Horlogerie
Dans quel verre servir un vin de Bourgogne ? Flûte ou coupe à champagne ? Déguster le whisky à la Mad Men ? A l'orée des fêtes de fin d'années, The Good Life vous propose de faire voler en éclat les idées reçues et de briller en société grâce à quelques conseils de dégustation...
Vous êtes-vous déjà demandé si le verre dont vous vous servez avait un impact sur votre dégustation ? « Je suis certain que vous avez déjà bu une seconde fois un vin qui n’avait pas exactement le même goût que dans vos souvenirs » parie Victor Ulrich, directeur de Riedel, maison spécialiste du verre à vin depuis 1958. A raison.
L’art de la table à la Française
Petite leçon d’histoire. On s’intéresse déjà à l’art de la table dans l’Antiquité. Le verre à boire se façonne d’abord en plomb, puis en argent, parfois en terre cuite. Il prend de la hauteur sous Louis XIV, à la suite de l’affaire des poisons. Comme le raconte Donia Lakhdar Maktoum, responsable du pôle patrimoine culturel de la maison Saint-Louis, le roi exige le service des vins dans des verres à pied dans l’idée d’éloigner les mains des serviteurs du buvant en leur faisant porter le verre par le bas, les empêchant de pouvoir verser toute substance dans la boisson.
Si les étiquettes divergent selon les pays, le service à la française nous vient du règne de Louis XV, porteur de la nationalisation des savoir-faire. Les époques font évoluer les codes mais la tradition demeure, perpétuée notamment au XXe siècle par notre Nadine de Rothschild. Aujourd’hui, c’est Françoise Dumas — elle se qualifie de « maîtresse de maison par procuration », organise des événements et des soirées privées — qui fait figure d’ambassadrice de la bienséance à table : cette dernière a d’ailleurs transmis son savoir à Péri Cochin de Waww La Table qui explique la façon dont il faudrait agencer sa verrerie :
En France, on place le verre à eau en premier, en haut et vers le milieu de l’assiette, puis à sa droite le verre de vin rouge puis le verre de vin blanc qui est plus petit. S’il y a une coupe de champagne, elle se place au-dessus du vin blanc. Enfin, les verres à apéritif ou à digestif font leur apparition à l’instant T.
L’importance du verre à dégustation
On s’intéresse aux verres dans une optique de dégustation depuis le mitant dans années 1950. L’innovation technique s’intéresse d’abord aux vins avant de glisser sur les spiritueux.
C’est Jules Chauvet, vigneron du Beaujolais et scientifique, qui démontre le premier dans les années 1960 qu’un même vin rouge, versé dans trois récipients différents, n’offre pas les mêmes arômes. Il met alors en évidence l’importance du rapport entre surface du vin et volume du contenant pour maximiser les arômes contenus. Il énonce que la forme géométrique d’un verre doit être conçue de telle sorte que le ratio surface vin/air libre et le volume de vin contenu soient équilibrés.
La question est officiellement soulevée lors du Congrès de l’ISO (Organisation Internationale de Normalisation), à Londres, en octobre 1968. Un verre, conçu par l’Institut national de l’origine et de la qualité et fabriqué par les Verreries de Portieux est intronisé en septembre 1970. Il prendra le nom de verre Inao dans le langage commun et restera longtemps la norme dans l’univers de la dégustation de vins et de spiritueux. L’engouement provoqué par cet objet imaginé pour et par les professionnels a ouvert la voie au développement des verres à dégustation à grande échelle.
L’empirisme reste la méthode de travail privilégiée par les professionnels du vin et des spiritueux pour façonner leurs verres. Victor Ulrich, directeur de Riedel, explique : « Nous développons nos verres en expérimentant car il n’existe pas d’analyses scientifiques qui puissent guider le dessin du verre. En revanche, la carte de la langue (les papilles reconnaissant les sucré, salé, amer et acide ne sont pas situées au même endroit sur notre langue, ndlr) nous aide à donner sa forme au verre dédié à un cépage car nous en connaissons les subtilités et sommes donc en mesure de définir les arômes que le récipient doit mettre en avant ou au contraire estomper. »
Le premier verre œnologique au monde
Le verre à Bourgogne Grand Cru de la collection Sommeliers de Riedel fut le premier verre œnologique au monde. Il a été dessiné Claus J. Riedel selon les préceptes du courant Bauhaus : la forme suit la fonction. Claus J. Riedel avait découvert que certains vins montraient plus de profondeur et un meilleur équilibre lorsqu’ils étaient bus dans certaines formes de calices. La série Sommeliers, à la ligne sobre soufflée finement, marqua le début de la maîtrise de Riedel sur le marché mondial des verres à vin. Ce verre est aujourd’hui exposé au MOMA, à New York.
A chaque vin son verre
L’erreur à éviter : utiliser le même verre pour n’importe quelle couleur de vin ou n’importe quel cépage ; carafer sans prendre en compte le millésime ou la nature du vin.
