The Good City
Transport
Dans son livre « Wagon-Bar, une brève histoire du repas ferroviaire », aux éditions Textuel, Arthur Mettetal présente un corpus de clichés de voiture-restaurants donnant à voir toutes les innovations qui ont rythmé les offres de restauration depuis l’époque des trains de luxe jusqu’aux rames des années 1990. Des festins chics du début du XIXème aux plats réchauffés du TGV, il retrace à grande vitesse l’épopée de l’assiette du wagon-bar.
Pour Arthur Mettetal, auteur de « Wagon-Bar, une brève histoire du repas ferroviaire », spécialiste du patrimoine ferroviaire et industriel, tout est parti d’une photo originelle, celle d’un croque-monsieur proposé à bord des trains Corail et TGV un peu trop bruni sur les côtés. Le cliché pris du dessus, peu engageant, ravive pourtant chez lui des souvenirs comme le ferait une madeleine de Proust : « un choc esthétique« , confie-t-il. Il commence dès lors à explorer les archives photographiques de la Compagnie International des Wagons-Lits (CIWL) ainsi que le fond du Service Archives Documentation du groupe SNCF (SARDO). Il voit passer des photos promotionnelles de wagon-bars rutilant et des images de plats savamment mis en scène qui le ramènent à la fin du XIXème siècle.
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Voyageur des années 1920 cherche Chateaubriand-béarnaise
« Les premiers repas dans les wagons sont, certes, luxueux mais ils répondent aussi à un besoin économique« , précise d’entrée de jeu l’historien des chemins de fer. En 1883, la compagnie des Wagons-Lits lance son Orient Express, un réseau international de trains de luxe avec couchettes, reliant Paris et Constantinople en 81 heures de trajet. Pour éviter les arrêts dans les buffets de gare, on déplace l’offre de restauration dans les wagons, avec son lot de tables dressées à quatre épingles et de fauteuils molletonnés. Le carte proposée est du même acabit que celles des restaurants de prestige des grandes villes, proposant des hors d’oeuvres et des huîtres pour commencer, un Chateaubriand de bœuf accompagné d’une sauce béarnaise et une coupelle de fruits frais pour clore le repas, dans la droite lignée des menu repensés par Auguste Escoffier, fondateur du restaurant moderne.
En revanche, les cuisines sont loin d’être aussi spacieuses : comptez 8m² en moyenne pour préparer un menu pour une personne à l’aide de fourneaux fonctionnant au charbon jusqu’à l’arrivée de cuisinière électrique dans les années 1920 : « Cette histoire des wagons-bars raconte aussi celle d’une course au progrès, précise Arthur Mettetal. Les repas à bord, accessibles seulement à quelques-uns, vont se démocratiser après la Seconde Guerre mondiale. Des trains plus abordables voient ainsi le jour, le Paris-Nice du Mistral, le Paris-Toulouse du Capitole, plus modernes que ceux de la CIWL dont le luxe et le matériel roulant paraissait désuet et obsolète. »
Train-train des sixties dans le wagon-bar
Les trains des années 1960 n’auront de cesse de s’afficher dans le vent, en témoigne la série de photos promotionnelles du Capitole mettant en scène la joie d’une famille aux enfants souriant et la détente de cadres dynamique en costume. Les fauteuils Pullman sont troqués contre des chaises écarlates moins larges, ce qui permet d’accueillir plus de monde dans le wagon. Si l’offre est peu ou prou équivalente à la celle de la traditionnelle gastronomie embarquée (tables drapées, carte des vins à portée de main, pot de moutarde en évidence), la révolution est d’abord technique, la vitesse du train atteignant les 200km/h.
Le Paris-Toulouse devient la première liaison ferroviaire à réaliser cet exploit : « C’est le début d’une ruée vers la vitesse pour la SNCF, rappelle l’historien, qui aura des répercussions sur l’offre de restauration à bord. Si le wagon restaurant permettait de gagner du temps en limitant les arrêts en gare au début du XXème siècle, la situation se renverse à partir des années 1970 : il s’agira d’en perdre le moins possible en élaborant les repas. »
“La nourriture à bord, c’est cher et pas terrible”
Les images promouvant ce nouvel art de vivre en train (le nouveau Mistral intègre une boutique, un secrétariat et même un salon de coiffure) ne doivent pas faire oublier la réalité : le service de repas à bord reste cantonné aux très grandes lignes comme celle du Trans-Europe-Express s’étalant de Milan à Hambourg.
