Horlogerie
Virement de 40 millions de dollars à ses enfants, villa de 400 m2 perchée au-dessus d’un gratte-ciel où il n’aura jamais passé une traître nuit, écurie de F1, compagnie aérienne high cost, rien ne semblait pouvoir freiner l’irrésistible ascension de l’un des hommes d’affaires les plus fascinants du XXIe siècle. Et pourtant…
Coupe mulet poivre et sel, verres fumés, diamants aux oreilles, blonde au bec, cravate bariolée… Vijay Mallya semblait à maints égards être l’incarnation du parfait nouveau riche du siècle dernier à qui l’argent brûlait déjà les doigts – potelés et ornés de bagues en or massif, forcément – à l’orée des années 1980. Mais derrière la caricature taille 52 se cachait pourtant un homme plutôt bien né, arrivé à la tête de l’entreprise paternelle United Breweries à peine âgé de 28 ans.
Une paille, au regard de l’empire à venir : à la bière Kingfisher – la plus vendue en Inde – vient rapidement s’ajouter la distillerie écossaise Whyte en Mackay, d’autres maisons de spiritueux, une écurie de F1 rebaptisée Force India, la franchise de compétition de cricket Royal Challengers Bangalore, enfin en 2003 une compagnie aérienne portant le nom de sa célèbre bière, opérant entre Mumbai et Delhi. Une flotte pensée pour la haute, dont les cabines sont équipées de petits écrans individuels – en business comme en classe éco, largesse oblige. Un coup de maître en termes d’image, puisqu’aucun des passagers, qu’il se plaisait à désigner comme « ses invités », ne devait être privé de le voir se pavaner en vidéo sur fond de musique Bollywood.
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Un million de dollars parti en fumée
Les ambitions de celui qui est alors considéré comme un inarrêtable play boy ne connaissent plus de limite : suite à un premier vol le 9 mai 2005, dès le salon du Bourget suivant, c’est-à-dire en juin de la même année, Vijay Mallya commande sans sourciller cinq Airbus 380, cinq A 350, cinq A 330-200 suivis au salon de Dubaï de cinq A 340-500, trente A 319/320 et vingt ATR 72-500. Étonnamment, aucun constructeur ne se soucie à l’époque de la capacité réelle de la compagnie à réaliser son plan de développement, préférant la perspective d’engranger de mirobolantes commandes à de plus sages garanties bancaires – par ailleurs fournies aveuglément par les banques.
Une folie des grandeurs qui n’épargne pas son train de vie : villas luxueuses aux quatre coins du monde dont la plus impressionnante reste celle érigée au sommet d’un gratte-ciel, équipée de plusieurs jardins et d’un héliport – sans doute en cas de panne d’ascenseur –, fêtes et réceptions somptuaires, et rien de moins que le cinquième plus grand yacht du monde (95 mètres au garrot). On raconte aussi qu’il ne déambulait jamais sans être escorté de deux serviteurs, l’un portant son verre de whisky, l’autre cigare et cendrier.
Vijay Mallya : chanceux sur terre, malheureux dans les airs
La lune de miel aurait pu durer longtemps si le magnat ne s’était pas montré si gourmand. Aussi chanceux sur terre que malheureux dans les airs, sa compagnie commence à battre de l’aile dès les premières années d’exploitation. En moins de sept ans, Kingfisher affiche deux milliards de dollars de pertes soit 782 000 euros par jour. Il contracte alors plus d’un milliard de dollars d’emprunts auprès de banques publiques afin d’éviter la faillite. Une somme rondelette qu’il préfère toutefois investir… dans son écurie de Formule 1 et dans des voyages personnels opérés par son A319 privé.
Rattrapé par la justice indienne en 2012, Vijay Mallya fuit en direction du Royaume-Uni, laissant derrière lui des centaines d’employés, de clients et d’aéroports sur le carreau – et, bien entendu, des montagnes de chèques sans provision. Fin de l’histoire ? Pas exactement.
Octobre 2023. Il aura fallu attendre l’issue d’une âpre bataille judiciaire remportée par le géant américain Netflix pour que le documentaire narrant l’irrésistible ascension – et l’inexorable chute – du milliardaire indien Vijay Mallya soit enfin diffusé. Sans doute l’un des épisodes les plus attendus de la série « Bad Boys Billionaires », où l’on aperçoit un homme affichant face aux médias un calme de Séraphin, lançant à l’envi des « No comment » d’un air goguenard.
Devenu l’espace de quelques décennies l’incarnation du self made man indien, sa dernière victoire aura été de réussir à éviter l’extradition, tandis qu’à quelques milliers de kilomètres de l’Angleterre, au sommet d’une tour anonyme du centre de Bangalore, sa villa suspendue reste en cours de construction.
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