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Milan, du Salone del Mobile aux Jeux Olympiques : se relever après la pandémie

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Depuis l’Exposition universelle qui lui a donné une dimension de ville européenne, Milan capitalise sur les effets de cet événement pour se réinventer. Fortement touchée par la pandémie, elle fait aujourd’hui preuve d’une grande capacité d’adaptation et s’active dans la perspective des jeux Olympiques d’hiver de 2026, qu’elle partage avec Cortina d’Ampezzo.

Avant d’accueillir l’Exposition universelle en 2015, Milan était réputée pour ses salons de la mode le Salone del Mobile (du 5 au 10 septembre 2021), pour ses universités publiques et privées, et pour son activité financière et économique. Cela lui valait d’être qualifiée de capitale économique de l’Italie, appellation renforcée par la présence dans la ville de la place boursière transalpine et d’un grand nombre d’acteurs majeurs de l’industrie, des services et des médias du pays.

« L’Expo 2015 est le changement le plus radical que j’ai vu à Milan en quarante ans ! affirme Sandro Neri, directeur du quotidien milanais Il Giorno. Jamais la ville n’avait attiré autant de touristes. En plus de la mode, du design et du meuble, Milan est devenue réputée pour ses restaurants étoilés et ses produits de grande qualité. Des quartiers entiers ont été transformés. Aujourd’hui, Milan est vraiment au niveau des grandes capitales européennes ! »

Cette évolution fait l’unanimité. Développement du tourisme, d’une scène artistique et culturelle, visibilité internationale concrétisée par l’arrivée de grandes marques, comme Starbucks ou Apple, par exemple, Milan était en pleine expansion… jusqu’en février 2020 !

Quartier d’affaires en développement, Porta Nuova accueille, notamment, la tour Unicredit.
Quartier d’affaires en développement, Porta Nuova accueille, notamment, la tour Unicredit. Stefan Giftthaler

Le choc de la pandémie à Milan

« La pandémie de Covid-19 a été un véritable choc pour la ville, alors qu’elle était en train de devenir une “business city” internationale, capable d’être le barycentre de l’Italie du Nord. Après ce choc, Milan ne pourra pas repartir sur les mêmes bases », constate Giuliano Noci, professeur de stratégie et marketing à la School of Management du Politecnico di Milano.

La Lombardie a été la première région européenne frappée par le coronavirus. Avant la fin février 2020, alors que les autres villes italiennes et européennes commençaient tout juste à appréhender le sujet, Milan fermait ses musées et ses salles de spectacle. Très vite, ce sont les écoles, les universités, les commerces, les bars et les restaurants qui ont fermé leurs portes.

En 2019 et en 2020, Milan était première du classement du quotidien économique Il Sole 24 Ore sur la qualité de vie en Italie.
En 2019 et en 2020, Milan était première du classement du quotidien économique Il Sole 24 Ore sur la qualité de vie en Italie. Stefan Giftthaler

Puis, comme partout ailleurs dans le monde, la ville s’est vidée, le télétravail s’est imposé à ceux qui le pouvaient, les rues se sont faites silencieuses. « Le Covid-19 a affecté le monde entier. Contrairement à la crise financière de 2008, le virus est un grand égaliseur. La disruption est collective, elle n’a rien de spécifique à Milan. Cela dit, la chance de Milan, ce sont les jeux Olympiques de 2026, qui constituent une forte motivation à repartir. Et nous sommes prêts à repartir ! » assure Gianmario Verona, recteur de l’école de commerce et de management Bocconi.

Il faudra pour cela que les édiles et les acteurs économiques reproduisent le cercle vertueux qui a fait de l’Expo 2015 un succès aux retombées durables pour la ville et la région. « L’intérêt des grands événements est que des gens qui se voient trois fois par an habituellement se voient trois fois par semaine pendant plusieurs années pour créer ensemble des stratégies qui ont des retombées structurelles dans de nombreux domaines, retombées qui vont bien au-delà de l’événement lui-même », souligne Giuliano Noci.

Et d’espérer que les JO d’hiver de 2026 susciteront la même énergie et le même état d’esprit que l’Expo 2015. Pour être prête à repartir et remettre toutes les chances de son côté, Milan devra composer avec de nouveaux paramètres. Le télétravail s’est installé dans le paysage économique de la ville, et ce de façon durable. « Que deviennent les tours de Porta Nuova si les employés travaillent à domicile deux jours par semaine ? » interroge Sandro Neri. Au-delà de ce quartier, que se passe-t-il si 500 000 personnes n’entrent plus dans la ville chaque matin pour y travailler, y déjeuner, y consommer, y prolonger leur journée d’une séance de cinéma ou d’un dîner au restaurant ?

