The Good Business
Deux ans après son arrivée à la tête de Renault, Luca de Meo a accepté de recevoir The Good Life pour faire le point sur la « Renaulution », le programme de relance qu’il a imaginé pour le groupe au losange.
Cet Italien de 55 ans, qui parle couramment 5 langues, sillonne brillamment le monde de l’automobile depuis une trentaine d’années, avec de jolis coups d’éclats chez Fiat ou encore Seat. Renault lui était déjà familier, puisque c’est là qu’il a fait ses premiers pas dans l’industrie. The Good Life a rencontré Luca de Meo.
C’est dans l’ancien bâtiment de la direction de feu l’usine de Boulogne-Billancourt que Luca de Meo nous reçoit, là même où le plan de la « Renaulution » a été échafaudé avec une quarantaine de collaborateurs. Son bureau n’a rien de l’antre bien gardé au sommet d’une pyramide, mais ressemble davantage à une salle de réunion ouverte aux débats. Et histoire de mettre son interlocuteur à l’aise, il donne volontiers du « tu », évidemment satisfait qu’on lui rende la pareille.
La bio express de Luca De Meo
- 1967 : naissance de Luca de Meo, à Milan.
- 1992 : diplôme en administration des affaires obtenu à l’université Bocconi, à Milan. Démarre dans l’industrie automobile chez Renault.
- 2005-2009 : directeur de Fiat, Lancia et Alfa Romeo.
- 2015-2020 : président du comité exécutif de Seat.
- Actuellement : directeur général de Renault SA, président de Renault SAS et directeur général de la marque Renault.
The Good Life : Les chiffres du 1er semestre 2022 sont très bons… Renault a même réalisé à la plus forte hausse du CAC40 le 31 août. La Renaulution est-elle bien en marche ?
Luca de Meo : Oui, nous avons réalisé l’un de nos meilleurs résultats semestriels en dix ans. Nous avions annoncé une phase un (Résurrection) jusqu’en 2023, une phase deux (Rénovation) en 2023-2025 et une phase trois (Révolution) à partir de 2025. Donc oui, notre plan Renaulution a plutôt pris de l’avance, malgré toutes les difficultés que nous avons traversées. Nous avions annoncé une prévision de rentabilité de 3 % en 2023 et de 5 % en 2025. Au 1er semestre 2022, nous étions en avance sur nos objectifs avec près de 5 % déjà.
À l’automne, nous organiserons un Capital Market Day pour donner une nouvelle feuille de route à moyen et long terme. Pour autant, les crises ne sont pas finies : il y a toujours une pénurie de semi-conducteurs, le conflit russo-ukrainien persiste et maintenant le prix du mégawattheure s’enflamme. Oui, nous traversons une période de grande volatilité et d’insécurité… L’année dernière, nous avons perdu 500 000 véhicules en raison de la crise des semi-conducteurs, nous prévoyons un impact de 300 000 cette année… Après tout ce que nous avons vécu, j’ai totalement confiance dans les équipes de Renault, qui ont su gérer des situations très compliquées, pour faire face à l’avenir.
The Good Life : Rapidement, pour revenir sur la délicate situation de Renault en Russie, le retrait était-il inévitable ?
Luca de Meo : Il fallait prendre une décision très vite. D’une part, les sanctions internationales nous empêchaient de fabriquer des voitures. D’autre part, la Douma venait d’acter le fait qu’une faillite de société internationale allait être considérée comme frauduleuse. Enfin, il nous fallait assurer l’avenir de nos salariés russes. Cette prise en étau était ingérable. En passant un accord avec le gouvernement et la ville de Moscou, nous avons trouvé une solution, nous libérant en même temps de la dette, convenant d’une option de retour sous six ans et, surtout, nous assurant que les employés allaient continuer d’avoir un travail et d’être payés… Finalement, en trois mois, les résultats de Renault ont plus que compensé la perte de la Russie qui, certes, représentait 18 % des volumes de ventes, mais moins de 5 % de notre rentabilité.
The Good Life : Tu as déclaré que Renault devait rester une marque populaire puisque c’est son ADN. Doit-on comprendre qu’il n’y aura plus de grandes berlines pour rivaliser avec les modèles d’outre-Rhin ?
Luca de Meo : Je vais être honnête : Renault n’a effectivement pas la légitimité pour aller jouer sur le terrain du premium avec les Allemands. Mais je voudrais revenir sur le mot populaire auquel je préfère le terme « pop ». Renault est une marque pop, comme en musique lorsqu’on fait la distinction entre la pop et la variété qui est populaire. Selon moi, la pop permet tout à fait de développer des projets innovants et ambitieux. Et à l’inverse de Premium, le terme pop renvoie à l’inclusivité. Je veux que Renault soit une marque inclusive. Les marques Premium recherchent l’exclusivité, alors que nous, nous cherchons à séduire le plus grand nombre de conducteurs.
