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Avec la pandémie de Covid, la pratique du vélo a explosé partout, notamment en France. Réjouissant les fabricants, transformant la ville, modifiant les habitudes de travail… Des politiques publiques ambitieuses doivent maintenant rendre ce phénomène irréversible.
C’est une date que personne n’oubliera. Le 11 mai 2020, la France sort d’un confinement inédit. Les marchands de cycles s’en souviennent à coup sûr : dans le mois qui a suivi, les ventes de vélos neufs ont explosé de 117 %. Le nombre de kilomètres parcourus à vélo a bondi partout, avec des pics comme à Bordeaux (+ 197 %).
Une ère nouvelle s’est ouverte et peut-être aussi une nouvelle façon de vivre, en Europe, dans des pays culturellement peu enclins à la pratique du vélo, comme l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni… Et jusqu’aux États-Unis. En scrutant Maps, Google a noté que les Américains ont été parmi les plus nombreux à rechercher des itinéraires cyclables en 2020 ; seuls les Allemands ont fait mieux.
Dans la tentaculaire Los Angeles, comme aux heures grandioses, mais éphémères, du bike boom des années 70, les amateurs ont regagné du terrain sur la voiture au-delà des itinéraires fétiches de Venice Beach ou Santa Monica… Le phénomène mondial né de la pandémie va durer pour une raison simple : il avait commencé bien avant !
« Le vélo est devenu légitime comme mode de transport, notamment en France où il l’était surtout pour les loisirs. C’est une lame de fond durable », assure Olivier Schneider. À la tête de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), fondée en 1980, il a connu des années moins fastes. « Nous encourageons l’utilisation du vélo comme moyen de déplacement quotidien, et les vingt premières années ont été difficiles, sourit-il. C’est venu par paliers successifs, avec un premier grand tournant autour de 2010 et la multiplication des systèmes en libre-service. Dans les zones urbaines, la part des trajets réalisés à vélo a commencé à augmenter. »
Communément admis comme le plus représentatif, ce critère étalonne les pays : à 3 %, la France reste en queue du peloton européen, loin de l’Allemagne (12 %), et encore plus des champions que sont le Danemark (24 %) et les Pays-Bas (36 %).
L’importance des infrastructures
Ne croyons pas que nos voisins du Nord ont toujours circulé à vélo ; ils ont aussi bâti leurs villes autour de la voiture, mais ils ont changé de modèle bien plus tôt. « Le vélo présente toutes les qualités pour avoir un impact sur la qualité de l’air, la pollution sonore, la santé… explique Clotilde Imbert, qui dirige Copenhagenize France, un cabinet d’urbanisme cyclable créé au Danemark. C’est un outil pas cher et efficace. Nous avons tous les arguments rationnels pour évoluer vers des villes plus cyclables ; pourtant, cela ne suffit pas à prendre des décisions. Des chocs comme la crise de 2020 accélèrent la transformation, à condition que le portage politique suive et débouche sur des infrastructures qualitatives, et pas seulement des “coronapistes”. »
En substance, il vaut mieux bâtir 10 kilomètres bien aménagés que 100 bricolés qui n’inciteront pas à une pratique durable. « Les infrastructures sont la clé. En France, on a fait des pistes cyclables de 1,5 mètre de large alors que nous préconisons de 2,25 à 2,5 mètres. Une fois, elles sont sur le trottoir, une autre, sur la chaussée. À gauche d’un tramway ou à droite… On a un peu organisé le chaos ! Mais aujourd’hui, il n’y a jamais eu autant de projets importants, dans tous les territoires : centre-ville, périphérie, rural », poursuit la spécialiste qui travaille avec Montpellier, Lille, Brest ou Arcachon.
À Lyon, la métropole lance le réseau express vélo (REV) : 250 kilomètres de pistes double voie sans rupture pour tripler les déplacements d’ici à 2026. Le chantier de ce REV, véritable autoroute cyclable, commence en octobre avec un premier tronçon de 17 kilomètres. « Cela permettra de lutter contre la pollution, de raccourcir les temps de trajet, de se maintenir en bonne santé et de faire des économies, s’enthousiasme Bruno Bernard, le président écologiste du Grand Lyon. Parce qu’une fois qu’on possède son vélo ça ne coûte plus rien ! »
Au long du parcours sont prévus signalétique adaptée, arceaux de stationnement, bornes de gonflage et fontaines à eau. Toutes les initiatives sont bonnes pour amorcer la pratique. Cet été, à Paris, la RATP a noué un partenariat avec la start-up Zoov : 15 minutes gratuites de vélo électrique chaque jour pour compenser l’interruption du trafic liée aux travaux.
