Horlogerie
Il a préparé deux des concours les plus prestigieux simultanément et en est ressorti lauréat la même semaine. Xavier Thuizat est le meilleur sommelier de France 2022 et se vêtira bientôt du col tricolore des MOF. Entretien.
Parfois acteurs de l’ombre, pourtant clé de voûte d’un repas réussi, les sommeliers sont aussi des artistes. Xavier Thuizat en représente l’élite puisqu’il vient de remporter le concours du meilleur sommelier de France le 6 novembre 2022, soit quelques jours avant d’avoir appris qu’il été reçu à la certification du Meilleur Ouvrier de France.
Il lui faudra néanmoins attendre le milieu d’année prochaine pour être officiellement un MOF, puisque c’est le Président de la République qui publie au Journal Officiel le nom des Meilleurs Ouvriers de France d’une même promotion, tous secteurs confondus.
Entretien avec Xavier Thuizat, meilleur sommelier de France 2022
Le chef sommelier du restaurant L’Ecrin à l’Hôtel de Crillon est revenu sur sa passion, les aspérités du métier et les contours de son futur.
The Good Life : En quoi consiste le concours du meilleur sommelier de France ?
Xavier Thuizat : C’est un concours qui est ouvert à tous les sommeliers français. Nous sommes à peu près 5000. Il a pour but d’élire le meilleur d’entre nous et lui accorde un titre pendant deux ans. Le concours se déroule en trois temps forts. Au premier round, nous avons à répondre à 100 questions en 100 minutes qui notent les compétences viticoles, œnologiques, chimiques, mais aussi les connaissances en matière de vins étrangers, de boissons — bières, eaux minérales, jus de fruits… — et toute l’actualité du vin. Elles sont suivies de deux diaporamas, l’un nous demandant d’identifier 20 visages du monde du vin et de la restauration, l’autre des châteaux, des propriétés et des ustensiles de vinification et de cuisine. Venait ensuite une dégustation à l’écrit puis le seul atelier : la découverte d’un vin. Sept d’entre nous se sont qualifiés pour la seconde étape, la demie-finale qui a eu lieu le 19 septembre à Bordeaux, ville choisie car aucun n’était originaire de la région. S’y sont déroulés un deuxième écrit, d’autres ateliers très complets et quelques d’oraux autour de dégustations. On nous a également posé une question pas commune : « comment décririez-vous votre métier à une classe de CM1 ? » En bref, nous avons été confrontés à des épreuves très variées, bilingues et intelligemment pensées afin de repousser nos limites. Trois sommeliers ont atteint la finale qui a été retransmise sur YouTube en direct. Elle se composait de sept ateliers et s’est déroulée sur scène au salon Equip’Hotel devant 800 spectateurs. Vous connaissez la suite…
A quel moment vous êtes-vous dit que vous aviez envie de vous lancer dans cette aventure, vous qui êtes le chef sommelier de l’Hôtel de Crillon, un job à temps plein ?
X.T. : Bien qu’en effet nos journées à l’Hôtel de Crillon soient bien remplies, je me suis rendu compte qu’après pas mal d’années, mon niveau stagnait, notamment à cause d’une certaine routine qui s’installait. Ce concours — le tout premier auquel je participe — me trottait en tête depuis un moment et j’ai trouvé que c’était le bon moment pour m’y mesurer. Je me sentais près. D’autant qu’il me semblait être une parfaite préparation au concours du Meilleur Ouvrier de France, mon objectif principal. Cette remise en cause m’a fait beaucoup de bien et l’émulation des révisions a redynamisé mon équipe car nous nous entrainions quasi quotidiennement à l’Hôtel de Crillon.
Comment se prépare-t-on au MOF ?
X.T. : A la différence du concours de Meilleur Sommelier de France où l’on met en valeur la connaissance ‘Encyclopédique’ par des questions théoriques très poussées, le MOF est, dirais-je, un état d’esprit. Il récompense l’excellence professionnelle technique dans le Bel Art, c’est-à-dire le beau geste (la gestuelle et la technicité) du service en salle. Il était logique pour moi de me mesurer à ces deux certifications car la maison de Crillon prône l’excellence du savoir-faire à la Française. C’était aussi un risque, en cas d’échec… (rires)
Que représente la certification Meilleur Ouvrier de France pour un sommelier ?
X. T. : Les trois étoiles Michelin ! C’est le Panthéon, le Graal. J’aime bien les phrases de mes prédécesseurs, alors en voici une : « avant tu parlais, maintenant on va t’écouter. »
Quel est votre regard sur la starification des chefs alors que les sommeliers œuvrent encore dans leur ombre ?
X. T. : Nous avons un problème majeur : la Loi Evin qui fait que nous ne trouverons jamais d’émission type « Top Sommelier » à la télévision. Les deux professions sont en revanche intrinsèquement liées : il n’y aurait pas de salle sans cuisine et vice-versa. Parfois, la lumière est clairement partagée, comme par exemple à l’Hôtel de Crillon puisque c’est le choix des vins qui guide le menu et non l’inverse, un mode de fonctionnement rare qui démontre à quel point notre chef Boris Campanella est ouvert sur sa salle. En revanche, il est vrai qu’on connaît davantage des noms comme ceux des chefs Etchebest ou Bocuse, notamment pour leurs cols bleu-blanc-rouge. Finalement, ils partagent la lumière avec toute la profession et c’est ça qui est important.
Je prône une gastronomie liquide, un accord total entre mets et vin mais aussi bière, thé, café, décoction…
D’où vous est venue cette passion pour le vin et son univers ?
