Bertrand. Les produits doivent être frais, de saison et de qualité. Pour s’en assurer, Bertrand et Gwénaëlle ont aménagé leur propre potager dans l’Orne dès 2012. Ils intègrent les légumes du jardin dans leurs plats — « jeunes poireaux du Perche en vinaigrette » ou « petits légumes accompagnant le dos de cabillaud au beurre blanc. »

 

Paul Bert en langue étrangère

Difficile de trouver une table au Bistrot Paul Bert en 2024. L’Ecailler du Bistrot, l’adresse iodée du couple, propose désormais aussi le fameux filet de bœuf. Ne pouvant pousser les murs, le Paul Bert s’exporte. L’année dernière, pendant trois soirs, l’équipe a revisité les classiques vietnamiens à leur sauce bistrotière dans un pop-up à Williamsburg, Brooklyn. Le Québec les appelle également pour participer au festival Montréal en Lumière.

Avec une clientèle composée à 70 % d’internationaux, le Paul Bert fait voyager son bifteck. L’entretien avec Bertrand Auboyneau se termine alors qu’il est à peine 11h30. Une cliente japonaise s’installe, seule, à la table d’à côté. Elle commande des Saint-Jacques au kari gosse. Fourchette en main, c’est un moment qu’on ne lui enlèvera pas, peu importe que le téléphone continue de sonner et que Thomas en soit à son troisième carnet de réservations.


Le Bistrot Paul Bert
18 Rue Paul Bert, 75011 Paris
Site internet.

« Paul Bert, les recettes cultes d’un vrai bistrot parisien », Hachette Cuisine, de Bertrand Auboyneau et Gwénaëlle Cadoret, 288 pages.

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