The Good Business
Exit les commandes d'agrafes et les problèmes d'électricité à régler : le coworking fait oublier les petits tracas du quotidien des office managers. Au point de mettre en danger leur métier florissant ?
Tout a commencé dans un hangar de la Silicon Valley. Les tables s’alignent, les geeks s’entassent. Au début des années 2000, le coworking ne ressemble pas encore aux intérieurs feutrés des espaces de The Bureau qui font face au Palais Brogniart.
Les récits divergent mais le terme de coworking aurait été inventé en 1999 en Allemagne. Le concept, qui ressemble à ses prémices davantage un repère de hackers qu’à un hôtel meublé pour les travailleurs, s’exporte ensuite outre-Manche, du côté de San Francisco. Comme souvent, une tendance qui s’épanouit aux Etats-Unis s’étend rapidement à la sphère mondiale : Paris accueille son premier espace de coworking en 2008, La Cantine.
Les noms de Kwerk, WeWork et Morning sont depuis rentrés dans le vocabulaire des agents immobiliers parisiens spécialisés dans les bureaux professionnels. On a tous un ami qui partage son bureau avec une poignée d’inconnus devenus des potes d’afterwork. On leur envie d’ailleurs souvent leur rooftop ou leur cantine healthy…
‘Mais ça, c’était avant — la pandémie. Le Covid a logiquement freiné la croissance exponentielle des espaces de coworking… et mené à l’avènement du télétravail. Vraiment ?
La réalité post-Covid
Besoin de sécurité
« La pandémie a causé une chute du marché du coworking de 43 %. Trois acteurs ont pourtant résisté et poursuivi leur croissance, de façon certes ralentie : Industrious aux Etats-Unis, Welkin and Mereki en Europe et The Great Room en Asie », explique Alain Brossé, fondateur de Welkin and Mereki. Le Belge, désormais CEO Europe d’Industrious après le rapprochement des trois entités précédemment citées, pointe trois forces majeures qui ont permis à ces marques de ne pas (vraiment) connaître la crise : le caractère haut-de-gamme des espaces, leur confidentialité et la sécurité de leur réseau internet.
« Les espaces de travail Industrious, Welkin and Mereki et The Great Room portent les mêmes valeurs. C’est pourquoi ils séduisent un type de clientèle qui ne les a pas abandonné pendant le Covid », poursuit le CEO. En proposant à la fois des espaces de belle facture, une insonorisation certifiée 39db et un réseau internet à très haut débit, prêt à résister à n’importe quel hacker, les trois marques ont séduit des clients nécessitant de haut niveau de confidentialité. Parmi eux, des ambassades, des banques et même la commission européenne qui a détaché pour la première fois l’une de ses équipes dans l’adresse bruxelloise de Welkin and Mereki — estampillée depuis « by Industrious ».
Une nouvelle définition du coworking
Car si, pendant longtemps, les espaces de coworking étaient dévolus aux freelances, les sociétés de toute tailles s’y mettent. Une « association très connue en France » de 600 employés s’installera prochainement sur un plateau modulé selon ses besoins dans la nouvelle et première adresse française de la marque rue du Colisée.
« Nous ne nous considérons pas comme des espaces de coworking mais de flex office », précise Alain Brossé. Selon le conglomérat américano-belgo-singapourien, le terme de coworking désigne un espace partagé sous la forme d’open space. Le flex office est quant à lui à un espace partagé mais cloisonné. Si les définitions divergent — la plupart des acteurs du milieu caractérisent de coworking leurs adresses — la tendance se confirme : les entreprises cherchent à diminuer leur empreinte immobilière en investissant des espaces de flex office/coworking.
Laurent Geneslay, cofondateur de la marque parisienne TheBureau, confirme volontiers la présence de sociétés importantes dans ses étages, partielle ou complète. « LVMH a installé dans notre adresse du VIIIe arrondissement l’équipe dédiée à un projet bien spécifique afin qu’elle bénéficie de l’atmosphère dynamique de notre coworking. » Moderna, le laboratoire bien connu pour son récent vaccin, a quant à lui installé son headquarter européen chez TheBureau.
Les avantages indéniables du coworking
Toujours une histoire d’argent
Les avantages sont nombreux pour les sociétés qui abandonnent leurs bureaux historiques. Le prix, d’abord. « Selon l’ARSEG (Association Nationale des Directeurs de Services Généraux, ndlr), le prix moyen d’un poste de travail français s’élève à 13 000 euros par an. Chez TheBureau, un poste individuel revient à 950 euros par mois ce qui revient à moins de 12 000 euros par an, explique Laurent Geneslay. Nous ne faisons ni payer l’entretien des parties communes, ni les services annexes. »
Or tous ces frais sont souvent rassemblés dans la ligne Excel qui fait monter la note des entreprises installées en propre (le calcul du prix d’un poste de travail inclue certes le loyer mais aussi les charges internet, d’électricité, d’entretien, de service, mais pas les salaires).
