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Comment le beaujolais nouveau est passé de piquette à fête nationale

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Chaque année depuis 1985, le troisième jeudi de novembre, la France lève son verre au sacro-saint beaujolais nouveau. Autrefois piquette réservée à quelques empourprés de comptoir, le nectar – dont l’amélioration de la qualité n’est plus à prouver – peuple désormais les tables bobos parisiennes comme celles des banquets de village popu.

Le beaujolais nouveau est devenu une fête devenue nationale qu’on célèbrera cette année le 16 novembre. Et, au passage, la poule aux œufs d’or de grands domaines viticoles dont la stratégie marketing semble enfin porter ses fruits. Mais pourquoi donc ?


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La faute à l’armée, un vin primeur qui n’a failli jamais voir le jour…

Mars 1951 : La France supprime le « principe d’échelonnement de sortie des vins des propriétés » qui planifiait le calendrier de leur mise en vente dans le commerce afin que l’armée ne soit jamais à court de rouge. Puis, en décembre de la même année, un arrêté paru au journal officiel, stipulant que les vins d’appellation d’origine ne pouvaient être vendus qu’à partir du 15 décembre, aurait pu tout faire basculer.

Mais c’était sans compter les quelques valeureux syndicats viticoles qui défendirent dur comme fer la commercialisation du beaujolais avant cette date butoir et qui obtinrent gain de cause : le « beaujolais nouveau » était né.

Une quinzaine d’années plus tard, la date de sortie de l’élixir fut fixée au 15 novembre. Qui fut décalée en 1985, au troisième jeudi de novembre, histoire de s’assurer que le 15 ne tombe pas un week-end, ou pire encore, trop proche du 11 novembre, date à laquelle le lever de drapeau est préféré à celui du coude.

Le beaujolais nouveau en quelques mots

Le précieux breuvage est élaboré sur l’ensemble des appellations Beaujolais et Beaujolais-villages, soit près de 55 kilomètres entre Mâcon et L’Arbresle. La grande majorité de la production provient du cépage gamay, même si la législation autorise quelques gouttes d’autres cépages blancs ou rouges (maximum 15% de l’encépagement).

Mais c’est avant tout sa méthode de vinification en grappes entières en cuve hermétique remplie de CO2 (macération carbonique) et l’absence d’élevage qui caractérisent ces jus souples, peu extraits, croquants, à la robe rouge rubis et scintillance violacée, desquelles se dévoilent des arômes de fruits rouges tout juste cueillis.

Mais pourquoi diable le beaujo’ nouveau a-t-il été si longtemps vilipendé ?

Cette année, le nouveau-né aura un goût de banane !

Ce fameux « goût de banane » du beaujolais nouveau, formule reprise par ses pourfendeurs, a un nom : la levure 71B. Cette dernière, caractéristique des multiples additifs de goût et produits œnologiques utilisés dans la production de beaujolais nouveau, aura beaucoup impacté sa réputation.

Ajoutez à cela des rendements élevés, des procédés de vinification douteux (thermovinification notamment) et la vente de ces vins en grande distribution à vil prix par des viticulteurs ayant étouffé leur vocation de chimiste (Georges Dubœuf en tête de cortège)… Bref, le parfait cocktail pour convaincre les derniers irréductibles de la médiocrité du beaujolais nouveau.

De piquette à poule aux œufs d’or

Mais alors, comment expliquer les 20 millions de bouteilles de beaujolais nouveau commercialisées chaque année et les neuf millions exportés (principalement au Japon, premier pays où le nectar est dégusté, décalage horaire oblige) ?

Derrière ce succès fulgurant, le lobbying de plusieurs syndicats, à commencer par l’Inter Beaujolais (beaujolais.com, beaujolaisnouveau.com, rendez-vous.beaujolais.com, bienvenue-en-beaujonomie.fr), sponsorisée par divers organismes publics : Région Auvergne-Rhône-Alpes, Comité Régional du Tourisme, Commission Européenne…

Campagnes de promotion, partenariats et intervention dans les médias, kits de communication pour les professionnels, carte interactive pour trouver les points de vente, webdocs, programme de promotion des jeunes vignerons, organisation de festivités et événements sportifs (Marathon international du Beaujolais), concerts, podcasts, comptes Instagram, Twitter, Facebook, chaîne YouTube… Tout est bon pour vendre du beaujo !

Une com’ relayée par force cavistes et professionnels du vin y voyant là une poule aux œufs d’or et un prétexte pour faire la bamboche. Rien qu’à Paris en 2023, 222 points de vente (1 164 en France) proposeront ledit jus, dont les légendaires Caves Augé, Cave de Belleville, Verre Volé… Le tout savamment relayé par les médias vin et gastronomie. Et au-delà des professionnels, de nombreuses fêtes auront lieu au travers de l’Hexagone, à commencer par celle des Sarmentelles à Beaujeu, durant laquelle une procession de brouettes remplies de sarments incandescents annonce la mise en perce des premiers tonneaux à minuit pétante.

Mais soyons honnêtes : la qualité des beaujolais a aussi grandement évolué.

Ne gamay dire gamay… Le beaujo’ nouveau est désormais fréquentable

Ces dernières années, une poignée de vignerons talentueux a rendu ses lettres de noblesse au p’tit nouveau, concourant largement à sa popularité actuelle. Camille Lapierre, Alex Foillard, Jean-Claude Lapalu, Rémi Dufaitre, Karim Vionnet, Pierre Cotton… Autant de pointures privilégiant la qualité à la quantité, le naturel aux produits de synthèse, la palette aromatique au goût monolithique des levures et les vinifications douces à la thermovinification.

A cela s’est ajouté le réchauffement climatique, impactant la structure et les arômes de vins désormais aussi divers que la mosaïque de sols que composent les 8 000 hectares des appellations Beaujolais et Beaujolais-Villages. Si bien qu’il n’est désormais pas rare de trouver dans les caves de buveurs avertis de vieilles bouteilles de beaujo’ nouveau reposant depuis quelques années.

Bref, le beaujolais nouveau est devenu une véritable fête nationale, dépassant même les frontières. Une tradition empreinte de convivialité pour certains, une manne financière pour d’autres, et pour tous, une bonne raison d’allumer le sapin aux premiers frimas. Et si le succès du beaujolais nouveau aura permis de faire connaître les formidables crus de Beaujolais (Fleurie, Morgon, Chénas, Moulin à Vent…), ainsi que ses illustres vignerons (Métras, Foillard, Lapierre, Thévenet, Jambon, Descombes…), la bataille aura été doublement gagnée.


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