Art
The Good Culture
Chaque année depuis 36 ans, les ténors du photojournalisme se sont donnés rendez-vous à Perpignan début septembre pour présenter leur regard sur des évènements et phénomènes sociétaux de notre planète.
Souvent percutante, parfois dérangeante, toujours rigoureuse, cette approche de la photographie a le don d’interroger le public, de faire découvrir un sujet ou une manière inédite de l’aborder. À l’heure où les réseaux sociaux et les smartphones prennent de plus en plus de place dans notre manière de concevoir et d’illustrer le monde, quelle place reste-t-il pour les professionnels de l’image ? L’époque a vu apparaître un mal nouveau, formulé à travers un mot : « les fake news ». Cette forme de réfutation de l’information est un argument de campagne pour certains politiques et le fond de commerce des sceptiques de nos sociétés. Le rôle du photojournalisme n’a jamais été aussi important et contesté à la fois. Face aux émotions contrastées, entre fascination et désillusion, que génère le traitement de ces phénomènes de société, comment les professionnels réussissent-ils le tour de force de nous inviter à découvrir sans nous démoraliser ? Réponse avec deux lauréats du Visa pour l’image 2024.
Lire aussi : Paolo Roversi : « je pense que ma photographie est simple »
Le rôle du photojournalisme
Bonne nouvelle, pour les premiers concernés, le constat est positif. « Avec mon travail, j’invite les gens à se poser des questions. Je ne donne pas les réponses. Je souhaite générer une curiosité sur un fait ou un phénomène. Il n’y a aucune prétention à vouloir changer l’opinion publique. Ce qui m’anime dans mon travail, c’est d’attiser la curiosité, mais en aucun cas de vivre dans la mythologie du reporter qui change l’opinion publique », confie Paolo Verzone, ambassadeur Canon et photographe représenté par la prestigieuse agence VU. Pour expliquer sa longévité dans le métier et l’importance de la curiosité qu’il défend, il raconte ses débuts : « Avec un ami, en 1989, nous avons pris un visa de touriste pour aller à Moscou. Nous étions jeunes et passionnés. Tout le monde nous trouvait cinglés. On voulait documenter le communisme d’une autre manière. Nous étions pourtant très loin d’imaginer que nous allions documenter la chute de ce modèle. À cette époque, le défi était de diffuser les images. Aujourd’hui, le défi est de valider la véracité de l’image. »
Avec National Geographic, Paolo et ses équipes sont soumis à des protocoles rigoureux pour authentifier le travail. Avec Adobe, la société d’édition de logiciels graphiques, ils élaborent des mécanismes pour s’assurer de la crédibilité d’une image. « Et c’est génial. C’est une rigueur nécessaire. Mais la source de notre métier reste et restera, à mon sens, notre capacité à délivrer un message. Ce qui compte, c’est d’aller sur le terrain et de raconter une histoire que l’on a envie de raconter. » Si la modernité apporte son lot de défis, elle apporte aussi son lot de technologie. De manière très poétique, Paolo décrypte l’apport technologique de la firme japonaise dans son travail : « J’ai l’impression de pouvoir percer la nuit, percer les ombres. Je peux désormais révéler des choses d’ordinaire confinées à l’obscurité. Aujourd’hui, je peux les révéler. Et c’était essentiel dans mon travail sur la nuit polaire en Arctique, sur l’archipel de Svalbard notamment. »
La technologie est d’ailleurs au cœur du travail de la lauréate 2024 de la bourse Canon de la « Femme Photojournaliste », Cynthia Boll. Celle qui vit aux Pays-Bas, à six mètres sous le niveau des océans, documente depuis plus de dix ans les bouleversements démographiques et topographiques de Jakarta, en Indonésie. La capitale, construite sur une plaine alluviale, est soumise à d’énormes pompages de ses sources d’eau douce, ce qui accélère le phénomène d’enfoncement de son sol. Le gouvernement a d’ailleurs pris la décision de déménager la capitale, actuellement située sur l’île de Java, vers Nusantara, sur l’île de Bornéo, d’ici 2045, pour le centenaire de l’indépendance de l’Indonésie. « Je considère mon travail comme celui d’une scientifique. Il cherche à révéler quelque chose que l’on ne voit pas, pour mettre en lumière un sujet de société. Le niveau des océans s’élève, et là-bas, à Jakarta, c’est en plus la terre qui plonge. » Selon elle, l’éducation est un principe fondamental sur lequel repose toute sa démarche : « Ce projet est un outil pour les architectes et les communautés. L’impact de ces images ne réside pas uniquement dans le choc visuel qu’elles procurent, mais dans ce qu’elles représentent pour l’avenir. On veut aussi alerter la population et les décideurs. Et tout cela doit se faire dans une constante recherche de « sens » à notre travail », conclut Cynthia Boll.
Visa pour l’image : marquer son époque
S’inscrire dans la postérité est justement au cœur de la présence de Canon comme partenaire fondamental du festival Visa pour l’image. « Cela fait 35 ans que Canon soutient le festival Visa pour l’image. Nous sommes fiers d’y être associés, de voir la singularité et l’authenticité du festival, de découvrir les visions du monde des photographes, soutenues aussi par nos technologies, explique Patrick Chapuis, le PDG de Canon en France. Nous venons ici pour rencontrer des photojournalistes, avec nos ingénieurs, pour participer à l’écosystème de la photographie. Notre technologie n’est rien d’autre que le prolongement de l’œil de l’artiste. Ce dernier cherche à capturer une émotion et à la figer dans le temps. Notre rôle est d’apporter des technologies de qualité pour répondre à leurs besoins. L’ergonomie, la mobilité, la connectivité, les systèmes d’automatisation pointus comme l’autofocus piloté par la rétine pour les photographes animaliers, et bien d’autres, c’est une quête passionnante pour nous tous. Pour cela, il faut aussi soutenir les jeunes photographes, le travail des photojournalistes au féminin, et l’avènement de la vidéo. »
Avec la place prépondérante des smartphones et leur usage photo et vidéo au quotidien, on pourrait penser que cela constitue une menace pour les professionnels de l’image. Mais pour Patrick Chapuis, « la photo au smartphone permet à la photographie d’entrer dans la vie des gens du monde entier. À mon sens, elle a cependant un caractère éphémère, alors qu’une image prise au boîtier s’inscrit dans la postérité. Il faut se rendre compte que l’âge de notre client moyen rajeunit. C’est dire si le smartphone est aussi une opportunité pour les professionnels de l’image. »
En étant plus accessible grâce aux smartphones, le monde de la photographie semble moins élitiste, il touche tout le monde. Il suffit de voir le déploiement de la technologie « photo et vidéo » par les fabricants de smartphones pour les vendre. De là à imaginer une association entre Canon et Apple, Google ou Samsung, il n’y aurait qu’un pas. Mais pour Patrick Chapuis, « notre cœur de métier reste la technologie de pointe. Ce qui signifie aussi le déploiement de solutions dans le médical par exemple, ou encore dans l’aérospatial. »
Pour le photojournaliste Paolo Verzone, c’est une opportunité fascinante : « Quand j’ai commencé, nous n’avions pas la technologie d’aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que nous ne vivions pas avec les avancées technologiques du moment. La base de notre métier est et restera de savoir quelle est l’histoire que l’image raconte. Qu’elle soit animée ou non, digitale ou analogique importe peu. Ce qui compte, c’est le message et son impact sur le spectateur. » De quelque manière que ce soit, le photojournalisme à donc encore de beaux jours devant lui !
Site internet de Visa pour l’image, festival de photojournalisme.