La révolution des trains Corail avec la première ligne mise en circulation en 1975 ne consiste pas en un nouveau record de vitesse mais à la multiplication d’un modèle bon marché qui s’inscrit sur tout le réseau du territoire. Exit les cuisines sur rails, elles sont désormais inadaptées aux temps de trajet courts qui relient les petites et moyennes villes entre elles. Le Gril Express de ces nouvelles rames répond aux attentes des voyageurs désireux d’une autre forme de restauration, plus souple que le service à la table, avec ses vitrines à casiers où l’on y pioche ses coupelles de plats déjà dressés. Conçues par le designer Paul Arzens, ces boîtes vitrées, à l’image d’une cafétéria en libre-service, renferment les éternels macédoines, betteraves-vinaigrette et confits de canard à réchauffer au micro-ondes pour un prix inférieur à celui des voitures-restaurants traditionnelles — ce qui n’empêche pas une certaine déception de la part des passagers.
Dans les années 1980, alors que les trains Corail sont bien implantés partout en France, on entend déjà le refrain d’une nourriture plutôt coûteuse par rapport à sa qualité, en témoigne une vidéo de l’INA où la journaliste interroge sans pincettes le contrôleur des produits à bord du Paris-Rennes en 1983.
La genèse du croque-monsieur
Parallèlement au Gril Express, les Corail inaugurent leur bar. On traverse toute la rame pour atteindre le wagon-bar et son comptoir où quelques rangées de tables sont disposées. Le service y est continu mais l’offre se fait plus restreinte. Les plateaux-repas à la commande, vendus dans des boîtes en carton, dévoilent des assiettes de charcuteries quand il ne s’agit pas de paquet de chips et de conserves de pâté. Ils relèvent plus de la collation que du festin.
La carte est vite augmentée de pizzas, de quiches, de sandwichs triangles et de salades comme celle qui portera le nom du train, la « salade corail », à base de pomme de terre, d’olive, de tomates et de pâté de foie. Ce bar inédit met en vedette le fameux croque-monsieur dès 1975 qui ne quittera plus jamais sa place tant il est un succès de vente : on en commande encore aujourd’hui 650 000 chaque année. C’est d’ailleurs ce modèle de petite restauration qui inspirera la voiture 4 et 14 de nos TGV dès leur lancement en 1981.
Les temps de parcours étant de plus en plus réduits, les passagers perdent l’habitude de se restaurer à bord. Le Bar TGV reste rentable grâce à une offre de tartines et de viennoiseries pour les trajets matinaux et grâce à son « Sandwich 260 » : une boîte en carton représentant un TGV orange et ses trois « compartiments » mettent en avant la fraîcheur et le contenu d’un sandwich prédécoupé, garni de fromage, de crudités et de jambon. Ludique et déclinée en dix versions, la boîte incitait à en acheter d’autres pour reconstituer la rame entière.
Nourrir le train
Le travail d’archiviste d’Arthur Mettetal donne également à voir les coulisses des cuisines embarquées et des cuisines centrales, là où tous les aliments sont préparés avant d’être acheminés dans la rame. Les caves et la vaissellerie sont établies à Saint-Ouen au début du XXème siècle. 45 0000 bouteilles, 56 000 tasses à café, 52 000 assiettes ou encore 45 000 verres y sont stockés. La régie culinaire, quant à elle, se situe place des Vosges, les employés y décoquillent au préalable les Saint-Jacques, débitent les poissons en filets et pré-cuisent les légumes pour faire gagner du temps au cuisinier une fois dans la rame.
Une rame Paris-Marseille requiert par exemple, pour deux jours, 88 kg de viandes diverses, 27 boîtes de camembert, 150 kg de pommes de terre, 10 kg de cresson, 8 kg de filets de Saint-Pierre, 250 petits pains, 425 bouteilles de vins divers dont la moitié en Bordeaux.
Délocalisé à Bastille dans les années 1950, ce centre de ravitaillement continue de fournir les denrées préparées pour les wagon restaurant, Gril Express et Bar TGV jusqu’aux années 1990 où le sandwich triangle est roi et conduit les préparateurs à tartiner pléthore de tranches de pain de mie : « Cette brève histoire du wagon-bar n’aurait pas été complète sans montrer celles et ceux qui ont accompagné toutes les innovations technologiques et logistiques de la restauration ferroviaire, précise Arthur Mettetal. Ces photographies répondent d’ailleurs aux codes du reportage industriel de la part de la CIWL afin de montrer toute la modernité de leurs pratiques. »
La portée historique, voire anthropologique, de la sélection étonne encore par son esthétique : choix des cadres et des couleurs, tour à tour reportages documentaires, dessin industriel propre au design, natures mortes issues de la littérature gastronomique. « Wagon-Bar » est résolument un livre à parcourir sur la route des vacances.
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