Horlogerie
Féroce est un thriller d’une efficacité redoutable, mais c’est aussi un cri d’alarme contre les atteintes portées à la nature en Sibérie. Quand l’homme s’en prend au tigre, il doit craindre sa colère…
L’histoire de Féroce commence dans le kraï du Primorié, en janvier 2019. Dans cette région située au sud de l’Extrême- Orient russe, aux confins de la Chine et de la Corée du Nord, les enjeux écologiques entrent en conflit avec les intérêts économiques. Les brigades forestières, censées veiller à la protection des forêts qui occupent l’essentiel de ce territoire à la beauté sauvage, doivent composer avec les intérêts de la mafia sino-russe. De leur côté, les écologistes tentent de protéger la faune locale, qui abrite des espèces aussi variées que le chat-léopard, la panthère de l’Amour ou le célèbre tigre de Sibérie, le plus grand félin de la planète.
Amba, l’esprit frappeur
Une équipe de documentaristes s’apprête d’ailleurs à consacrer un film à cet animal mythique et à son habitat, de plus en plus menacés par les hommes. La réalisatrice retrouve cette région dans laquelle elle avait tourné, dix ans plus tôt, un documentaire qui avait suscité une prise de conscience. Son travail avait notamment été à l’origine d’une loi du Congrès américain interdisant l’importation de bois récolté illégalement.
Mais, depuis, les soubresauts de la politique internationale ont fragilisé la préservation de la nature. Le trafic de bois sibérien se trouve au cœur des relations politiques entre la Chine et la Russie, qui l’utilise comme une monnaie d’échange avec Pékin afin d’atténuer les conséquences de la crise ukrainienne.
Comme si la situation n’était déjà pas assez complexe, un drame vient envenimer la situation. Un contrebandier n’a rien trouvé de mieux à faire que de tirer sur un tigre de Sibérie, alléché par sa valeur sur le marché parallèle, laquelle peut atteindre 50 000 dollars. Mais il n’a fait que blesser la bête, qui se lance dans une chasse à l’homme afin de satisfaire sa soif de vengeance. Désormais, tous devront se méfier de l’Amba, l’esprit vengeur des forêts…
Féroce, thriller écologique
Féroce, un diptyque signé par un scénariste et un dessinateur espagnols, est une sorte de « thriller écologique » qui puise son inspiration dans un fait réel. Gregorio Muro Harriet et Alex Macho nous mettent en garde : quand la cupidité humaine s’en prend à la nature, elle risque de déchaîner des forces obscures impossibles à maîtriser.
Et la blancheur de la taïga risque de se tacher de rouge, couleur du sang des victimes de l’Amba… La force du récit tient autant à son intrigue et à ses personnages qu’au cadre géopolitique dans lequel il s’inscrit. Les auteurs délivrent des informations sur le contexte géographique et économique de leur histoire.
Au détour d’une case, ils nous apprennent qu’il disparaît chaque année, en Sibérie, deux fois plus de couverture forestière qu’en Amérique du Sud, et que 12 millions d’hectares de forêt sibérienne ont brûlé en 2019, soit l’équivalent de deux fois la superficie de la France. Servi par un dessin au réalisme efficace et une narration enlevée, Féroce – un titre qui traduit moins la férocité légitime du tigre que la folie destructrice des humains – porte un éclairage bienvenu sur une région du monde dont on parle moins souvent que l’Amazonie, mais qui joue, elle aussi, un rôle essentiel dans la préservation des grands équilibres de la planète.
C’est tout le mérite de cet album que d’inciter, au-delà du plaisir de lecture, à éclairer les consciences. Et si les qualités pédagogiques du récit sont mises en lumière par une bonne histoire et des personnages forts, les lecteurs ne devraient avoir aucune raison de se plaindre, bien au contraire…
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