The Good Business
La tonnellerie Baron, entreprise familiale et indépendante de Charente-Maritime, fournit le secteur prospère des vins et spiritueux. Dans une activité issue de la nature et encore artisanale, elle mise sur l’innovation, avec un credo environnemental fort.
Le tronc imposant attend son tour sur le banc de découpage. Dans le jargon, c’est une grume, encore couverte de son écorce, que la guillotine sectionne au scalpel ! Évidemment mécanisée, la manœuvre précise n’en reste pas moins impressionnante, témoignage d’un procédé séculaire. Cette étape essentielle de la merranderie – le travail du bois brut, puis son long séchage naturel – précède les tâches de tonnellerie, qui consistent en la transformation du bois en barriques par la maîtrise de l’eau et du feu. Chez la tonnellerie Baron, dans la campagne de Saintes, en Charente-Maritime, ces pratiques à la résonance immémoriale n’empêchent pas l’innovation depuis qu’un trio déterminé a relevé cette maison indépendante fondée en 1875 : elle fournit aujourd’hui parmi les plus beaux domaines de vins et spiritueux en France comme dans le monde.
Quand les cousins Xavier Baron et Nicolas Tombu reprennent l’entreprise familiale en 1996, avant d’être rejoints en 2001 par l’énergique Lionel Kreff au développement commercial, le marché de la tonnellerie connaît déjà un nouvel essor, porté par la mode des vins boisés amorcée par le critique américain Robert Parker dans les années 80 : tout le monde veut sa barrique de chêne pour élever des vins que le consommateur plébiscite.
C’est l’ébauche d’une filière d’excellence française reconnue à l’international. « Chez nous, c’était plutôt Germinal, sourient aujourd’hui les entrepreneurs. Nos machines étaient ancestrales, sans compter la grande tempête de 1999 qui a rasé tout l’atelier… Il a fallu repartir de zéro encore une fois. »
La tonnellerie Baron produit 15 000 fûts par an
Au cœur de la région de Cognac, la demande ne manque pas. La prestigieuse maison Rémy Martin a longtemps été un gros client pour l’entretien de son gigantesque parc de centaines de milliers de fûts parfois centenaires. La tonnellerie Baron s’est imposée dans le paysage et produit environ 15 000 fûts par an, plutôt haut de gamme, dont 70 % sont vendus à l’export.
La France reste son premier marché, talonnée par les États-Unis. Puis viennent l’Italie, l’Australie et l’Espagne, géographie très fidèle de toute une filière française leader mondial de son secteur. Des châteaux bordelais prestigieux comme Mouton Rothschild, Montrose ou La Conseillante, des domaines de réputation internationale tels Opus One (Californie), Vega Sicilia (Espagne), Ornellaia (Italie) ou Clos Apalta (Chili) font confiance à l’expertise et à la singularité de la tonnellerie Baron.
Quand il leur rend visite, Lionel Kreff entend presque le résumé de deux décennies de travail : « Ils me disent souvent que nous sommes les start-uppers de la tonnellerie ! Sans doute parce que nous faisons beaucoup d’innovation sans trop de capitaux. Ils sont aussi intéressés par nos engagements environnementaux, parce qu’ils bougent eux-mêmes en ce sens. »
Les trois associés ont fait un credo du développement durable, une évidence quand le bois est la matière première. Un chêne est ainsi replanté pour chaque barrique produite afin d’accélérer le reboisement et préserver les ressources. « Nos forêts contribuent à la réputation des tonneliers français, explique Xavier Baron, l’homme de l’art dans le trio, formé à l’École nationale du bois dans le Jura. La conduite en futaie est propre à notre pays, avec des chênes qui peuvent être âgés de 200 à 300 ans ! »
« Trouver d’excellents approvisionnements »
Les prix d’achat sont élevés, notamment dans ces vastes forêts domaniales, comme celle, fameuse, de Tronçais, dans l’Allier, dont l’Office national des forêts (ONF) a la charge de l’entretien et de la commercialisation : l’ONF contrôle ainsi 70 % des transactions à destination des tonneliers français et cède les meilleurs bois aux plus offrants.
