The Good Business
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Mode, food, design, high-tech, ameublement… Si aujourd’hui les mouvements « slow » sont légions, rares sont les marques à les avoir réellement anticipés. À l’instar de Patagonia dans la mode ou encore de Back Market pour la tech, Tikamoon fait partie de cette caste restreinte.
Lorsqu’en 2008, l’entreprise commence à vendre ses premiers meubles sur eBay, les consciences écologiques ne sont pas aussi éveillées que de nos jours. Pour autant, l’intention louable de Tikamoon, introduire une consommation plus raisonnée dans le secteur de l’ameublement, ne reste pas longtemps lettre morte.
Dès 2012, la marque ouvre son propre site marchand. Aujourd’hui, celui-ci est accessible dans neuf pays européens, et il le sera prochainement aux États-Unis. Entre 2015 et 2023, le chiffre d’affaires de l’entreprise passe de 9 à 110 millions d’euros tout en ayant l’objectif d’atteindre 300 millions d’ici 2027. Enfin, en 2023, l’entreprise a ouvert trois boutiques physiques, deux à Lille et une dernière à Paris.
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Le champion français du « slow furniture »
Pour en arriver là, Tikamoon a su pendant près de quinze ans bâtir peu à peu son engagement écologique. Ce qui permet aujourd’hui à cette entreprise d’assumer pleinement, et sans faillir, un slogan : « un mobilier pour (toute) la vie ». Des mots qui prennent tout leur sens, si l’on analyse méticuleusement les différents engagements pris par la marque.
Le premier, c’est évidemment le sourcing. L’enseigne effectue un travail unique en la matière afin de s’approvisionner en bois à travers le monde. Ainsi, près de 80% des pièces du catalogue sont en bois massif, assurant ainsi une durabilité sans équivalent tout en encourageant une gestion responsable des ressources forestières. En effet, Tikamoon ne se fournit qu’auprès d’ateliers durables et certifiés que ce soit en France, en Europe de l’Est ou en Asie comme l’explique Arnaud Vanpoperinghe, CEO de la marque : « nous avons de la chance de faire ce métier, car manipulons un des produits les plus nobles de l’histoire de l’humanité, le bois. Ainsi, nous travaillons avec 80 ateliers partenaires de fabrication utilisant du teck d’Indonésie, de l’acacia d’Inde ou encore de l’olivier français. Nous avons constamment sur place des salariés pour assurer le suivi et le contrôle de qualité. Près de 10 personnes en France, idem en Inde et près de 30 rien qu’en Indonésie ».
De ces derniers mots peut se distinguer le deuxième niveau sur lequel la firme intervient : le commerce équitable. La présence des salariés de Tikamoon sur les lieux de production étrangers permet de garantir aux artisans et aux producteurs locaux des conditions de travail justes.
En plus de ses deux aspects, l’entreprise lilloise s’efforce lors de la transformation et de la fabrication de ses meubles de minimiser au maximum les déchets et de limiter autant que possible l’utilisation de solvants et de colles.
Grâce à cette nébuleuse d’attentions portées à chaque étape de la production, tous les meubles conçus par Tikamoon sont labellisés FSC (Forest Stewardship Council). Un certificat qui permet au consommateur final de s’assurer de la traçabilité globale du produit qu’il achète. Et même pour la dernière étape, celle de la livraison, la pépite française a encore son mot à dire.
« Pour la logistique, nous centralisons nos activités dans un entrepôt de 30 000 m² près de Lille et nous travaillons au maximum en flux tendu. Nous sommes engagé dans la charte Fret21, signe de notre engagement à décarboner le plus possible nos déplacements. De plus, tous les camions qui transportent nos meubles portent la norme Euro6 afin de garantir une réduction des émissions de gaz à effet de serre. De la forêt, en passant par la conception, jusqu’à la livraison dans votre salon, nous gardons la main sur toutes les étapes et nous leur insufflons notre état d’esprit. Le slow fourniture, c’est un agrégat multiple d’actions concrètes, ce ne sont pas juste des beaux discours. C’est pour cette raison que notre bilan carbone est disponible sur notre site. Nous souhaitons montrer à nos clients où nous en sommes et où nous voulons aller, soit tendre vers la neutralité carbone ».
Toujours dans sa recherche de transparence, Tikamoon a mis en place une « éco-note ». Élaboré avec des experts en RSE, cet outil permet aux clients de comparer chaque produit de la marque en fonction de 6 critères (utilisation de bois massif, exclusion des matières composites, économie de la ressource, assemblage traditionnel, réparabilité élevée et bois certifié FSC).
Un secteur en quête de « green coming out »
Si le succès de Tikamoon (d)étonne autant, c’est également parce qu’il s’inscrit dans un contexte difficile. En effet, tremblotant, le secteur de l’ameublement est globalement traversé depuis quelque temps par deux secousses.