Même son de cloche chez Industrious qui met en avant ses tarifs « abordables » (1000 euros par poste et par mois). Le ratio reste en deçà de la moyenne française — on nous précise que la moyenne parisienne serait bien plus élevée, surtout dans un quartier comme celui des Champs-Elysées — et le rapport qualité honnête compte tenu des atouts de l’adresse.
La flexibilité de l’empreinte immobilière de l’entreprise
En s’installant en coworking, petites comme grandes entreprises bénéficient d’une flexibilité quasi infinie. Ajouter ou abandonner des espaces de travail leur permettent ainsi d’ajuster cette empreinte immobilière dont le calcul se complexifie par temps de télétravail.
Si les tours de la Défense se desertifient le vendredi, les pistes d’autoroutes en direction de la Normandie qui s’embouchonnent désormais dès le jeudi soir. L’Institut de l’Epargne immobilière et foncière estime d’ailleurs qu’avec un scénario à deux jours de télétravail par semaine, 27 % de la surface de bureaux en Ile-de-France pourrait être libérée, soit 3,3 millions de mètres carrés.
Le flex office gagne aussi du terrain — à comprendre comme l’action de ne pas se voir attribuer de bureaux fixes sur son lieu de travail, et non selon la définition d’Industrious. Les entreprises réduisent ainsi par deux ou par trois leur besoin en postes individuels, et leur facture par la même occasion. « Une société de trente personnes qui a déménagé entièrement chez TheBureau a signé un bail pour dix postes de travail mais aussi pour trente badges d’accès. Les équipes s’organisent en interne pour effectuer des rotations », précise Laurent Geneslay.
Séduire les employés
« On entend souvent les DRH se plaindre qu’ils n’arrivent plus à embaucher », nous explique le cofondateur de TheBureau pour justifier le succès de ses adresses, particulièrement axées sur le design (The Sociality Family en signe la décoration) et les services proposés aux travailleurs. En s’installant dans des lieux élégants, confortables et dotés de leurs propres restaurants, au cœur de la capitale, les entreprises cherchent avant tout à séduire à nouveau leurs salariés. « Le Covid a clairement rebattu les cartes des modes de travail. Les talents sont désormais particulièrement attentifs à leur bien-être et sont capables de refuser une offre parce qu’elle n’inclue pas un cadre de travail intéressant. »
Chez Industrious, le chef est étoilé. Il propose chaque jour un menu de saison pauvre en gras et en sucre pour favoriser la concentration. Chez TheBureau, le bar se dote d’une Licence 4 afin que « les signatures de contrat puissent être fêter autour d’un bon whisky ». Chez Wojo, Frichti assure le déjeuner et un coffee-shop les pauses gourmandes.
Les marques (encore) propriétaires ont bien compris que séduire leurs employés passaient aussi et surtout par leur estomac : Veja vient d’équiper ses nouveaux locaux du 10e arrondissement de Paris d’une cantine Spok, label marseillais de vente à emporter de recettes cuisinées le jour même à partir de produits frais et de saison.
Concerts, conférences, afterworks sont organisés par les équipes internes des marques de coworking afin de fédérer les équipes sans avoir à lever le petit doigt. Les plateaux, qu’ils soient scindés ou non par des murs isolants, se dotent de cuisines toutes équipées, de salles de sieste, de babyfoots ou d’autres réjouissances afin d’entretenir l’intérêt de leurs membres. Au Wojo Montmartre, c’est un mini golf qui a carrément été installé dans une salle commune.
Quel avenir pour le coworking ?
« Je parie peu sur les villes qui offrent peu ou proue les mêmes conditions de vie que Paris, se risque Laurent Geneslay. Je crois plutôt en ces destinations qui ont quelque chose d’autre à apporter, notamment celles installées sur le littoral. » Bordeaux, Marseille… L’avenir de TheBureau s’écrira peut-être en région. Ou à Lisbonne ! « Les jeunes ont la bougeotte, nous essayons de les suivre. »
Industrious, quant à lui, poursuit son assise parisienne : la marque inaugurera très prochainement un espace à Boulogne-Billancourt. Mais aussi en Europe avec Madrid, Barcelone et Dublin.
F.L.G.
TheBureau
25 rue du 4 Septembre, 75002 Paris
42 rue Notre Dame des Victoires, 75002 Paris
16 Cours Albert 1er, 75008 Paris
28 Cr Albert 1er, 75008 Paris
Industrious
31 Rue du Colisée, 75008 Paris