Horlogerie
Il est la base de l’alimentation humaine depuis la sédentarisation des peuples et un véritable indicateur économique depuis la Révolution française. Plus que jamais, le pain est un sujet d’actualité, entre régimes anti-gluten et méfiance envers l’industrie agro-alimentaire. Certains paysans et artisans boulangers ont pour leur part, choisi de remettre les variétés anciennes de blé au goût du jour. Qui sont-ils et quelles sont leurs convictions ? Quelle stratégie et quelles vigilances adopter pour notre consommation ? Pour vous, The Good Life casse la croûte et pétrit la grande question du pain dans notre société.
Pourquoi un retour à la culture des variétés anciennes de blé ?
Depuis les années 1970, l’agriculture intensive a uniformisé massivement la culture végétale afin de faciliter son entretien et sa récolte. Mais « le monovariétal rend la lutte contre les intempéries et les maladies très difficile sans un arsenal chimique titanesque », avance Henri de Pazzis, qui a choisi de cultiver des variétés anciennes de blé dans les Alpilles, issues d’un échange entre réseaux de paysans qui perdure depuis des millénaires.
Henri de Pazzis fait cohabiter ces variétés de blé avec d’autres végétaux sur un même terrain, pour favoriser la biodiversité et développer leur complémentarité naturelle en palliant les faiblesses des uns avec la résistance des autres. Ces céréales deviennent plus robustes que du blé uniformisé, sans avoir besoin de traitement. De cette cohabitation, naissent les blés de population : chaque année, 5% de ces blés se croisent en s’adaptant au terroir, au climat et à la nature du sol.
Le blé ancien, c’est aussi l’affaire de Valentine Franc, qui a repris il y a vingt ans la ferme de Montaquoy dans le Gâtinais. Il y a près d’un siècle, sa famille y élevait des animaux et produisait des betteraves, des céréales et du cidre. « Tout avait un sens, on faisait assez de céréales pour nourrir les bêtes et les gens, la ferme fonctionnait comme un véritable écosystème avec une production variée. L’intensification de la culture céréalière a réduit l’activité à une seule chose qui marchait grâce à la chimie, et le grain a été modifié génétiquement pour avoir de plus gros épis ». Malgré leur moindre rendement, ces blés anciens ont de nombreux avantages, notamment gustatifs. En cuisine et en boulangerie, on réapprend à valoriser le savoir-faire du travail de ces céréales, perdu avec le temps.
Le retour d’un pain de tradition au levain plutôt qu’à la levure
Farine de blé ancien, farine de qualité, certes, mais farine atypique ! Nicolas Supiot, philosophe du pain, assure le cycle complet de sa production, du champ à la miche sur ses terres bretonnes. « Je retrouve les gestes des anciens qui à l’époque travaillaient les mêmes blés que moi ».
L’important, c’est de travailler une farine fraîche : « moulue depuis 48H, elle garde toutes ses qualités nutritives et aromatiques ». Selon lui, certaines céréales non panifiables le sont en réalité si on tient compte de la « multitude de paramètres qui joue dans le processus du vivant », comme l’humidité et la température de l’air. L’élasticité du gluten, appelée « force », peut ainsi s’exprimer. « Il ne faut pas être figé dans la théorie quand la pratique nous informe du contraire ».
Alex Croquet est mordu de levain et le surveille comme un trésor dans son laboratoire lillois. « Je le vois comme un être vivant, il fait partie de la famille. L’oublier serait comme oublier d’aller chercher mon fils à l’école ! ». Dans son Encyclopédie du pain (2019, Flammarion), Marie-Laure Fréchet nous explique le levain, ce « mélange de farine et d’eau fermenté et régulièrement nourri par ajout de farine et d’eau jusqu’à l’obtention d’un levain-chef, milieu vivant constitué d’une grande variété de micro-organismes contenant des bactéries lactiques et des levures naturellement présentes dans l’air, point de départ de la panification ». C’est aussi la signature du boulanger, qui choisit de le faire plus ou moins acide, en fonction de la manière dont il le nourrit.
L’industrie du pain, quant à elle, au-delà de tout mécaniser, privilégie toujours la levure – issue d’un champignon cultivé qui permet un processus régulier et facilement reproductible – au levain, très variable et dépendant de la maîtrise du boulanger. « C’est un choix entre deux chemins différents pour arriver au point final, soit l’autoroute, soit la petite route de campagne », rappelle l’auteure.
Poilâne, une vision à part
On ne peut pas parler de pain artisanal et industriel sans mentionner Poilâne. Le fait de vendre son pain en grande surface en fait-il un groupe industriel ? Oui et non. Poilâne défend des valeurs attachées à la fabrication de pain au levain. La maison a réussi à répliquer cette technique à grande échelle, permettant une production importante, qui dessert toutes ses boutiques ainsi que les grandes surfaces parisiennes. Malgré cela, Poilâne prône une fermentation longue au levain et un pétrissage artisanal… à mettre donc dans la case des « gentils » de la filière !
Notre consommation de pain aujourd’hui : effet de mode ou attention nécessaire ?
Récapitulons. Pain industriel ou pain artisanal : quelle différence concrète pour nous ? En termes de budget, elle est infime. Mais les industriels utilisant des farines très raffinées et appauvries en qualités nutritives, n’ayant de plus aucune obligation de mentionner sur l’emballage les ingrédients utilisés – notamment les additifs -, l’option artisanale reste préférable.
