Vins et spiritueux
Dans le nord des Cyclades, Tinos, l’île des dieux, où Éole aurait élu domicile, était surtout connue pour être le lieu de pèlerinage le plus célèbre de l’hellénisme. Mystique, sauvage, remplie de secrets, elle est désormais surtout porteuse de rêves et d’espoirs, ceux de doux poètes qui se sont mis en tête de raviver une tradition ancestrale : les vins grecs.
Escarpée, aride et balayée par le vent, l’île grecque de Tinos peut se vanter de sa beauté presque sauvage. Avec des parcelles en espalier, petites et difficiles d’accès, un sol granitique pauvre, la viticulture y existe pourtant depuis des millénaires. Les vins grecs de Tinos s’exportaient même au Vatican.
Cependant, cette tradition s’est flétrie au cours de l’histoire, et la production de vins grecs à Tinos a été en grande partie abandonnée dans les années 70 au profit de l’élevage de bétail. Contrairement à Santorin, située plus au sud, on compte ici très peu de vieux vignobles.
Autre obstacle, le centre de l’île est jonché d’immenses blocs de granit, vestiges d’une bataille entre les Titans et les dieux ou d’une pluie de météorites selon les légendes. Les terrains se font rares et chers, entre 5 000 et 30 000 euros l’hectare.
Un certain nombre de poètes et de fous ont néanmoins décidé de remettre la vigne au goût du jour.
Parmi eux, Alexandros Avatangelos, entrepreneur franco-grec convaincu par l’énergie unique et minérale du lieu. Un homme déterminé et exigeant, qui ambitionne d’élaborer non seulement le meilleur des vins grecs à Tinos, mais aussi l’un des plus raffinés au monde. Pour ce faire, il s’est entouré d’une équipe d’experts et d’artistes du vin, dont Michalis Tzanoulinos, un îlien au savoir inégalé concernant le terroir local, l’œnologue Thanos Georgilas, le consultant international en œnologie Stéphane Derenoncourt et Gérard Margeon, chef sommelier des restaurants Alain Ducasse.
C’est à Falatados qu’ils tentent, en harmonie avec la nature, de développer une économie durable autour de la vinification, concevant méticuleusement un vin intense et sophistiqué, salué par la critique. Un exploit compte tenu du fait que T-Oinos n’a été créé qu’en 2002 et a commencé à produire ses premières bouteilles en 2008.
Les 13 hectares de ce vignoble sont répartis sur quatre sites : soit des pentes en terrasses à flanc de coteau, soit des plateaux montagneux ponctués d’immenses blocs de granit, comme Stegasta, un paysage lunaire à 450 mètres d’altitude, où les vignes sont collées les unes contre les autres pour être protégées des éléments.
Perchés sur un galet géant, comme la scène d’un théâtre naturel, nous dégustons les quatre variétés indigènes grecques fabriquées sur le domaine : assyrtiko, le « roi » de la mer Égée, et malagouzia, tous deux des cépages blancs, et deux rouges, avgoustiatis et mavrotragano.
Avec T-Oinos, Alexandros Avatangelos affirme avoir pu mettre en pratique son amour de la philosophie : son projet consiste à réaliser quelque chose de bon et de juste. « T-Oinos est la synergie entre le sol, l’environnement et les hommes », explique-t-il. De son côté, Stéphane Derenoncourt, œnologue basé dans le Bordelais, à Saint-Émilion, qui s’est taillé une réputation de vigneron star, ajoute : « Le sol est pauvre, schisteux, il y a beaucoup de vent. La présence de la mer et sa fraîcheur nocturne sont importantes. C’est très sensuel, vous pouvez vraiment goûter les raisins dans le vin. »
Une production limitée de vins grecs à Tinos
Aujourd’hui, on dénombre une bonne demi-douzaine de producteurs sur l’île, tous établis au cours des deux dernières décennies. Le Français Jérôme Charles Binda, propriétaire du domaine de Kalathas, conçoit des vins biodynamiques à partir de cépages rares et anciens, vieux de 60 à 200 ans – comme le rozaki, l’aspro potamisi, le mavro potamisi, le koumariano ou le kondoura –, qui expriment le caractère de la mer Méditerranée, avec des arômes de sel et d’algues et une belle minéralité.
Pour savourer le goût des Cyclades en été, Michalis Kontizas, un îlien, a lancé Volacus Wine, qui ne produit, pour l’instant, que du malagouzia, un cépage blanc. « Nous choisissons de faire des pas lents et stables », détaille ce dernier. Ici, le temps et la pugnacité sont le secret d’une production de qualité. Chez Volacus, comme chez d’autres, le sol rocheux du domaine confère au vin une sensation unique.
Il faut donc éclater la couche rocheuse (le dérochement) en y faisant pousser des plantes aux racines longues, comme des graminées, avant même d’y planter la vigne, et ce, de façon linéaire et en forte densité. Tout le travail est fait à la main, un dur labeur qui commence à payer : « Dès la première année, où nous n’avons pas dépassé les 800 bouteilles, nous avons été invités à collaborer avec des cavistes et des restaurants de toute la Grèce », lance fièrement Michalis Kontizas.
Mais la production demeure limitée, et rares sont les domaines qui commercialisent plus de quelques dizaines de milliers de bouteilles. Ce qui assure aux vins grecs de Tinos leur goût distinct vient de la sensation qu’on a de découvrir l’île dans un verre.
Dès le débarquement du ferry en provenance de Mykonos, le ton est donné : contrairement à sa voisine m’as-tu-vu et bruyante, Tinos cultive un charme discret. Cernée par les eaux turquoise de la mer Égée, la troisième plus grande île des Cyclades par la taille offre au regard un paysage magnifiquement accidenté : une cinquantaine de villages aux maisons blanches ornées de volets bleus se blottissent sur les flancs de collines escarpées.
Des centaines de petites fortifications, en réalité des pigeonniers décorés de motifs géométriques – vestiges de l’occupation vénitienne, de la fin du XIVe siècle jusqu’au début du XVIIIe –, ponctuent le panorama de cette île dont les ambitions sont, à l’image de celles de ses vignerons, grandes, sensuelles et magnétiques.