Beaucoup craignent les effets en cascade sur l’économie. Moins d’employés en ville, ce sont, à court terme, moins de commerces, une baisse progressive du prix de l’immobilier, une moindre attractivité et des tours de bureaux largement inoccupées. Marco Sala, directeur Italie de PwC, reste confiant alors que le cabinet d’audit et de conseil s’est installé en octobre 2020 dans la tour Libeskind, l’une des trois de CityLife, quartier qui s’est récemment développé à l’ouest de Milan, sur l’ancien site de la Fiera di Milano.

Durement frappée par la pandémie, la ville de Milan se réinvente. Elle peut compter sur son attractivité et de solides atouts.
Durement frappée par la pandémie, la ville de Milan se réinvente. Elle peut compter sur son attractivité et de solides atouts. Stefan Giftthaler

« Plusieurs partenaires et entreprises proches de nos activités nous ont déjà fait savoir qu’ils prendraient volontiers un étage de la tour s’il y en avait de disponibles, mais nous ne voulons pas. Bien sûr, à cause du télétravail, la tour n’accueille chaque jour qu’un tiers des 3 500 employés de PwC Milan, mais nous voulons qu’elle reste ouverte et disponible pour nos employés, nos clients et pour la communauté. Nous sommes là pour le long terme. »

La décision d’accrocher le nom de PwC en haut de cette tour de 28 étages pour une durée de quinze ans a été prise collectivement par les 100 associés italiens du réseau PwC. Celui-ci compte 24 bureaux et emploie 7 000 personnes dans le pays, dont la moitié à Milan.

De nouvelles opportunités

La ville entend aussi relancer les activités qui ont nourri sa croissance depuis 2015, mais avec une nouvelle approche. Une forme de « destruction créatrice » telle que la définissait l’économiste Joseph Schumpeter. « Il s’agit de retrouver un parcours de croissance à identité constante, avec de nouvelles opportunités dans les business émergents de l’économie verte et de la transformation numérique », résume Giuliano Noci.

Il prend l’exemple de la fashion-week dont l’édition de février 2021 s’est déroulée en ligne. « Seulement 5 000 personnes ont participé à cette édition, mais la mise en ligne des événements, qui seront toujours plus virtuels, va faire émerger de nouveaux besoins et de nouveaux métiers. Milan était une “business city”, elle doit devenir “the innovation city”, un hub de l’innovation, de la connaissance et de la qualité de vie ! »

Pour y parvenir, Milan mise sur son attractivité et sur ses solides atouts. En 2019 et en 2020, elle a occupé la première place du classement du quotidien économique Il Sole 24 Ore sur la qualité de vie en Italie. En 2021, comme dans de nombreux pays d’Europe, les grandes villes italiennes et les plus touristiques ont cédé le pas devant les villes de taille moyenne, et Milan a perdu sa première place au profit de Bologne.

Quartier d’affaires en développement, Porta Nuova accueille, notamment, la tour Unicredit.
Quartier d’affaires en développement, Porta Nuova accueille, notamment, la tour Unicredit. Stefan Giftthaler

Mais d’autres indicateurs poussent à l’optimisme. La population de la ville, qui a diminué jusqu’en 2010, augmente de nouveau et a atteint 1,4 million d’habitants en 2020. Le développement massif du tourisme depuis une décennie a incité les Milanais à s’ouvrir aux étrangers et, pour être plus accueillants, à se mettre à l’anglais.

Nombre de restaurants, de commerces et de chauffeurs de taxi pratiquent désormais cette langue. Le Duomo et la Scala sont certes des arguments de poids, mais il faut autre chose pour faire venir des experts en biogénétique ou en intelligence artificielle. Grâce à la réputation de ses universités et de ses centres de R&D, Milan attire à présent des chercheurs étrangers, qui n’hésitent plus à venir s’installer pour plusieurs années.

Pont entre le Nord de l’Europe et la Méditerranée, Milan revendique son héritage austro- hongrois et calviniste pour se forger une image bien à elle qui la distingue des clichés sur les Italiens. « Les Milanais sont les plus germaniques des Italiens. Grâce à ce mix d’héritage, nous sommes l’une des quatre régions les plus riches d’Europe », explique Giuliano Noci.