L’avis de l’expert : Riedel propose une large gamme de verres à vins rouge, blanc et rosé qui couvre les cépages les plus connus. Il faudra donc faire son shopping en fonction de ses appétences. « Si on n’a pas la place de collectionner les verres, modère Victor Ulrich, je recommande de débuter avec une forme dédiée aux Rieslings, la plus universelle. Si on souhaite acquérir un verre précisément pour les rouges, alors la forme Syrah sera la plus adaptée, sauf si on est un grand amateur de Bourgogne qui ne supporte que son dessin attitré. Enfin, le verre à Cabernet-Sauvignon est la cerise sur le gâteau à s’offrir pour déguster au mieux les Bordeaux. » Point important, le directeur de Riedel souligne également que la température et le stockage sont également primordiaux pour rendre justice à un vin.
L’avis de l’expert en matière de carafe : Xavier Thuizat, chef sommelier à l’Hôtel de Crillon, propose une façon très simple de savoir quel vin carafer : « Séparez la France en deux par un trait horizontal à la hauteur de Lyon : au nord de ce trait il vous faudra carafer les Blancs ; au sud, ce sont les rouges qui devront être aérés, pour alléger leur charge en alcool et en tanins. » Victor Ulrich ne contredit pas le meilleur sommelier de France 2022 mais précise que l’âge est aussi un bon indicateur : « Carafer les vins de moins de cinq ans permet de les faire vieillir au contact de l’air. En revanche aérer ceux qui ont plus de cinq ans n’est pas forcément une bonne idée, selon le cépage. »
L’art du champagne
L’erreur à éviter : la flûte… et même la coupe !
« Loin de moi l’idée d’essayer d’enrayer le retour de la coupe à champagne mais elle est trop évasée et laisse trop s’échapper les bulles. Au contraire, la flute concentre le gaz carbonique » prévient Ludovic du Plessis, Président des champagnes Telmont.
« En matière de champagne, il n’y a pas de règle ! »
– Ludovic du Plessis
L’avis de l’expert : Pour ceux qui voudraient tirer le meilleur du champagne, le Président de Telmont plébiscite le verre à Bourgogne blanc car sa forme concentre les arômes tout en permettant une aération relativement restreinte due à une ouverture plus étroite. Il faut aussi veiller à choisir son verre avec une épaisseur de buvant aussi fine que possible afin d’annuler presque complètement la frontière entre les lèvres et le jus : privilégiez donc les verres en cristal ou cristallin.
La préparation du champagne : « Stop au champagne au congélateur ou même au réfrigérateur, implore Ludovic du Plessis. Avant de servir une bouteille, on la glisse quinze minutes dans un seau rempli de glaçons jusqu’au goulot. »
Quand boire du champagne ? Si, rappelons-le, il n’y a pas de règle en la matière, le Président des champagnes Telmont déconseille le champagne au dessert. « Le dessert est sucré, le champagne aussi… Même avec nos jus qui ne sont dosés qu’à 5 grammes (aux champagnes on ajoute en moyenne 10 grammes d’une liqueur de dosage, le plus souvent composée de sucre de canne dissous dans du vin, ndlr), je trouve que la concentration de sucre est trop importante pour une fin de repas. Mais c’est un avis personnel ! » Ainsi, Ludovic du Plessis privilégie le champagne à l’apéritif, sur un palais neutre pour le savourer au mieux, ou au cours du repas si l’on a choisi une belle cuvée, un Blanc de Blanc, Blanc de Noir ou un grand Millésime.
Bien déguster son whisky
L’erreur à éviter : Contrairement aux idées reçues, le verre Tumbler ou son cousin d’Old Fashioned (légèrement plus court et évasé), droits à fond épais et large de diamètre, ne sont pas adaptés à la dégustation d’un whisky de qualité.
Leur aspect massif, leur poids conséquent et leur dessin taillé en font des récipients pleins de panache. Les films et autres séries télévisées ont d’ailleurs largement participé à répandre l’image d’Epinal qu’un whisky se boit dans un verre sans pied. Pourtant, le tenir dans sa main ne rend pas justice au jus brun, comme l’explique Didier Ghorbanzadeh, Global Ambassadeur de La Maison du Whisky : « l’absence de tige amène une prise en main qui réchauffe le liquide et dissipe les arômes ».
En revanche, les Tumbler et autres Old Fashioned peuvent s’utiliser si vous buvez votre whisky On The Rocks (servi avec des glaçons) car leur épaisseur maintient le frais apporté par la glace. « Attention à n’employer que de beaux glaçons faits d’eau minérale, et pas d’eau du robinet, au risque de dénaturer l’alcool, met en garde Didier Ghorbanzadeh. Les Japonais le consomment beaucoup de cette façon car ce sont des artistes de la glace qu’ils découpent eux-même à la main. »
L’avis de l’expert : Choisir selon son humeur. « On n’est pas toujours en quête d’une dégustation. Parfois, le soir en rentrant du travail, on a juste envie d’un petit whisky pour se détendre. Dans ce cas, prenez un Tumbler en main. Si, au contraire, on souhaite en sublimer chaque saveur, il sera plus adapté de choisir un verre rond à buvant resserré qui capturera tous les arômes du whisky », explique Gabriel Tissandier, fondateur de The Whisky Lodge. Œnologue de profession, il participe aux réflexions autour du verre Inao. Il y a 40 ans, il applique la même méthodologie au whisky pour créer le verre Bhlas, un verre ballon surmonté d’une courte cheminé qui permet à la fois de tapisser l’intérieur de l’élixir afin d’en dégager le maximum d’arômes puis de le déguster tout en posant son nez contre l’un des rebords afin de lier goût et odorat.