The Good Life : Le prochain Mondial de l’automobile sera-t-il donc inclusif ?
Luca de Meo : C’est compliqué de révéler à quelques jours du Mondial le contenu de notre présence. Mais on y verra la Mégane E‑Tech (100 % électrique), qui est actuellement en tête des chiffres de vente de sa catégorie et qui suscite l’intérêt de nombreux propriétaires de véhicules d’autres marques. Surtout, ce sera le lancement de l’Austral (hybride), qui vient remplacer le Kadjar. Et d’autres surprises. Ces modèles augurent déjà de la phase deux de la Renaulution.
The Good Life : La R5, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, est prévue pour plus tard ?
Luca de Meo : La R5 électrique doit arriver en concession début 2024. C’est le parfait exemple d’une auto inclusive et elle sera le premier véhicule de la nouvelle vague Renault. Cette voiture est un nouveau projet complet qui va bénéficier d’une nouvelle plate-forme, sera assemblée dans une usine en France… Et nous avons même réussi à réduire la phase de développement de 25 %, puisqu’il se sera écoulé trois ans entre le début du projet et le lancement.
The Good Life : La R5 s’appuie beaucoup sur son design. Est-ce un élément important de la Renaulution ?
Luca de Meo : Si tu me questionnes sur le design, tu prêches un converti ! J’ai toujours accordé une grande importance au design. Mon projet pour la Fiat 500, sur une base de Panda, en est un parfait exemple. La majorité des gens achètent une auto pour son design, à performance égale et même si le prix est plus élevé. Donc le design est très important. Mais maintenant, il faut aussi compter avec l’accélération de la technologie. Les changements dans ces domaines rebattent totalement les cartes. Chez Renault, il y a Dacia, un phénomène à part entière quasi unique.
Dacia est une marque basée sur le rapport qualité-prix qui n’a clairement pas de concurrents. C’est un cas unique qui tient au contexte de Renault, avec, au départ, une culture de l’ingénierie frugale. Quelques personnes ont eu une certaine vision et l’ont mis en adéquation avec un outil industriel à faible coût et un modèle de distribution très économique profitant du système de distribution Renault. Désormais, on observe une forme de coolitude avec cette marque. Les propriétaires, pour l’essentiel des particuliers, se sentent assez fiers de démontrer qu’ils ont eu raison de faire confiance à la simplicité de Dacia. Et depuis, le design est présent, le financement proposé est basé sur des loyers attractifs… Dacia est très difficile à copier.
The Good Life : À quand une voiture autonome chez Renault ?
Luca de Meo : Une voiture roulant toute seule n’est pas encore à l’ordre du jour, mais nous pensons que cela vaut la peine d’investir sur les technologies de connectivité, car certaines innovations vont permettre d’améliorer le confort à bord (assistance à la conduite) et surtout la sécurité. Il faut avoir à l’esprit que 90 % des accidents sont dus à une erreur humaine.
The Good Life : Alors que Renault mise sur la voiture électrique, le choix de la formule 1, et non de la formule E n’est-il pas paradoxal ?
Luca de Meo : L’engouement pour la formule E est encore très marginal. Cela fait 43 ans que Renault participe à l’histoire de la formule 1. C’est de fait la plate-forme marketing idéale pour Renault. Cependant, nous avons alloué la F1 à Alpine, dont la gamme grand public deviendra, à partir de 2025, totalement électrique. L’idée est de faire d’Alpine une marque entre mini-Ferrari et mini-Tesla et de faire en sorte que l’activité de course donne l’engouement nécessaire à ce projet industriel, aux yeux des enthousiastes de la voiture qui vont le plébisciter.
The Good Life : Tu as dit que la phase deux est déjà en route. Que peux-tu nous dire de la phase trois qui doit suivre ?
Luca de Meo : Nous avons décidé d’opérer une métamorphose de Renault. Nous avons commencé, il y a un an et demi, par réorganiser l’entreprise autour de quatre marques bien distinctes pour qu’elles soient plus agiles et plus à même de répondre aux besoins des marchés. Et cela marche : il y a une identité propre à chaque équipe, de la cohérence, de la transparence économique. Ces marques, nous allons désormais les développer autour d’un set de technologies homogènes entre elles.
Renault, autour de l’électrique et de la technologie ; Dacia, autour des moteurs à combustion réinventés, l’e‑fuel ; Alpine, avec la technologie de la course amenée à la grande série, et Mobilize, lié aux services de la mobilité. Renault va s’orienter vers de nouvelles chaînes de valeur et devenir ainsi une entreprise hypermoderne, basée sur l’innovation et la capacité d’adaptation. D’ici à 2025, 25 nouveaux modèles seront lancés dans les quatre marques du groupe. Nous aurons sans aucun doute la meilleure gamme du groupe depuis des décennies.
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