X. T. : Je suis né à Beaune, aux Hospices, ce n’est pas commun ! Mon grand-père était vigneron, il avait un hectare de Batard Montrachet, un grand cru de Bourgogne. J’ai donc toujours vécu dans le monde du vin. Petit, j’étais fasciné par les odeurs de vinification qui embaumaient mon village, Meursault. Mais également par les grands restaurants ! J’ai notamment fêté mes 18 ans chez Georges Blanc qui travaillait à l’époque avec le sommelier MOF Fabrice Sommier. Cette paire m’a subjuguée, elle conjuguait mes deux passions.
Comment devient-on sommelier ?
X. T. : De mon temps, il fallait passer la mention complémentaire en sommellerie en lycée hôtelier. De nos jours, il existe d’autres moyens de se former, notamment le diplôme décerné par WSET (The Wine & Spirit Education Trust est un organisme international qui délivre des formations et des examens dans le domaine des vins et spiritueux, ndlr). Tout le monde n’a pas la chance de faire un lycée hôtelier donc il m’arrive aussi de recruter des personnes qui ont obtenu le niveau 2 ou 3 de ce diplôme. Seule la passion importe pour moi. La technique peut être peaufinée, perfectionnée et peut évoluer. En revanche, une façon d’être ne pourra que difficilement changer. Je recrute d’abord des personnes gentilles, souriantes, généreuses et prêtes à s’investir.
Vous avez côtoyé de très belles maisons (Bernard Loiseau, Pierre Gagnaire au Meurice, le Peninsula) avant de vous installer à l’Hôtel de Crillon. Est-ce de cette façon que vous avez affiné vos goûts et votre expertise ou plutôt visitant les exploitations et en rencontrant les vignerons ?
X. T. : Il y a un peu des deux. J’ai perfectionné ma technique dans les grandes maisons : la recherche du détail, de l’excellence, la régularité, notamment. J’ai appris à faire que mes automatismes soient excellents. Quand on répète pendant quinze ans le même geste, il devient un réflexe. En revanche, c’est auprès des vignerons que j’ai travaillé mon palais, mes goûts et ma sensibilité. Je ne suis finalement qu’un messager entre leurs vins et le client.
Comment décrire un grand sommelier ?
X. T. : Il donnera de l’émotion avec une bouteille coûtant 10 000 euros de la même façon qu’avec une bouteille à 30 euros. Voir un couple qui a économisé pendant des mois à ma table me met beaucoup plus la pression qu’un milliardaire qui a l’habitude des Petrus… Avec eux, je n’ai pas le droit de me tromper car ce moment restera unique.
Vous arrivez à l’Hôtel de Crillon en 2017. En 2013, la maison a vendu quasiment toute sa cave avant sa réfection. Quel challenge représentait le projet de remplir à nouveau les caves de l’un des établissements français les plus prestigieux ?
X. T. : Quelle opportunité unique ! J’ai pris conscience que j’allais marquer la maison de mon empreinte puisque ces vins que j’allais acheter seraient peut-être débouchés par mes successeurs. Concrètement, j’ai fait l’acquisition de 40 000 bouteilles issues uniquement des domaines que j’ai visité dans ma carrière, soit 17 ans de travail remis à plat. Il m’a fallu jongler entre les grands domaines prestigieux, nécessaires à notre maison, et les vins plus canaille, ceux de jeunes artisans et de jeunes talents âgés de pas plus de 25 ans parfois… Je confesse néanmoins qu’il y a à la carte un peu plus de bourgognes que d’ordinaire ! (rires)
Pour la cave de l’Hôtel de Crillon, je n’ai jamais recruté d’appellation, seulement des vignerons.
Quel regard posez-vous sur les vins biodynamiques et nature ?
X. T. : 100 % des vins au verre de ma carte sont issus d’une agriculture raisonnée. C’est l’avenir ! Un vin issu de ce mode de culture va obliger les racines de sa vigne à s’enfoncer plus profondément dans la terre pour aller chercher ses nutriments, puisqu’aucun produit chimique ne vient les lui donner. Il n’y a que la biodynamie pour amener la vigne à puiser le meilleur de son terroir. Rappelons qu’elle est une philosophie qui consiste à prendre soin de la vigne, du matériel végétal, des employés de son domaine puisqu’ils ne sont plus confrontés aux pesticides et, bien sûr, de ceux qui boivent le vin, puisqu’ils ne contiennent aucun produit chimique. Quant aux vins natures, c’est autre chose. Je les valide si leur aromatique est nette et précise. Certains présentent trop de défauts, notamment dûs à l’absence de totale de soufre ajouté qui stabilisent pourtant la formule chimique du vin. Soufre n’est pas un gros mot !
En quelques mots, qu’est-ce qui fait un grand vin ?
X. T. : L’adéquation d’un lieu et d’un savoir-faire. La notion de grand vin n’a rien à voir avec un prix.
Un exemple récent ?
X. T. : J’ai été bluffé par un vin corse du clos Venturi, en rouge, sur le millésime 2019, d’une netteté incroyable. Son cépage, le Sciaccarellu, est selon moi le plus impressionnant de la Méditerranée. Il amène des vins digestes, frais, élégants, nobles avec des arômes de rose séchée. Des vins magnifiques… C’est une réussite totale de la Corse qui signe sa renaissance.
Hôtel de Crillon
6 Pl. de la Concorde, 75008 Paris
Site internet
L’Ecrin
Une étoile Michelin
3 Séquences façon carte 195 €
5 Séquences 185 €
7 Séquences 235 €
5 ou 7 Séquences vins de légende 735 – 785 €