Pain complet ou pain blanc ? Ce dernier contient trois fois moins de vitamines (groupes B et E), que le pain complet. L’enjeu est donc nutritionnel. « Le grain entier, avec son germe et son enveloppe, concentre les vitamines, les minéraux et les fibres » explique Marie-Laure Fréchet.
Quel type de farine préférer ? Là encore, chaque céréale affiche des apports nutritionnels différents, et un taux de gluten plus ou moins élevé que d’autres, en plus de leurs goûts très variés.
« Diaboliser le pain parce qu’il contient du gluten revient à accuser le vin d’être alcoolisé ou la pâtisserie d’être sucrée » – Marie-Laure Fréchet
Justement, l’intolérance au gluten est-elle un effet de mode ou un constat scientifique ? « Diaboliser le pain parce qu’il contient du gluten revient à accuser le vin d’être alcoolisé ou la pâtisserie d’être sucrée », explique Marie-Laure Fréchet. En réalité, l’augmentation du nombre de troubles digestifs constatée depuis quelques années concerne aussi bien les malades « coeliaques » (intolérants au gluten) que ceux qui ne le sont pas.
Les blés modernes ne sont pas plus riches en gluten car leur taux de protéines est stable, mais le pétrissage mécanique, long et oxydant, a poussé les meuniers industriels à ajouter des « améliorants » à la farine, dont le gluten et l’acide ascorbique qui le renforce. De plus, les blés anciens contiennent généralement un gluten mieux toléré Il n’est donc en lui-même pas un problème, c’est son ultra-transformation qui le rend moins digeste. La conclusion, nous la devons encore à Marie-Laure Fréchet : « choisissez un pain issu d’une fermentation longue au levain, pétri sans excès avec une farine de blés anciens, sans ajout d’additifs », parole d’experte !
L’avenir du pain et de notre consommation
La cheffe Manon Fleury, passionnée de céréales, tient à les replacer au centre de l’assiette. 20% du territoire français sont occupés par leur culture, majoritairement destinée à nourrir le bétail ou à produire des ingrédients ultraraffinés par l’industrie agroalimentaire, alors qu’elle pourrait, si nous réduisions notre consommation de viande, être consacrée à notre propre alimentation, en remplaçant les protéines animales en partie par les protéines végétales. Ainsi, les 2 764 tonnes de céréales produites mondialement chaque année suffiraient à subvenir à une grande partie des besoins alimentaires de l’humanité. L’impact environnemental serait considérablement réduit, en plus d’apporter une solution à la famine et aux inégalités sociales.
Mais à qui en revient la responsabilité ? Peut-être d’abord à nous, consommateurs. En raisonnant mieux la sélection de notre pain, l’équilibre pourrait être rétabli entre industriels favorisés et artisans dévalorisés. Alors, prenez-en de la graine !
V.S
Henri de Pazzis, Terre de blé,
24 Av. Albin Gilles, Zac de la Gare,
13210 Saint-Rémy-de-Provence
Valentine Franc, Ferme de Montaquoy,
91840 Soisy-sur-École
Boulangeries
Les Papilles,
11 Grande Rue,
91490 Courances
Ten Belles
11-17 rue Breguet,
75011 Paris
Boulangerie Racine
105 avenue de Verdun,
92130 Issy les Moulineaux
Boulangerie des Enracinés
76 rue Mademoiselle,
75015 Paris
Atelier P1 ,
157 rue Marcadet
75018 Paris
Boulangerie Petite île
8 Rue des Filles du Calvaire,
75003 Paris
Épiceries, farine en sac
Proxicoop
39 Grande Rue
91590 Soisy sur Ecole
Aux Champs Soisy
2519 Chemin de la Padole, Lieu dit Les Challois,
91750 Champcueil
Nicolas Supiot,
Le Rocher de Ropenard
35330 Maure de Bretagne
Alex Croquet,
56 Rue Faidherbe,
59139 Wattignies
Et 66, rue Esquermoise,
59000 Lille
Lectures
Marie-Laure Fréchet, Encyclopédie du pain, éd. Flammarion, 2019.
Avec la collaboration de Bérengère Abraham. Photographies Valérie Lhomme
Manon Fleury au restaurant Le Perchoir Menlimontant
14 Rue Crespin du Gast,
75011 Paris
Où acheter du bon pain à Paris ?
Mamiche
45 rue Condorcet,
75009 Paris
Et 32 rue du Château d’eau,
75010 Paris
Atelier P1
157 rue Marcadet,
75018 Paris
Benoit Castel
50 rue de Menlimontant,
75020 Paris
Et 11 rue Sorbier,
75020 Paris
Et 72 rue Jean-Pierre Timbaud,
75011
Où acheter de la farine à l’ancienne ?
Terroirs d’avenir
Paris II, IV, XIe.
Le Zingam,
Paris XI et XVIIIe
Épicerie Antioche,
82 Rue des Rigoles,
75020 Paris
A lire aussi
Gastronomie : profession chef nomade
10 nouveaux restaurants à tester cet automne à Paris
Le terroir ligérien à l’honneur au Favori, Le restaurant étoilé des Sources de Cheverny