BD : Jimmy Corrigan, la révolution Chris Ware

Par Christophe Quillien, le 22 février 2022

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Grand Prix du Festival d’Angoulême 2021, l’Américain Chris Ware a renouvelé le langage de la bande dessinée avec son œuvre The Acme Novelty Library, aussi totale que magistrale. À la fois scénariste et dessinateur, c’est un amoureux de la bande dessinée et de la culture populaire américaine, à laquelle il ne cesse de rendre hommage.

On ne sait si ce modeste article relève de l’utopie ou du suicide professionnel, mais tenter de présenter Chris Ware en une seule page constitue un défi pour le moins risqué. Dix-huit ans après lui avoir attribué le prix du meilleur album pour Jimmy Corrigan, le Festival d’Angoulême s’est enfin décidé, en janvier dernier, à lui décerner son prestigieux Grand Prix. C’est peu dire que l’homme qui a réinventé la bande dessinée américaine – et même la bande dessinée tout court – le méritait depuis longtemps.

Une cohérence absolue

L’œuvre de Chris Ware, né en 1967 dans le Nebraska, constitue une entreprise graphique et narrative d’une cohérence absolue, dont ce Jimmy Corrigan ne forme que l’un des jalons. On peut l’aborder de deux manières.

Soit en lisant cet album comme une BD classique, à savoir une succession de cases et de planches qui, mises bout à bout, racontent une histoire, fortement teintée de mélancolie et de nostalgie, celle de Jimmy, personnage mal dans sa peau, tourmenté par l’absence du père et fasciné par la personnalité de Superman.

Soit en se laissant emporter par le vertige visuel que procure cette immersion dans l’univers de l’auteur, comme n’importe lequel de ses livres. En saluant, au passage, le tour de force réalisé par ses éditeurs français, Delcourt et L’Association, qui ont réussi à satisfaire l’exigence de Ware, réputé pour sa volonté de contrôler chaque étape de la fabrication de ses ouvrages.

The Acme Novelty Library

Très influencé par Charles Schulz, l’auteur des Peanuts, par Art Spiegelman, le créateur de Maus, qu’il publia dans la revue Raw, et surtout par Robert Crumb, Chris Ware est un amoureux de la bande dessinée et de la culture populaire américaines, auxquelles il ne cesse de rendre hommage à travers ses différents personnages, de Quimby the Mouse à Rusty Brown et de Big Tex à Rocket Sam.

Au même titre que Jimmy Corrigan, ils appartiennent tous à une œuvre intitulée The Acme Novelty Library, que l’auteur a déclinée sous forme de publications de taille et de présentation différentes. Scénariste et dessinateur, Chris Ware est aussi – et peut-être avant tout – graphiste.

Il pense chacun de ses livres comme une création globale, dans laquelle la typographie est utilisée avec une inventivité prodigieuse au service d’une mise en page impeccable. Une multitude de textes à la fois parodiques et poétiques, de fausses publicités, de petites annonces bidon, d’objets à monter soi-même ou de jeux accompagnent les dessins.

Son graphisme, s’il est d’une perfection géométrique susceptible de donner une impression de froideur, réussit cependant à traduire les émotions et l’humanité de ses personnages.

Le regard de Chris Ware

« Je veux juste qu’un album ait l’air le plus riche possible, aussi riche qu’une expérience réelle et concrète, comme quand on regarde la feuille d’un arbre et qu’on distingue les infimes détails de sa structure », déclare Chris Ware dans le livre que lui ont consacré Jacques Samson et Benoît Peeters, Chris Ware. La Bande dessinée réinventée (éd. Les Impressions nouvelles).

Il peut être rassuré : son ambition est satisfaite, à condition que chaque lecteur prenne le temps de se plonger dans cette œuvre aux multiples entrées et dont une seule lecture ne suffit pas à épuiser toute la richesse.

Car, comme le rappelle l’auteur de Jimmy Corrigan, « la bande dessinée est une question de lecture avant même d’être une question de regard ». Et lui consacrer tout le temps nécessaire est le plus bel hommage qu’un lecteur puisse rendre au travail de Chris Ware, ce révolutionnaire placide de la BD.

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