La recrudescence des périodes de sécheresse ralentit le renouvellement des arbres ou épuise certains à l’âge adulte, ce qui pèsera à terme sur les volumes disponibles et justifie de diversifier les sources d’approvisionnement vers les coopératives forestières privées et les exploitants forestiers : le sourcing est la clé pour la qualité finale des produits.
« Il n’y a pas que Tronçais, assure Xavier Baron. En Normandie ou dans le Nord-Est, on peut également trouver d’excellents approvisionnements. C’est plus empirique de les identifier, mais je suis cinq mois de l’année sur la route pour les trouver. »
Les subtils arômes de la barrique
C’est le travail de l’œnologue de savoir associer l’origine du chêne avec le cépage et le terroir. Au tonnelier ensuite de répondre aux aspirations des vignerons pour réaliser le meilleur fût, celui qui révélera leurs vins. Pour faire se rencontrer deux produits de la nature, le bois et le vin, un peu d’innovation teintée de rigueur scientifique n’est pas inutile.
Des trois entrepreneurs, Nicolas Tombu, l’ingénieur, ancien de l’aérospatiale, est le plus prolifique. Il invente des machines quand les existantes lui semblent inadéquates, il imagine un système breveté d’aménagement des chais devenu filiale à part entière sous le nom d’Oxoline, il met au point le contrôle par ordinateur du procédé traditionnel de la chauffe au feu de bois : c’est le cœur du métier, ces gestes qui domptent l’intensité et la durée de la flamme, qui vont contribuer à développer subtilement les arômes de la barrique, sans trop marquer le vin, car aujourd’hui le boisé est moins à la mode.
Féru d’écologie, Nicolas Tombu aime aussi bien raconter la progression du verger et du potager en permaculture qui poussent derrière l’aire de stockage des merrains. Joliment nommés le Chant des Bois, ils doivent fournir en fruits et légumes les 67 salariés, ébaucher une cantine d’entreprise bio et locale. « Contribuer ainsi à sensibiliser une soixantaine de familles aux questions environnementales, ce sont des petits gestes qui comptent », ajoute-t-il.
Tonnellerie Baron : objectif neutralité carbone d’ici à 2025
L’élégant bardage de bois sombre qui habille l’entrée de la tonnellerie pourrait faire illusion sur l’engagement des dirigeants de Baron : à l’intérieur, chaque jour, les actions s’accumulent dans l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2025.
« Cela exige d’envisager de multiples solutions vertes en plus des compensations d’émissions déjà en place depuis plusieurs années », avance Raphaëlle Reeves-Ribière, engagée en mai comme responsable qualité et environnement pour les mettre en œuvre. Déjà, la tonnellerie Baron produit sa propre électricité grâce à des toitures photovoltaïques et elle complète ses besoins par de l’énergie 100 % renouvelable.
Un vaste étang a été aménagé pour assurer la sécurité en cas d’incendie, mais aussi favoriser la biodiversité. Un refuge LPO d’un hectare, de la Ligue pour la protection des oiseaux, y a été intégré pour encourager la réintroduction d’espèces.
Un arboretum de 9 000 chênes de toutes origines vient d’être implanté : à terme, en plus de participer à raconter l’activité, les arbres capteront du carbone. « Et peut-être qu’un jour, dans cent ans, nous en transformerons en barriques », sourit Xavier Baron. D’ici là, à l’échéance de 2025, il s’agira d’avoir augmenté les ventes jusqu’à 20 000 fûts annuels, parce que le développement durable n’empêche pas la croissance.
« C’est un seuil critique pour exister sur la scène internationale et alimenter un réseau de clients devenu important dans le monde. Notre outil de production est calibré pour cet objectif », estime Lionel Kreff en parcourant les différents ateliers de la tonnellerie.
Après le poste de ponçage, qui rend la barrique propre et carrossée comme un meuble de décorateur, vient le marquage du nom du client. « Vina Robles Vineyards & Winery », écrit en quelques secondes la pointe infaillible du laser, avant que le fût ne soit expédié vers ce domaine de la côte centrale de Californie. Une dernière étape technologique qui fait du moulin et de la petite scierie des origines, construits à la fin du XIXe siècle, une image de carte postale… et même un lointain souvenir de Germinal.
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