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Urbanisme
Ce mode constructif consiste à produire en amont les éléments d’un bâtiment pour les assembler en lieu du chantier. Si ses avantages sont multiples en termes de coût, de temps et d’emprunte carbone, la France reste en retard par rapport à des pays nordiques à la pointe.
Le Premier ministre Gabriel Attal l’a présentée début février comme l’une des solutions à la crise de l’immobilier et c’est peut-être bien une révolution qui se prépare dans le secteur de la construction. L’architecture « hors-site » consiste à fabriquer en usine des éléments d’un bâtiment et de les transporter pour les assembler sur place, plutôt que de tout couler en lieu du chantier. Ce procédé né au XIXe siècle en Amérique du Nord connaît un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années en France et en Europe par les promoteurs et les entreprises du BTP. « Aujourd’hui nous arrivons à une phase de maturité, explique Orash Montazami, l’un des architectes qui travaille le plus avec ce mode constructif dans l’Hexagone. Le hors-site est désormais gage de qualité et de maîtrise de la construction ».
Car les bienfaits de cette (r)évolution de l’architecture sont immenses : produire plus vite, moins cher… L’architecture hors-site peut en outre se décliner à différentes échelles de la construction, structure ou second œuvre, les éléments les plus produits étant les panneaux de façades, les poteaux et dalles préfabriqués, des composants conçus numériquement puis assemblés en lieu du chantier, tel un jeu de Legos géant. « C’est un processus plug and play dans lequel tout est pré-réfléchi, avec une ingénierie indispensable en amont, passionnante pour nous architectes », note encore Montazami. Il faut dire que la digitalisation donne toute la place aux créateurs : l’invisible est standardisé, tandis que les parties visibles sont, elles, personnalisées.
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Le BTP, l’une des industries les plus polluantes au monde
Mais les bienfaits du hors-site sont surtout écologiques puisque ce mode constructif utilise des matériaux moins polluants, comme le bois ou le béton bas carbone, de plus en plus consommés dans la construction. C’est aussi un procédé industriel plus précis que la production sur site, avec un volume de déchets moindre. « On a démontré qu’on pouvait être très efficients en termes de quantité de matière, tout est très maîtrisé, reprend l’architecte. C’est nécessaire aujourd’hui dans l’acte de bâtir pour contrôler et limiter l’impact carbone des bâtiments ». Notons que l’industrie de la construction est l’une des plus polluantes de la planète.
En limitant le recours aux sous-traitants et les allers-retours en camions, ce procédé standardisé réduit les nuisances de chantiers, et assure une meilleure maîtrise des délais de livraison. « Tout est transporté et assemblé sur place dans un temps record, les riverains sont ravis de voir un projet s’assembler si rapidement avec les nuisances ramenées au strict minimum par rapport à la construction classique », argumente encore Orash Montazami. Et cela va de pair avec une nécessaire évolution des métiers du BTP, ainsi plus industrialisés, voire plus sophistiqués : la construction se prépare d’abord sur des lignes d’assemblages, ce qui a comme conséquence directe d’abaisser le niveau de pénibilité. Avec trois fois plus de femmes en usines qu’en chantiers, le hors-site accompagne une féminisation du secteur de la construction et une montée en qualification. C’est donc un enjeu social dont il s’agit avec une baisse de 70% des accidents du travail et de 50% des troubles musculosquelettiques. L’enjeu est également territorial avec la création d’usines et un emploi mieux distribué. « Réhabiliter, construire la ville sur la ville, surélever des bâtiments, intervenir même en site occupé, sont des choses désormais rendues possibles par ce procédé », ajoute l’architecte.
Les architectes indispensables pour le succès du hors-site
Orash Montazami incarne résolument ce nouveau tournant de l’architecture. « Le projet le plus extraordinaire pour lequel nous venons d’obtenir un permis de construire se situe dans le 19e arrondissement de Paris, dans la continuité du parc de la Villette », s’enthousiasme-t-il. La Cité Universelle, prévue pour 2027, sera un grand bâtiment de 44 000 m2 à destination d’un public handisport, comprenant un stade de 1 000 places, un amphithéâtre, un espace de coworking et 110 chambres, totalement construit en hors-site. Les acteurs du secteur ont compris qu’ils devaient absolument rejoindre cette tendance de fond, à l’image de l’entreprise Saint-Gobain qui a récemment investi dans une plateforme logicielle spécifiquement dédiée à l’architecture hors-site, ou encore Eiffage qui a restructuré son pôle de Solutions Industrialisée pour s’engager dans une expertise hors site. Mais la France reste en retard par rapport aux pays du nord de l’Europe. Aujourd’hui ce mode constructif y est encore embryonnaire, avec moins de 1% du marché.
Pour booster cette tendance, Orash Montazami a créé dès 2013 un laboratoire de réflexions. « Je l’ai pris dans un premier temps comme un élément de recherches et au fur et à mesure nous sommes arrivés à remporter des marchés et construire des démonstrateurs autour de ce type de construction », nous explique-t-il. L’architecte tient aujourd’hui à partager les connaissances autour du sujet, comprendre comment il est possible d’améliorer la performance et la qualité des projets. « On ne pourra avancer uniquement si on est en open source, ce ne sera pas possible autrement, si les promoteurs gardent jalousement leurs politiques d’innovation », avertit-il.
Son laboratoire a ainsi pour vocation d’étudier les différentes pratiques de construction. « L’idée c’est de comparer nos expériences, et de les partager. L’innovation doit être ouverte à tous », veut-il croire.
Pour exister, l’architecture hors-site devra faire ses preuves dans l’excellence et surtout dans le beau. La conceptualisation industrielle ne doit surtout pas aller à l’encontre de l’esthétique, elle doit au contraire accorder un rôle primordial aux créateurs, qui proposeront des œuvres de qualité au plus grand nombre. « Ce n’est pas la même chose que le préfabriqué, où des ingénieurs n’avaient aucun regard sociétal sur la ville, où l’on fabriquait des projets désastreux partout à l’échelle européenne parce qu’on avait fait abstraction des architectes, déplore Montazami. Les architectes ont un rôle essentiel qu’il faut maintenir : on ne peut industrialiser l’acte de bâtir en écartant la conception architecturale et urbanistique ». Son adoption massive permettra d’en matérialiser les bienfaits. Et remédier, c’est certain, à la crise de la construction.
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