Milan après la pandémie : « Work, live and play »

S’il est un domaine que la pandémie n’a pas ralenti et qui prépare la ville à rebondir rapidement, c’est celui de la construction et des chantiers. Milan compte plusieurs grands projets de réhabilitation, qui transforment des friches industrielles ou des banlieues jusque-là peu prisées en autant de « villages urbains » investis par les télétravailleurs et leurs familles en mal d’appartements plus spacieux et d’espaces verts.

Pour répondre à cette demande croissante, les nouveaux projets d’immeubles de bureaux et de quartiers d’affaires sont revus au profit d’écoquartiers offrant du résidentiel, des espaces de travail, des commerces, dans un environnement arboré. « Les business parks qui se vident la nuit, c’est fini ! Les jeunes veulent un mix de services où ils trouvent des appartements, des bars et des restaurants. Nous sommes à l’ère du “Work, live and play” ! » résume Andrea Ruckstuhl, directeur Europe, Moyen-Orient, Afrique (EMEA) de Lendlease, opérateur immobilier spécialisé dans la restructuration de quartiers.

En 2019 et en 2020, Milan était première du classement du quotidien économique Il Sole 24 Ore sur la qualité de vie en Italie.
En 2019 et en 2020, Milan était première du classement du quotidien économique Il Sole 24 Ore sur la qualité de vie en Italie. Stefan Giftthaler

Lendlease met en œuvre son modèle dans les quartiers du Milano Innovation District (MIND) et de Santa Giulia. Le secteur du numérique, lui aussi porté par la crise sanitaire, apporte à l’économie milanaise une accélération comparable à celle qui a suivi l’Expo 2015. Le télétravail a généralisé le recours à des applications logicielles de visioconférence, de collaboratif, de partage de documents, etc., et augmenté l’utilisation du cloud.

« La pandémie s’est traduite par un véritable tsunami numérique. D’un seul coup, tous les projets de transformation sont sortis du tiroir. L’Italie est en train de rattraper son retard sur le sujet, surtout les grandes entreprises, qui ont été plus lentes à évoluer », remarque Emmanuel Becker, directeur général d’Equinix Italie, exploitant de data centers qui interconnectent les entreprises, les grands réseaux télécoms, les acteurs du cloud…

Déjà au cœur des échanges économiques de la péninsule, Milan devient un nœud pour les échanges numériques des entreprises et des particuliers du pays. Pour répondre aux besoins croissants de connexion, Equinix a d’ailleurs démarré en juillet 2020 la construction d’un quatrième data center dans la périphérie de Milan, à Settimo.

Une ville attractive

Pour aider son économie à redémarrer rapidement, Milan dispose d’un atout supplémentaire. Fin février, la Commission européenne a donné son feu vert au rachat par Euronext – pour 4,33 milliards d’euros – de la place boursière transalpine, jusque-là propriété du London Stock Exchange. En rachetant la bourse de Milan, Euronext, qui gère déjà six places boursières en Europe dont celle de Paris, devient la principale infrastructure de marché paneuropéenne.

Cette opération, qui montre que la confiance dans le marché financier italien est revenue, va contribuer à le redynamiser. « Milan est le centre de gravité du pays. En y étant présent, nous sommes proches des banques d’affaires, des investisseurs, des médias, de la Bourse et de nos clients », détaille Marco Nespolo, directeur général de Fedrigoni. Ce groupe papetier, dont le siège historique est à Vérone, a été racheté en 2018 par Bain Capital, qui a entrepris de le restructurer et de le relancer, notamment par des acquisitions.

C’est dans la périphérie de Porta Romana, ancien quartier industriel, que le groupe de luxe Prada a inauguré sa fondation pour l’art contemporain, en 2015.
C’est dans la périphérie de Porta Romana, ancien quartier industriel, que le groupe de luxe Prada a inauguré sa fondation pour l’art contemporain, en 2015. Stefan Giftthaler

Fin 2020, Fedrigoni a ouvert des bureaux à Milan, dans le nouveau quartier de Porta Romana, à proximité de la fondation Prada. « La ville propose un vivier de talents important. Si nous voulons attirer des candidats étrangers, jeunes, et les faire travailler ensemble, Milan est plus attractif que Vérone ! » conclut Marco Nespolo.

Malgré la crise sanitaire, la ville semble avoir trouvé la recette pour entretenir cette attractivité : regarder vers l’avenir, miser sur l’innovation et la connaissance, favoriser l’interdisciplinarité et l’ouverture à l’international. Un cocktail qui semble lui réussir !


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