La première est économique. En décembre dernier, la célèbre enseigne Habitat a été placée en liquidation judiciaire, tandis qu’au même moment l’institut IPEA pour l’Ameublement français annonçait que le secteur avait enregistré une baisse en volume de 8% rien que sur l’année 2023.
« Depuis la fin du Covid, le secteur de l’ameublement n’est pas au beau fixe. Entre l’envolée des frais maritimes et l’augmentation du prix des matières premières, tous les acteurs font face à de nombreux défis. Il faut également parler de la mauvaise situation de l’immobilier. La vente de logements neufs est en chute chute libre, mécaniquement il y a donc moins de déménagements et donc moins d’acquisitions de meubles. Et avec la baisse du pouvoir d’achat, les dépenses des foyers se sont logiquement concentrées vers le nécessaire. Je suis un éternel optimiste et je suis persuadé que les crises peuvent permettre de profondes mutations. Cependant, je n’ai pas l’impression que cet engagement écologique total soit dans les plans de toute notre industrie ».
Ce qui amène logiquement à la seconde crise, plus insidieuse, puisque morale. Début 2024, le documentaire « Ikea, le seigneur des forêts » a mis sous le feu des projecteurs un secret de polichinelle. Ce reportage pointe du doigt l’emprise mondiale, et destructrice, du géant suédois sur les réserves de bois. Sous couvert, naturellement, d’un greenwashing outrancier.
Est-ce réellement une surprise ? Chacun verra midi à sa porte. En tout cas, c’est ce genre de situation qui a poussé Tikamoon à faire son green coming out.
« Bilans carbone, commerce équitable, éco-note, label FSC… Et depuis avril dernier, nous avons rejoint le collectif “1% for the planet”, tandis que pour cette année nous ambitionnons de devenir une société à mission tout en visant la certification “B Corp”. Notre démarche a toujours été responsable, mais nous ne communiquions pas dessus outre mesure. Cependant, nous en avons eu assez de voir des tas d’impostures prendre la lumière médiatique, le greenwashing dans notre secteur est courant. Alors en 2020, nous avons décidé de sortir de notre discrétion provinciale en lançant notre programme “Tikagreen”. Ce dernier regroupe tous nos engagements actuels et dresse notre plan de route pour le futur. »
De précurseur à chef de file, l’ambition de Tikamoon
Si l’engagement écologique et Tikamoon sont consubstantiels, considérer le succès de la marque via ce seul aspect serait réducteur. En plus d’un catalogue archi complet, plus de 1 000 meubles en bois massif, l’entreprise a su également imposer son style comme le prouve son best-seller iconique, le buffet en chêne Oscar (1 999 euros). Ce qui est somme toute logique, car l’écologie ne peut pas être le seul argument de séduction d’une marque de meuble.
« Le mouvement slow furniture est différent selon les pays. En Allemagne, les consommateurs y sont par exemple extrêmement sensibles. En France, la consommation est plus manichéenne pour le moment. Certains ne jurent que par le durable et le marché de l’occasion et d’autres n’y pensent pas du tout. De plus, il existe chez les consommateurs français un écart assez important entre le discours et la volonté de mieux consommer et les actes d’achats. Une fois encore, la baisse du pouvoir l’explique en partie. D’ailleurs, parmi les critères de nos clients, la durabilité arrive en troisième position, juste derrière le design et le prix. Finalement pour nous, peu importe la motivation première de nos clients tant qu’un meuble durable peut prendre la place d’un autre ».
Dans sa quête insatiable pour préserver la planète, Tikamoon a ouvert également l’an dernier une boutique circulaire à quelques encablures de Lille. Dans ce lieu, la marque propose une sélection de ses meubles à prix réduit. Toutes les semaines, cette boutique-atelier reçoit des meubles en provenance de retours clients ou des départements shooting et création de l’entreprise.
Un tiroir cassé, quelques éraflures, un pied fissuré… Tous les meubles endommagés sont pris en charge par des ébénistes. Le but étant de donner une seconde chance à des produits qui n’ont pas pu en avoir une première.
Conscient également que le contact physique est une notion importante lors de la vente d’un meuble, Tikamoon a ouvert en 2023 deux autres boutiques physiques. La première au cœur de Lille, dans l’effervescente rue Esquermoise et l’autre dans la capitale, sur la placide Place des Victoires du IIème arrondissement. Cette dernière s’étend sur plus de 300 m2 et permet à chaque client de venir découvrir l’univers singulier de Tikamoon.
« Cela fait 5 ans que nous travaillons sur nos projets de boutiques. Près de 10 métiers ont collaboré afin de créer ces écrins uniques où nos clients peuvent venir bénéficier de conseils personnalisés et découvrir nos nouveautés », conclut avec plein d’enthousiasme Arnaud, avant de nous glisser une petite mise en bouche concernant la suite. « Pour 2025, nous travaillons sur un grand partenariat. Je ne peux rien dire de plus pour le moment, mais je vous assure qu’il sera aussi remarquable que remarqué. »
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