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Après Roméo et Juliette à l’opéra Bastille en juin dernier, le ténor franco-suisse revient sur la même scène pour interpréter le rôle-titre des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach. Un point d’orgue pour ce chanteur solaire que se disputent les plus belles scènes du monde.
En juin dernier, il a été le Roméo vibrant, vulnérable et grandiose d’une Juliette incandescente pour laquelle on pourrait tout abandonner. Un amour impossible chanté dans la mise en scène flamboyante livrée par l’inventif Thomas Jolly. En décembre, Benjamin Bernheim sera le poète Hoffmann, qu’il a déjà incarné au Staatsoper de Hambourg en 2021. Un opéra qu’il interprétera pour la première fois à Bastille dans la mise en scène de Robert Carsen.
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« Avant d’aborder un répertoire, je cherche toujours à comprendre ce que souhaite dire le compositeur, explique Benjamin Bernheim. Un rôle enferme une foule de messages, d’indications, de détails chargés de sens. Comme dans un roman, on retrouve immanquablement un peu de l’auteur, de sa vie, de ses tourments, de son jardin secret, de ses questionnements dans l’oeuvre qu’il a composée, comme s’il se cachait derrière sa création. »
Ainsi en est-il des Contes d’Hoffmann, opéra fantastique par essence, qui révèle les deux facettes d’un conteur tiraillé entre l’obsession de la vérité et un soupçon de malhonnêteté. Un voyage rythmé de chants et d’airs célèbres, souvent virtuoses, où la légèreté cache la profondeur des âmes. Un bel hommage aux artistes et à l’inspiration, aux muses et à leurs faiblesses. Et finalement au désir d’être aimé, à défaut d’obtenir des réponses.
« J’ai découvert ce personnage quand j’étais jeune grâce à des prestations qui m’ont marqué, reprend le ténor. Hoffmann est un poète à la fois joyeux et mélancolique. C’est un pilier de bar qui met de l’ambiance et sombre parfois dans l’alcool. C’est un artiste qui a du succès, qui est aimé, qui séduit. C’est un homme torturé et incompris qui s’autodétruit. Un être paradoxal. S’il regardait au bon endroit, il se rendrait pourtant compte que la vie n’est pas si désespérante que cela. Mais il préfère se complaire dans le manque et rester en quête de ce qui le fait souffrir. Il incarne en fait un comportement universel qui résonne dans le monde d’aujourd’hui, me semble-t-il. Car derrière tout cela se cache une réflexion sur le statut de l’artiste en particulier, qui passe par des phases aussi contradictoires que sont l’exaltation et le doute, et au delà une réfléxion sur la condition humaine en général. »
Ce rôle, Benjamin Bernheim l’aborde avec beaucoup de sérénité, peut-être parce que l’âge du personnage cadre avec le sien, la presque quarantaine. « L’âge des questionnements, estime-t-il, de la légitimité peut-être aussi. Le plus dur dans cet opéra, c’est l’acte III, celui de Giulietta, qui nécessite une stratégie vocale spécifique afin de ne pas se brûler les ailes. Hoffmann est un rôle très physique, car il incarne trois types de personnages et adopte de ce fait trois timbres de voix : un esprit jeune un peu naïf, un être aveuglé par l’amour et un homme désabusé. »
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Le bel canto à la française
Né à Paris, Benjamin Bernheim est un grand défenseur de l’opéra français. « Il était temps de lui redonner ses lettres de noblesse, car le genre était boudé depuis trente ans par bon nombre de grands théâtres lyriques, déplore- t-il, excepté Carmen, Faust ou encore Manon… Trois oeuvres magistrales, certes, mais l’opéra français ne se résume pas à cela. »
D’où l’importance de la diction et le travail acharné que le ténor s’impose « pour que l’on se passe de lire les surtitres durant la représentation. » Son rôle le plus marquant ? Roméo, dans Roméo et Juliette pour le caractère solaire du personnage, le chevalier des Grieux, dans Manon, pour sa noblesse, Werther, pour son côté torturé.
« Trois traits de caractère qui se retrouvent chez Hoffmann » poursuit-il. Mais il y a aussi Rodolfo, dans La Bohème, Lenski, dans Eugène Onéguine. Et puis les opéras qu’il n’a pas encore abordés : Don Carlos, Un bal masqué, Tosca, Carmen…
Le rôle le plus compliqué à endosser ? Le duc de Mantoue, dans Rigoletto, chanté à Vienne, New York et Barcelone, « parce que c’est un personnage difficile à défendre », confie-t-il. C’est d’ailleurs tout le contraire de ce qu’il aime incarner : des individus qui ont une grandeur d’âme, un souffle, un lyrisme sans forcément être des saints.
L’enfance sous les feux de la rampe
Fan de sport, Benjamin Bernheim s’impose vingt minutes de cardio et de gymnastique chaque jour. Car une belle stature et une voix de ténor romantique lyrique, ça s’entretient ! « Notre métier, c’est du sport de haut niveau, affirme-t-il. La récupération entre les représentations est importante, tout comme le sommeil, la diététique, l’hygiène de vie, même si chacun l’aborde différemment. »
Côté famille, l’opéra a bercé son enfance. Une mère professeure de chant, un père baryton, une grand-mère maternelle célèbre – Nicole Buloze, ballerine, chorégraphe et mezzo-soprano, assistante de Boris Kniaseff, l’inventeur de la barre au sol. Il a très peu de souvenirs avec elle ; elle a disparu alors qu’il avait 6 ans. Il a en revanche davantage connu son arrière-grand-mère paternelle, Fernande Bergerac, grande journaliste de la RTF [l’ancêtre de l’ORTF, NDLR].
Aujourd’hui, il partage sa vie avec la soprano franco-américaine Sandra Hamaoui, avec qui il a chanté cette année dans Werther, Roméo et Juliette, La Rondine, en septembre, à l’opéra de Zurich. Il est également ambassadeur de la manufacture horlogère Rolex. « Je suis fier d’être associé à une maison qui soutient autant de magnifique projets. »
Le trac, la lassitude ou les caprices lui sont étrangers : « Je suis toujours aussi émerveillé du métier que je fais, comme au premier jour. C’est un grand honneur de se produire à Vienne, Munich, New York ou Paris. Lorsque je chante chez moi, à Zurich, dès que je pars de la maison pour me rendre à l’opéra, je suis déjà sur scène… »
Benjamin Bernheim se produira dans Les Contes d’Hoffmann, du 30 novembre au 27 décembre, à l’Opéra Bastille, de Paris ; Werther, du 19 janvier au 4 février, à l’Opernhaus de Zurich ; Roméo et Juliette, du 7 au 30 mars, au Metropolitan Opera de New York.
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