L’avis de l’expert n°2 : pour une dégustation technique, Didier Ghorbanzadeh de La Maison du Whisky recommande un verre Copita. « Il est comparable au verre Inao, un peu plus court sur patte avec un col plus resserré pour favoriser les arômes. »
Comment déguster le whisky : Ne remplir qu’un quart du récipient. Sentir le whisky sans toucher le verre posé sur la table. Le tourner pour en tapisser les bords : les arômes primaires montent. Amplifier le geste pour favoriser la création d’un cône aromatique qui laissera exploser les arômes primaires et secondaires. Déguster en commençant par une toute petite gorgée qui réveillera les lèvres puis saisir un peu plus de jus afin d’habituer les gencives. Gabriel Tissandier rappelle : « Un whisky reste un alcool fort, il ne faut donc pas agresser la bouche en le buvant largement. »
Le twist : si vous aimez boire votre whisky en cocktail, les verres droits sont à privilégier. Pour un Whisky Highball (1/4 de whisky, 3/4 de tonic, comme aiment le consommer les Japonais) s’utile le verre du même nom ; le Old Fashioned a lui aussi donné son nom au verre préconisé dans sa dégustation.
Et le Cognac ?
L’erreur à éviter : utiliser un verre ballon court.
L’avis de l’expert : Les cognacs jeunes, VS ou VSOP (respectivement moins de 4 et 8 ans d’âge), sont délicieux refroidis. Ainsi, Christophe Valtaud préconise un verre Tumbler épais qui maintient le froid. « On le passe au congélateur pour en frigorifier les parois ou on sert le cognac avec un ice ball ou un gros cube de glace, l’idée étant de refroidir le liquide sans le noyer d’eau. La qualité de celle-ci est d’ailleurs primordiale pour ne pas dénaturer le spiritueux. » Le cognac XO se déguste dans un verre tulipe classique, de préférence en cristal ou cristallin pour privilégier la finesse de la mise en bouche. Quant aux cognacs XXO (vieillis plus de 14 ans) et les gammes « exclusif », Christophe Valtaud préconise l’usage des verres à vin blanc. Pour aller plus loin, c’est la référence Sauvignon Blanc Performance de Riedel qui a les faveurs du maître de chai, dont les cotes optiques (sortes de nervures internes) révèlent la totalité des arômes.
Le twist : Le cognac est un spiritueux qui s’accorde très bien en cocktail. Martell développe d’ailleurs des mélanges inédits avec le mixologue star Rémy Savage.
Pensez au saké !
Il est vrai que le saké n’est pas (encore) entré dans nos mœurs. Pourtant, la finesse de cet alcool de riz en fait le parfait compagnon des dîners de fin d’années. Xavier Thuizat, le chef sommelier de l’Hôtel de Crillon qui s’avère être aussi Saké Samurai (l’équivalent de l’ordre du mérite agricole japonais), une distinction rarement accordée aux non-Japonais, explique : « un saké japonais — un Daiginjo par exemple — servi frappé, comme un champagne, sublime un plateau de fruits de mer. Il provoque une émotion très particulière dont vos amis vous parleront pendant longtemps. »
Quelle verre pour la dégustation du saké ? Un verre à vin blanc resserré qui canalisera toute sa finesse.
N’oubliez pas de boire de l’eau
L’avis de l’expert : Donia Lakhdar Maktoum, responsable du pôle patrimoine culturel de la maison Saint-Louis nous explique : « L’eau, contrairement aux vins, accompagne toute la durée du repas. Plus que la forme du verre, ce sera sa contenance qui vous permettra de choisir l’objet approprié. L’eau, bien que boisson fraîche et parce que sans alcool, se gobelotte naturellement. Quant à la différence entre eau plate et eau gazeuse, les amateurs de bulles pourront se guider au diamètre de l’ouverture du contenant : plus il sera réduit, plus le buller sera préservé. » Pour une fois, toutes les idées sont bonnes !
F. L. G.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer modérément.
La Maison du Whisky
Whiskies à partir de 18 €
L’Ecrin, restaurant de l’hôtel de Crillon
Menus à partir de 185 €
Riedel
Verrerie à partir de 15,90 €
Saint-Louis
Verre en cristal à partir de 91 €
Waww La Table
Art de la table à partir de 24 €
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