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Chaque année, le troisième jeudi de novembre, le Beaujolais Nouveau envahit la scène, déclenchant un engouement international qui ne cesse de surprendre. Née d’un coup de génie marketing dans les années 1950, cette tradition a gagné une popularité inattendue jusqu’au Japon, où les célébrations prennent des formes inattendues. Pourtant, derrière ce folklore se cache un terroir riche de 2000 ans d’histoire et un vin qui séduit de plus en plus les amateurs exigeants. Entre héritage géologique unique, innovations viticoles et reconnaissance UNESCO, le Beaujolais démontre qu’il est bien plus qu’un vin de fête éphémère.
« Il est arrivé ! », entend-on encore, chaque troisième jeudi de novembre, dans nos villes et nos campagnes. Pour beaucoup, en France comme à l’étranger, le Beaujolais Nouveau est attendu comme le Messie. Phénomène mondial, cette tradition, loin d’être ancestrale, est avant tout un coup de génie marketing, initié dans les années 1950. Aujourd’hui en perte de vitesse, elle reste l’occasion de mettre en lumière un vin singulier qui intéresse de plus en plus les amateurs et les collectionneurs, tels que Benoist Simmat, auteur, avec Daniel Casanave, de la bande dessinée « L’incroyable histoire du vin », enrichie pour sa réédition d’un chapitre consacré au Beaujolais.
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Des onsen aux couleurs du Beaujolais Nouveau
Étant idéalement placés sur le fuseau horaire, les Japonais sont les premiers, chaque année, à pouvoir déboucher des bouteilles de Beaujolais Nouveau et donc à fêter son arrivée, le troisième jeudi de novembre à minuit. Conscients de ce privilège, ils le font comme il se doit, en remplissant des onsen entiers de ce breuvage.
En réalité, ils ont recours à un subterfuge. « J’ai découvert qu’ils ne remplissaient pas réellement ces bains traditionnels de Beaujolais. Ils utilisent, en fait, un agent colorant qui a la couleur du gamay. Puis, symboliquement, ils déversent une poignée de bouteilles de Beaujolais dans les bassins avant de s’y baigner. Finalement, le détail technique importe peu comparé au symbole puissant qui en découle. Cela montre à quel point les Japonais sont attachés à cette tradition, un peu gauloise, eux qui ont pourtant une culture de l’excellence. C’est très étonnant ! », précise Benoist Simmat. Preuve en est, le Beaujolais rencontre une popularité hors norme aux quatre coins de la planète et se hisse même dans le quintette des vignobles français les plus célèbres dans le monde.
Une naissance par décret
Pourtant, cette tradition moderne repose sur une opération marketing, un coup de génie d’après-guerre. L’origine du Beaujolais Nouveau remonte à peine au 11 mars 1951. Paru dans le journal officiel ce jour-là, un arrêté ministériel stipule que les producteurs ne seront désormais autorisés à commercialiser leur vin d’appellation de l’année de vendange qu’à partir du 15 décembre 1951, provoquant un véritable séisme dans l’interprofession. À cette date, tout est normalement déjà vendu ! Très vite, les principaux acteurs se réunissent pour exiger le maintien des ventes anticipées.
Craignant des révoltes similaires à celles de 1907 en Languedoc ou de 1911 en Champagne, le gouvernement leur donne gain de cause, fixant la date au 15 novembre, et ce, le 13 novembre 1951 ! Mais à une condition : que soit affiché le mot « Nouveau » sur toutes les bouteilles vendues avant le 15 décembre. Ainsi est né le Beaujolais Nouveau, depuis célébré en grande pompe, grâce au développement commercial de Georges Dubœuf, surnommé le « Pape » du Beaujolais. Mais cette petite révolution n’aurait pu aboutir sans le soutien de l’intelligentsia parisienne, qui depuis la Seconde Guerre mondiale promeut le Beaujolais dans la capitale avec succès. Parmi ses plus grands défenseurs, Benoist Simmat cite l’écrivain Marcel E. Grancher, le dessinateur Henri Monier, le critique gastronomique Curnonsky, ou encore le journaliste Pierre Scize.
Une terre labellisée par l’UNESCO
Déjà à cette époque, certains décèlent en ce vignoble un fort potentiel, d’autant qu’il s’assoit sur 2000 ans d’histoire. « Selon les archéologues, au premier siècle, un commerce significatif de vin de soif ou de qualité se trouvait à l’endroit actuel du Beaujolais. Implantée sur les rives droites de la Saône, entre Mâcon et Lyon, cette région se situait à la jonction parfaite des voies de communication entre la Gaule narbonnaise et le Nord. À cette époque, des amphores de Beaujolais naviguaient à foison sur la Saône et le Rhône, bien avant que le Bordeaux n’entre réellement en jeu », rappelle Benoist Simmat.
Outre son histoire, le Beaujolais se distingue par son sol exceptionnel, globalement très acide, où le gamay noir à jus blanc se plaît particulièrement. « Il est unique au monde, car constitué d’un patchwork de roches qui a égrainé tous les âges que la Terre a connus. En 2018, le vignoble est devenu un géoparc labellisé par l’UNESCO pour son patrimoine géologique de portée internationale, le seul de son genre en France », précise Benoist Simmat. Morgon, Brouilly, Chénas… le Beaujolais compte 12 appellations et a souvent été une terre d’expérimentation. « À la fin du XIXe siècle, ce vignoble était même un des plus importants de France. C’est ici, notamment et nulle part ailleurs, que Victor Vermorel a mis au point le pulvérisateur de bouillie bordelaise permettant de lutter contre le mildiou », complète-t-il.
Un vin qui a la cote
L’histoire du Beaujolais ne se résume donc pas à celle du Beaujolais Nouveau, ni ses saveurs d’ailleurs. Si en 1986, 53 % des récoltes lui étaient destinées, la tendance s’inverse. Le vin primeur laisse de plus en plus de place à un vin qualitatif, reconnu par les amateurs et les collectionneurs. Lors de son enquête, Benoist Simmat a goûté un très vieux Brouilly de 1978, « ce qui peut paraître contre-intuitif, mais j’ai eu la preuve dans le verre qu’un gamay issu d’un bon terroir peut bien vieillir ».
Accessibles en termes de prix, certains Morgon, Moulin-à-Vent, Côte de Brouilly, Fleurie… ont désormais la cote, à l’instar des domaines Daniel Bouland, Louis Claude Desvignes ou encore Mee Godard, des Morgon souvent cités. « Pour ma part, mes coups de cœur vont au domaine Marcel Lapierre, inventeur du vin nature, et à celui, moins connu, du château de Javernand, à Chiroubles : une belle découverte ! Ils ont été les premiers dans la région à pratiquer l’agroforesterie, qui consiste à recréer un environnement forestier dans un vignoble, c’est-à-dire à faire pousser les vignes au milieu des arbres et des buissons pour reconnecter tous ces éléments naturels entre eux. Ni taille ni labour, on est ici dans une biosphère sauvage ».
À propos du Beaujolais, Benoist Simmat est aussi élogieux que Bernard Pivot en son temps. Ils sont nombreux à lui prédire un avenir savoureux, alors profitons-en avant que les prix ne grimpent !
« L’incroyable histoire du vin », par Benoist Simmat et Daniel Casanave, Editions des Arènes.