Pratiquement disparus des cartes des restaurants, boudés par les consommateurs, les vins du Bordelais sont en crise. La compétition est rude et le contexte défavorable : la consommation de vin ne cesse de baisser, bulles, cocktails et bières gagnent chaque jour du terrain. « Autant, il y a quelques années, les grands crus classés étaient une locomotive pour l’ensemble de la région, autant, aujourd’hui, ils sont devenus un frein », lance un responsable commercial d’une grande maison de négoce.
« Les crus classés sont un vrai sport de riche. Leur stratégie de valorisation et l’augmentation des prix aboutissent à ce que la plupart des vins partent à l’étranger. C’est un très mauvais signal envoyé aux Français qui identifient les grands crus bordelais comme des vins aux coûts absurdes, presque uniquement destinés à l’export. »
Pourtant ces grands crus classés ne constituent que 3 % de la production. De nombreux viticulteurs de la région peinent à vivre de leur travail en dépit des efforts qu’ils y consacrent. Un problème d’image plus que de qualité. Comment donc la rafraîchir et redonner aux consommateurs l’envie de choisir l’une de leurs bouteilles. « On ne s’amuse plus dans le vin. Et notamment à Bordeaux ! » constate Olivier Dauga, autoproclamé « faiseur de vins », un homme à la parole libre, qui vient au secours des vignerons afin de répondre aux nouvelles demandes du marché.
Évoluer sans se renier
« On continue à faire des vins sans se soucier de ce qu’attend le consommateur. C’est une énorme erreur, car si on est à l’écoute du marché, il est possible, sans renier son savoir-faire, de mieux positionner son produit et de servir économiquement son entreprise. Les amateurs souhaitent connaître leur vin. Le nom sur une étiquette vieillotte ne suffit plus. Ils veulent de l’humain, identifier un vigneron ou un groupement de producteurs et trouver simplement une bonne bouteille à poser sur la table de copains. »
Pour Château Marzin, Olivier Dauga a donc créé une gamme nommée Little Donkey avec, sur l’étiquette, le dessin naïf d’un petit âne. Puis il a préconisé de faire un vin de cépages (malbec et merlot) avec, cette fois-ci, un bonnet d’âne sur l’étiquette. Enfin, il a baptisé leur cuvée haut de gamme La Mule. « Parce que c’est un animal stérile et que ce vin ne se fera que sur de très bons millésimes, explique-t-il. Nous avons donc plusieurs gammes. Et depuis, leurs vins se vendent ! »
Un effet immédiat que constatent d’autres producteurs. Chez Univitis, coopérative qui regroupe plus de 200 viticulteurs, la même démarche a été engagée : des vins au look sympa qui se démarquent par des bouteilles atypiques. Tous les moyens sont bons pour échapper à l’image collet monté des vins de Bordeaux.
Sauvés par le bio ?
Mais la véritable révolution est ailleurs. A Bordeaux comme un peu partout, beaucoup de vignerons se mettent au bio. Ils tentent de réduire soufre et cuivre, de favoriser la prévention plutôt que le traitement, de se passer de sulfites lors de la vinification.
« Le label bio a l’avantage d’être un référentiel compréhensible par le plus grand nombre, reconnaît le responsable commercial. Mais je considère qu’il n’est pas le mieux adapté à notre métier. Il l’est pour les tomates ou les salades, car la plante n’a besoin d’être protégée que quelques semaines, alors que la vigne doit l’être sur un cycle d’un an, avec des plants qui sont censés vivre 50, 60 ou 70 ans. Quant à la certification HVE, elle ne suffit pas. C’est un palier. Je suis de ceux qui pensent qu’un référentiel environnemental propre au vin est indispensable, et si je ne devais en retenir qu’un, ce serait celui de la biodynamie. »
A partir de 2020-2021 va déferler sur le marché une forte vague de vins biologiques, ceux des propriétés qui sont en cours de conversion. Difficile de dire si cela sera suffisant pour redonner de la vigueur aux vins de Bordeaux, mais le changement s’opère déjà dans les vignes, dans les chais et dans certains esprits.
Enfin pas tous, regrette Michael Thureau : « On est toujours sur le modèle du XIXe siècle, quand on n’avait pas encore inventé le marketing, croyant encore que c’est au client de s’adapter au produit. » Plus optimiste, Olivier Dauga veut secouer les mentalités : « Il faut ouvrir les portes des chais, proposer des dégustations. Ayons l’air joyeux ! » Un optimisme qu’on partage volontiers.