Getaway
The Good Guide
Dans le canton du Valais, à deux pas de la France et de l’Italie, la station de Verbier jouit, grâce à un territoire skiable sans commune mesure, d’une réputation inoxydable auprès des amateurs de freeride. Cette réalité est aussi portée par un écosystème économique bien ramifié.
Rares sont les stations de ski à disposer d’un accès en transports en commun aussi efficace qu’à Verbier. Que l’on vienne de Genève ou Zurich, la plupart des trains – certains nécessitent tout de même un changement à Martigny – arrivent directement en gare du Châble (821 m), qui dispose d’un accès à la télécabine menant à Verbier (1 500 m).
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Ce dispositif a été mis en place en 2019, et largement optimisé à partir de 2021, dès lors que la remontée mécanique a pris le statut de transport public, avec des horaires d’ouverture quotidiens allant de 5 h 15 à 23 h 50. Même s’il n’est pas toujours évident de se déplacer à pied avec une, voire deux ou trois, paire(s) de skis et l’équipement qui va avec, ce maillage logistique est un atout de taille pour les skieurs en provenance des quatre coins du globe.
Car au-delà d’avoir été distingué, à plusieurs reprises depuis 2018, meilleure station de ski du monde lors des World Ski Awards, Verbier est considéré par beaucoup comme une destination de premier rang pour la pratique du freeride.
La glisse en toute liberté
Depuis bientôt trente ans, Verbier accueille ainsi l’ultime étape du Freeride World Tour, qui de fait attire les meilleurs compétiteurs de la catégorie. Durant une petite semaine, les concurrents s’élancent depuis le Bec des Rosses pour une descente vertigineuse sous le regard souvent abasourdi d’un public posté sur le versant opposé.
Cet événement est devenu tellement mythique que la station a décidé de tirer parti de cette pratique de la glisse en liberté… mais en proposant aux moins affûtés de rester dans les clous des normes de sécurité. Ainsi, le domaine dispose aujourd’hui d’une douzaine d’itinéraires horspiste accessibles à partir du réseau de remontées mécaniques.
Ces descentes, la plupart du temps identifiées sur des pentes très engagées, sont balisées et donc sécurisées, mais absolument pas préparées. Avis aux amateurs : on est ici hors catégorie – oubliez les classifications vertes, bleues, rouges et noires –, mais les émotions sont garanties !
Ce contexte si spécifique à Verbier ne fait pas qu’attirer des « praticiens », amateurs chevronnés ou athlètes de la glisse, il est devenu pour certaines entreprises un environnement particulièrement fécond pour se retrouver dans un certain état d’esprit et parfaitement en phase avec les objectifs visés.
Parmi les sociétés à avoir fait ce pari d’une implantation dans la station, Faction fait figure de pionnier. Il faut redescendre au Châble pour pousser la porte du siège de cette marque de skis devenue en presque deux décennies une référence du freeride, tandis qu’au départ, elle faisait plutôt figure de rebelle voulant bousculer les normes de l’industrie du ski.
« Faction a été créée par Alex Hoye et Tony McWilliam en 2006 à la suite de leur rencontre à Verbier, dans un contexte où le snowboard était prédominant. Ils étaient persuadés qu’il était possible d’apporter un esprit cool, une sensation de liberté, mais aussi de l’innovation à l’univers du ski. D’où cette idée de concevoir des planches totalement orientées freeride, avec notamment ces fameuses doubles spatules qui ont forgé la devise ‟Nothing But Fat Twins”, qui colle si bien à Faction », explique Tristan Ledouble, responsable marketing de Faction.
La stratégie de développement s’est aussi appuyée sur la production de films, qu’Alex Hoye, fort d’un passage chez Disney, maîtrisait parfaitement. De même, un graphisme très arty a eu son effet. Cette approche a très vite permis de fédérer la communauté naissante de freeriders, parmi laquelle des athlètes tels que Candide Thovex, Kelly Sildaru, Alex Hall… « Faction représente bien plus que des skis performants, c’est l’esprit d’une communauté férue de montagne. D’ailleurs, on parle très souvent du Faction Collective », poursuit Tristan Ledouble.
Depuis, Faction a décidé de rester basé à Verbier pour implanter son siège où se déroulent toutes les phases de recherche et conception, tandis que la production est réalisée en Autriche dans une usine permettant de délivrer les 30 000 à 35 000 paires annuelles, évidemment avec un regard attentif sur la durabilité des modèles.
Nouveauté cette année, le lancement d’une marque de chaussures de ski baptisée Phaenom, avec pour le moment deux modèles, exclusivement en noir : Free Style et Free Rando, dont les particularités majeures sont d’être réparables et facilement recyclables.
Des projets en pleine ascension
À quelques minutes de là, deux jeunes entrepreneurs ont, quant à eux, fait le pari de produire des skis 100 % made in Swiss. Fondé par Yoann Chapel et Selim Abdi, First Track Lab a pris ses quartiers dans le Valais en 2018.
