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Tour Triangle : totem de modernité ou fardeau pour Paris ?

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En construction Porte de Versailles, la Tour Triangle, 180 mètres signés Herzog & de Meuron, divise déjà. Symbole de modernité pour ses promoteurs, elle cristallise les critiques sur la densité, l’écologie et l’héritage d’Anne Hidalgo.

L’audace architecturale demeure à Paris un exercice périlleux. Dernier exemple en date, la Tour Triangle, gratte-ciel de 180 mètres de haut actuellement en construction Porte de Versailles, ambitionne d’élever la Ville Lumière vers un avenir de modernité. Mais le risque est d’en faire un totem anachronique et incompris, voire rejeté. Car la nouvelle œuvre du cabinet Herzog & de Meuron, plutôt clivante, soulève plusieurs controverses.


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Casser le plafond haussmannien

D’abord, elle relance l’éternel débat sur la hauteur dans Paris. Remettons-nous dans le contexte : annoncée en grandes pompes en 2008 – il y a donc 17 ans maintenant – par le maire Bertrand Delanoë, la Tour Triangle amorce alors un renouveau architectural dans une capitale dont on reproche de plus en plus la muséification. Dans ces années Sarkozy, les autorités se persuadent qu’un électrochoc est nécessaire pour rattraper le retard parisien dans la compétition des villes mondiales.

Paris, ville figée, entend désacraliser son héritage en cassant le plafond haussmannien. « Il y a eu à l’époque un vrai complexe français lié au fait de s’être fait rafler les Jeux Olympiques par Londres en 2005, se souvient Émile Meunier, élu écologiste de la majorité parisienne. La ville de Paris a donc décidé de déverrouiller la hauteur maximale des immeubles dans le Plan Local d’Urbanisme. » La levée d’un tabou vieux de plusieurs décennies.

La Tour Triangle se verra de loin dans le paysage de Paris.
La Tour Triangle se verra de loin dans le paysage de Paris.

Tour Triangle : une nouvelle destination à Paris

Le gratte-ciel porte l’ambition de devenir un nouvel attrait touristique pour le quartier de la Porte de Versailles, comme un signal très visible, voire disruptif, avec en son sein un hôtel de 128 chambres, un skybar et à son sommet une « expérience culturelle » conçue par Summit Entertainment Ventures et l’artiste Kenzo Digital. « Nous avons pour volonté de créer une nouvelle destination parisienne », expose Mourad Akl, Directeur Général du projet Triangle chez Unibail-Rodamco-Westfield, propriétaire de l’immeuble.

Sa programmation comprend en outre des espaces de travail, une crèche, un centre culturel et des commerces qui visent à transformer l’avenue Ernest-Renan en une nouvelle rue commerçante animée. « La tour mesure 150 mètres à la base, elle est perpendiculaire au périphérique pour ne pas renforcer la barrière qu’il constitue », reprend Mourad Akl. C’est la dimension métropolitaine du projet qui contribue à transformer la Porte de Versailles en « Place du Grand Paris ».

Densifier Paris

Autre critique : l’inutilité d’un immeuble de bureaux dans un contexte où Paris manque principalement de logements. Car avec ses 91 000 m² de surface dont 70 000 m² d’espace de travail, la Tour Triangle n’attirera pas moins de 5 000 visiteurs quotidiennement. « À Paris et en grande couronne, il y a des millions de mètres carrés de bureaux vides, déplore Olivier Rigaud, président du collectif contre la Tour Triangle, principal opposant au projet. Évidemment, Triangle aura des locataires mais ça se fera au détriment d’autres communes qui verront leurs parcs tertiaires se vider. »

Seulement, selon Unibail, le marché de bureaux francilien est à plusieurs vitesses. « Ce serait faux de croire que les entreprises comblent automatiquement des trous là où il y a de la vacance. Il y a un marché spécifique pour une offre de bureaux efficaces énergétiquement et bien localisés », rétorque Mourad Akl.

La hauteur est-elle vraiment la réponse ?
La hauteur est-elle vraiment la réponse ?

Que lui reprocher ?

C’est surtout pour sa dimension environnementale que le projet inquiète. La construction d’une tour en béton et verre, dans une époque marquée par la sobriété énergétique, a été jugée climaticide par plusieurs collectifs et élus. Contre-argument des promoteurs : Triangle vise les meilleurs labels environnementaux, BREEAM niveau Outstanding et HQE niveau Exceptionnel.

Unibail avance que l’immeuble consommera 3,3 fois moins d’énergie par rapport à la moyenne du parc tertiaire francilien. Il est directement connecté aux transports en commun, consommant ainsi une tonne de CO2 par mètre carré en moins pour la mobilité des personnes grâce à cette desserte. « Construire en hauteur demande de l’énergie, c’est une réalité, concède notre interlocuteur. Mais si l’on prend l’équation globale : carbone nécessaire pour construire, énergie consommée dans la vie du bâtiment et dans la mobilité des personnes pour s’y rendre, on arrive au global à des performances moindres qu’un immeuble de banlieue. La densité bien placée a une vertu carbone à l’échelle d’un territoire », affirme Mourad Akl.

Le projet avait été rejeté une première fois en 2014 lors d’un vote au Conseil de Paris. Anne Hidalgo avait ensuite relancé le dossier se voyant accusée de passage en force, certains opposants soulignant sa proximité avec Unibail. « Il y a eu un soupçon de favoritisme car pour pouvoir faire la tour il a fallu payer une indemnité d’éviction à près de 300 millions d’euros à Unibail-Rodamco-Westfield qui détenait la délégation sur le Parc des Expositions de la Porte de Versailles, explique Émile Meunier. Et la seule entreprise qui pouvait payer une telle somme était celle qui allait se faire rembourser son indemnité, c’est-à-dire l’occupant actuel… C’est par cette opération neutre que l’entreprise a pu avoir le marché car cette indemnité énorme écartait de fait tous les autres concurrents. »

Bâtie sur un terrain appartenant à la Ville de Paris, qui a signé un bail de 80 ans avec le promoteur, son loyer annuel a été jugé faible par les opposants, autour de 2 millions d’euros par an selon certaines sources. « La chambre régionale des comptes avait estimé que la redevance devait être au minimum de 10 millions d’euros. Sur cette affaire on aura démontré une très mauvaise gestion des données publiques », déplore Olivier Rigaud.

Le dernier projet d’IGH pour Paris

Quoi qu’il en soit, la Tour Triangle sera le dernier immeuble de grande hauteur à être construit à Paris, puisque le nouveau Plan Local d’Urbanisme Bioclimatique a rétabli le plafond de construction à 37 mètres de hauteur. Et à mesure qu’elle gagne en hauteur, son esthétique catalyse un certain clivage, comme rupture visuelle assumée dans l’horizon parisien. « C’est une architecture totalement dépassée, très bling, soupire Émile Meunier. J’attends presque avec gourmandise de voir quel responsable politique se rendra à son inauguration en 2027. Je ne vois pas comment on peut se dire écologiste et se faire applaudir devant cette tour. »

Triangle va-t-elle devenir l’héritage encombrant des années Hidalgo ? « C’est probable, et c’est dommage car de très belles choses ont été faites sous son mandat, poursuit-il. Mais malheureusement pour elle et un peu injustement les gens ne retiendront que ça », croit-il. Les Parisiens trancheront.

Cette tour sera la dernière de son envergure à Paris.
Cette tour sera la dernière de son envergure à Paris.

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