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Pourquoi ne fait-on plus la fête « comme avant » aux Bains Douches ?

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S’il y a bien un lieu mythique de Paris qui ne cesse de se réinventer, ce sont bien Les Bains Douches. Depuis plus d’un siècle, ils ont été tour à tour bains turcs pour écrivains et peintres en vogue, repaire d’ouvriers des Halles, carrefour nocturne pour jet-set enivrée puis hôtel de luxe et de volupté. Retour sur les grandes mues d'une adresse qui a toujours mis l’accent sur la fête comme sur l’assiette. 

Bains Douches. Deux mots suffisent pour redonner la fièvre à ceux qui ont vécu son époque sulfureuse des années 1970 aux années 1990. Mais aussi à ceux, plus jeunes, qui en ont entendu parlé comme d’un âge d’or des soirées débridées de la capitale : images stroboscopiques d’une Naomi Campbell trinquant avec le commun des mortels parisiens qui se superposent à une table partagée avec Coluche, un ouvrier et Andy Warhol sans que personne ne s’étonne.


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A l’origine, le plus beau spa de la capitale

La fierté des Bains Douches est son brassage. Avec un mot d’ordre : pas besoin d’être membre du club pour se faire mousser, venez comme vous êtes car vous pouvez en être. C’est vrai, et ce depuis le commencement.

En 1885, François-Auguste Guerbois fait construire ses bains dans le centre de la capitale et souhaite un lieu d’avant-garde artistique, à l’image de son premier établissement parisien dans les Batignolles, le Café Guerbois, qui ralliait chaque vendredi, Manet, Monet, Renoir et tous les peintres en vogue de la fin du siècle. La légende raconte qu’ils y ont jeté les bases théoriques de l’impressionnisme à coups d’échanges emportés entre les cafés chauds et les cigares fumants.

Homme d’affaires et esthète, François-Auguste Guerbois donne rendez-vous à toute cette fine fleur artistique dans ses nouveaux thermes bâtis sous la houlette de l’architecte Eugène Ewald, habitué aux travaux d’édifices paroissiaux. Celui-ci érige un bâtiment de trois étages consacré aux soins du corps avec bains sulfureux ou à vapeur et place triomphalement des cariatides à l’entrée. Marcel Proust est un habitué charmé, tout comme les « forts des halles » venus prendre une douche, éreintés après une journée à soulever des marchandises, et aimant clore le moment en s’envoyant un café-calva.

Manutentionnaires, quidam et artistes s’y croisent jusqu’aux années 1950, époque à laquelle les Halles, boursouflées par le trafic de marchandises, battent de l’aile, portant préjudice aux commerces des alentours. Les Bains sont délaissés jusqu’à l’arrivée de Fabrice Coat qui va en prendre la gestion et faire naître l’un des clubs les plus mythiques de la capitale des années 1970.

Sur le patio de l’hôtel Les Bains — une architecture qui a bien changé depuis le 19e siècle.
Sur le patio de l’hôtel Les Bains — une architecture qui a bien changé depuis le 19e siècle.

Avoir une table, c’était l’assurance de pouvoir danser au nightclub

« Il y avait une table en verre dessinée par Philippe Stark, littéralement remplie de chips avec une ouverture au niveau des genoux pour y glisser sa main et en prendre une bonne poignée« , se souvient Jean-Pierre Marois, actuellement à la tête des Bains Douche, à Paris mais aussi en Camargue où il vient d’inaugurer une nouvelle adresse.

Il a 15 ans quand il entre pour la première fois aux Bains Douches. A cette époque, il est le fils du propriétaire de l’immeuble. Il met la main sur un carton d’invitation pour passer l’entrée : « le restaurant était plus petit qu’aujourd’hui mais il y avait des grandes tablées dressées avec des nappes blanches, très classique en fait. » La piscine au sous-sol du désormais night club est revue et corrigée par Stark, lui-même auteur d’un trou dans un mur carrelé où l’on pouvait regarder des films pornographiques et prendre le risque d’être attrapé en plein voyeurisme.

La piscine des bains originels se souvient encore des folles soirées qui s’y sont passées.
La piscine des bains originels se souvient encore des folles soirées qui s’y sont passées.

Excentrique, scandaleux, contre-culturel… Pourtant, côté assiette, c’est le conventionnel qui s’invite : « la cuisine de ces années-là était très bourgeoise, à l’instar de ce qu’on servait au Palace ou Chez Castel. C’est-à-dire des tartare-frites et des frisées au lardon. Tout le monde sortait son Laguiole, c’était la cantine de Coluche. Vous pouviez donner du coup de coude aussi bien à Gérard Lanvin qu’à Caroline de Monaco. » Y dîner était d’ailleurs le meilleur plan pour pouvoir passer la nuit aux Bains-Douches : « si vous réserviez une table et que vous arriviez tôt, précise Jean-Pierre Marois, vous n’aviez pas besoin de passer par les redoutables physionomistes, et pouviez descendre facilement au club ensuite. »

Beaucoup se sont d’ailleurs cassé le nez à l’entrée devant le « Désolé, mais ça va pas être possible ce soir » de Marie-Line, la videuse légendaire de l’époque. On citera Catherine Deneuve et Keith Richards qui se sont vus refuser le passage…