Au départ, il s’agissait surtout pour cette entreprise de développer un studio de prototypage pour de grandes marques, comme Decathlon, Rossignol ou encore Simply, dont la société est d’ailleurs enregistrée à Verbier. « Puis, en 2022, des particuliers sont venus nous solliciter pour produire des skis sur mesure. Ce qui nous a poussés à réfléchir au projet d’une manufacture pouvant atteindre une capacité de 50 000 skis par an », explique Yoann Chapel.
Le duo est actuellement en quête de levées de fonds, mais la minifactory continue de produire au rythme d’un millier de skis par an, à l’aide d’outils de production développés spécifiquement ne nécessitant que deux heures de réglage, quand l’industrie traditionnelle a besoin d’une semaine : « Dans le projet d’usine, il suffira de 5 minutes pour modifier les réglages de fabrication d’un modèle et 45 minutes de pressage. Les skis sont réalisés avec un noyau en paulownia autour duquel vient s’agglomérer de la fibre congelée. Nous sommes l’un des seuls fabricants à utiliser cette technologie », se félicite Yoann Chapel.
Retour au cœur de la station pour une étape chez SunGod. Cette marque de lunettes de soleil et masques de ski a été créée en 2013 par un couple, Zoé et Ali Watkiss, qui a fait le constat qu’il n’existait pas vraiment d’entre-deux qualitatif entre une paire de lunettes siglée par une griffe de luxe et un produit bon marché à la durée de vie limitée.
« C’est ainsi que SunGod a vu le jour, à la suite d’une opération de crowdfunding qui a été un succès inattendu. Très vite, la marque a connu un développement quasi viral, grâce aux athlètes devenus nos ambassadeurs, aux partenariats avec des équipes sportives, comme les Anglais INEOS, pour la Coupe de l’America, ou l’écurie de F1 McLaren, et surtout grâce aux utilisateurs qui se reconnaissent dans nos valeurs et la qualité des produits », analyse Lucy Ross-Skinner, responsable de la communication de SunGod.
En effet, la marque peut se targuer d’être aujourd’hui certifiée BCorp et 1 % for the Planet. Passionnés de ski et devenus amoureux de Verbier, où ils résident en partie depuis 2014, Zoé et Ali Watkiss ont décidé d’y installer quatre ans plus tard un camp de base.
Première adresse en dehors de la capitale anglaise, l’endroit se compose d’un bureau où travaillent une demi-douzaine de personnes, mais surtout d’une boutique où l’on peut trouver toutes les références de la marque, dont les masques équipés de verres en 8KO en Nylon. Lucy Ross-Skinner poursuit : « Verbier est un formidable terrain de jeu pour tester les produits et un lieu idéal pour réunir les équipes, pas seulement en hiver, mais aussi en été lors des compétitions sur deux-roues. »
Quand l’équipement vient à vous
En arrivant à l’hôtel, on nous apprend que la réservation effectuée l’avant-veille a bien été livrée le matin. Dans la chambre, un sac rempli de toute la panoplie de vêtements techniques nécessaires pour affronter les deux jours de descente à venir est bien là.
Si la plupart des skieurs occasionnels ou ceux qui veulent voyager léger louent leur matériel, pourquoi ne feraient-ils pas de même avec les tenues ? C’est la réflexion menée par Anders Bergenstrand et Per Berthels, très vite rejoints par Anna Smoothy, et qui ont décidé de s’installer à Verbier pour lancer Cirkel Supply.
« Nous sommes tous les trois bons skieurs, avec même en ce qui me concerne un passé de compétitrice dans le freeride. De fait, nous avons une très bonne connaissance de l’habillement nécessaire pour skier. Mais notre démarche est avant tout guidée par un projet de décarbonation. Une étude a démontré que la location, dans le cadre d’un usage occasionnel, représentait une émission de CO2 trois fois moindre qu’un achat. Et côté tarif pour une semaine, on est sur un montant 4 à 5 fois moindre », explique Anna Smoothy.
Deux arguments de taille d’autant que chez Cirkle, le catalogue, riche d’environ 1 000 pièces, ne propose que des marques à la qualité irréprochable, avec une livraison assurée en 24 heures dans n’importe quelle station de Suisse. « Nous avons simplifié la logistique au maximum directement sur le lieu du séjour, ajoute Anna Smoothy. Il n’y a pas de dépôts de garantie, et en cas d’accrocs mineurs, il n’y a aucune retenue. La pièce sera réparée par un technicien spécialisé dans ce type de produits textiles. »
Évidemment, un freerider disposera forcément de sa tenue fétiche, mais serait bien en peine en cas de déchirure fatale. Avec Cirkel Supply, un jour de break et il pourra de nouveau s’engouffrer dans la poudreuse. Ces quelques rencontres confirment que Verbier est loin des clichés de la station huppée que l’on se figure parfois.
Ici, aucune marque de luxe ne pavane dans les rues, l’accent est mis sur la pratique des activités outdoor, à commencer par le ski. Les entreprises qui ont choisi d’y développer leur business renforcent la solidité d’un écosystème quasi unique, qui désormais échappe aux effets de la tendance et sait rallier ceux qui voient loin devant.
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