« L’objectif était d’éviter que les usagers se reportent vers la voiture en les orientant vers des mobilités douces et actives qu’ils peuvent poursuivre à la rentrée », explique la cofondatrice de Zoov, Amira Haberah. Selon la FUB, 75 % des trajets quotidiens pourraient se faire à vélo, ce qui permettrait la diminution d’un quart des émissions de CO2 liées aux transports.
Le plan vélo de 2018, le premier du genre en France, prévoit 90 000 places de stationnement dans les gares d’ici à 2024 pour faire du vélo un élément central d’un trajet multimodal. « C’est l’une des conditions pour massifier la pratique comme aux Pays-Bas », assure Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, à l’École polytechnique.
L’essor du « vélo-taf »
Si l’engouement pour la bicyclette transforme la ville, il fait aussi bouger l’entreprise : le vélo de fonction va-t-il devenir aussi statutaire que la voiture ? Un géant comme Orange y travaille, après une consultation interne qui a reçu 15 000 réponses favorables.
Les salariés n’auront sans doute pas droit à un engin haut de gamme Angell, mais la marque de l’entrepreneur Marc Simoncini propose la mise à disposition d’une flotte pour tout le personnel ou un vélo attitré à chaque salarié. La société Tim Sports s’est créée aussi, fin 2019, sur la location aux entreprises, avec un package complet comprenant la maintenance et l’assistance rapatriement.
Depuis mai 2020, le forfait Mobilités durables accompagne salariés et employeurs dans la prise en charge du trajet domicile-travail, le désormais fameux « vélo-taf » ! Edenred, le géant français des titres prépayés, comme le ticket-restaurant, s’est engouffré dans ce nouveau marché : il vient de mettre au point un ticket-mobilité numérique qui simplifie les démarches des entreprises soucieuses de proposer une autre voie à leurs salariés.
Le vélo, une filière génératrice d’emplois
Les possibilités semblent sans limites et boostent en amont la filière des fabricants, qui innove pour élargir l’offre de cycles. Urbain, sportif ou tout terrain, c’est du classique. Moins connus sont le vélo pliable, le « gravel », le cargo (pour les familles et la logistique), ou encore le smartbike connecté de la start-up belge Cowboy et son chargeur de téléphone sur la potence !
Bardé de technologies, le bolide de la marseillaise iWeech n’a pas de bouton pour changer les vitesses : un capteur dans le pédalier le déclenche automatiquement. Autre niche en développement, le speed bike, comme celui du vosgien Moustache, un VAE de grande autonomie et qui n’est pas bridé à 25 km/h. S’il entre alors dans la catégorie des cyclomoteurs (immatriculation, casque obligatoire…), il permet de remplacer plus facilement la voiture.
C’est toute une industrie qui renaît ainsi en France, même si les importations comptent encore pour 80 % des ventes. La production sur le territoire devrait croître de 40 % en 2021, selon les estimations. « Le Portugal et la Pologne ont créé des clusters pour échapper à la dépendance asiatique et livrer le marché européen. En France aussi existe une vraie volonté de relocalisation de notre filière, affirme Virgile Caillet, le délégué général de l’Union Sport & Cycle, qui rassemble les entreprises du secteur. Parce que la trajectoire reste très favorable, qu’il n’y a plus de barrières culturelles à l’usage du vélo. La demande de VAE va encore croître de 50 %, même si les industriels ne pourront pas suivre à cause de la pénurie de certains composants. »
La filière fait face également à un déficit de main-d’œuvre : elle recrute des techniciens qualifiés, des réparateurs, des vendeurs… L’économie du vélo en général est fortement génératrice d’emplois : on estime que 1 million d’euros investis créent 20 emplois contre seulement 3 dans l’automobile. Ses retombées indirectes sont fortes sur la logistique, la livraison, le tourisme… Est-ce un signe de son institutionnalisation, le vélo a maintenant son Dalloz, Le Code du cycliste. C’est gravé dans la loi : le vélo a bien fait sa révolution !
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