Jean-Pierre Marois.
Jean-Pierre Marois. Tristan Hollingsworth

Bar à sushis, pâtes à la vodka et tigre qui pleure

Dix années plus tard, c’est Hubert Boukobza et Claude Challe qui reprennent le lieu en main en 1984, le plaçant définitivement sous l’égide du rock. Le club voit passer chaque semaine Mick Jagger, Yves-Saint Laurent, Grace Jones, Andy Warhol ou encore David Bowie — liste est longue. En qualité de restaurateur et donc à l’affût des tendances culinaires, Hubert Boukobza fait installer un bar à sushis pour sustenter la vague de sommités jusqu’à minuit. Il ajoute un rôtissoire brûlant à côté et propose un service à la table avec une carte qui emprunte toujours aux classiques français mais plus orientée vers la Méditerranéenne : « C’était l’époque où la cuisine italienne faisait les premiers émules à Paris, raconte Thierry Monassier, chef des cuisines des Bains Douches de ces années-là. Les gens découvraient la salade Caprese et devenaient piqués de risotto. »

Le toqué se souvient d’avoir enchaîné deux services quotidien. « S’il y a bien un plat qui ne changeait pas, c’est bien les penne au saumon et à la vodka, une création des Bains Douches. » Les échalotes revenues et déglacées à la vodka mijotaient ensuite dans un mélange de crème fraîche et de concentré de tomate. La pasta était surmonté de saumon fumé à l’envoi : « le visuel plaisait déjà. L’assiette arrivait toute rose, ça faisait de l’effet. A noter qu’à l’époque, on pouvait commander un plat pour 80 francs soit une vingtaine d’euros aujourd’hui — la carte était abordable. »

Sculptural, cet escalier reliait le restaurant et le night-club.
Sculptural, cet escalier reliait le restaurant et le night-club. ©Guillaume Grasset

L’autre plat phare des Bains Douches arrive à la fin des années 1990, porté par la cheffe thaïlandaise Apiradee Thirakomen, dite « Thiou » : « Je faisais des services de près de 300 personnes, des buffets pour 400 personnes, s’étonne-t-elle encore aujourd’hui. Je proposais une cuisine typiquement thaïlandaise mais les gens ne faisaient pas vraiment la différence, ils venaient même me remercier, convaincus d’avoir goûté à la cuisine… chinoise. C’était les prémices de l’engouement parisien pour toutes les recettes asiatiques. Je servais des assiettes faciles à envoyer tellement il y avait de monde, comme des crevettes sautées, des curry mais surtout le tigre qui pleure qui est une pièce de viande juste snackée en un aller-retour. Elle était marinée avec une sauce d’huîtres, de la coriandre, de la citronnelle et servie avec une sauce nuoc-mam bien citronné. »

Aujourd’hui à la tête de son propre restaurant, Thiou, à l’hôtel Norman, rue de Balzac, la cheffe raconte avoir participé aux derniers moments de fêtes des Bains Douches car le lieu ferme en 2010 sous ordre de la Préfecture de Paris pour cause de risque d’effondrement, les murs abattus par Hubert Boukobza ayant affaibli la structure.

Le nouveau visage des Bains Douches convoque néanmoins son passé…
Le nouveau visage des Bains Douches convoque néanmoins son passé…

Roxo, ouverture sur le monde

Jean-Pierre Marois rachète les parts familiales et après quatre années de travaux. Les Bains rouvrent en perdant leur épithète.

Exit les temps sulfureux des nuits décadentes, place à un hôtel de luxe et spa, qui ne fait pas pour autant table rase du passé. L’actuel propriétaire reconstitue la piscine du sous-sol et lui rend sa fonction première dédiée pour les soins et au bien-être. Le club, lui, existe toujours : des concerts y sont régulièrement programmés, mais il s’est assagi, quand on pense au parfum de scandale qui y a longtemps flotté.

Les chambres de l’hôtel Les Bains offrent un cocon confortable.
Les chambres de l’hôtel Les Bains offrent un cocon confortable. Paul Raeside

En cuisine, l’ouverture sur le monde est bien plus grande encore, en témoigne le travail du chef Bruno Grossi à la tête de Roxo, le restaurant de l’hôtel. Né à São Paulo, il a fait ses armes dans les grandes maisons du Taillevent et de Guy Savoy, nourri aussi par la culture cosmopolite de Londres où il a travaillé. Sa carte est globe-trotteuse, tant il est féru de recettes et produits d’ailleurs : « j’aime faire découvrir d’autres horizons à travers l’assiette, sourit-il. On propose souvent ici de la picanha de boeuf, une découpe de la viande typiquement brésilienne où le rumsteak est présenté avec une couche de gras sur le dessus, comme un magret de canard. » Manioc frit pour accompagner un saumon grillé, citron noir iranien qui se mêle à une sauce ponzu nippone pour rafraichir un carpaccio de poisson… Bruno Grossi ne s’interdit rien à condition de convaincre toute l’équipe de l’hôtel : « on a le projet de proposer un Rougail réunionnais puisque ma sous-chef est originaire de l’île, mais on travaille encore sur le dressage. »

Les assiettes à partager du Roxo collent au nouveau décor classieux et enveloppant de la salle avec son bar central, son dôme inversé au plafond et sa lave émaillé du rouge au noir, réalisé par un le trio d’architectes et designers Vincent Bastie, Tristan Auer and Denis Monte. Les nouveaux Bains bouclent une histoire séculaire en redonnant toute la place aux soins cosmétiques.

Le nouveau bar du restaurant Roxo, flamboyant, est un écho à la légende des Bains Douches.
Le nouveau bar du restaurant Roxo, flamboyant, est un écho à la légende des Bains Douches.

Hôtel Les Bains

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