The Good Business
Plus encore que le journal de New York, il est, avec le Washington Post et le Wall Street Journal, l’un des trois quotidiens américains les plus prestigieux. Bien que devancé en termes d’audience par le populaire USA Today, le nombre de ses abonnés sur le web ne cesse d’augmenter. Un journal de référence bien au-delà des frontières de son pays !
« Si le New York Times ne me soutient pas en 2020, il fera faillite ! ». Donald Trump, avec toute la hargne dont il est capable, traite régulièrement le grand quotidien américain d’« ennemi du peuple ». Mais aussi de fabricant de « fake news ». Sans doute, le prestigieux journal de centre gauche, installé depuis plus d’un siècle au cœur de Manhattan, survivrait-il à une défaite électorale de l’irascible président républicain.
Mais on peut parier que ce dernier – ses scandales et ses outrances verbales – lui manquerait. En effet, à les dénoncer avec talent dans ses colonnes, le journal a gagné en audience. Un million de personnes se sont ainsi abonnées au New York Times depuis l’arrivée, en 2016, de l’effarant successeur de Barack Obama à la Maison Blanche. Pourtant, si les chefs d’Etat ne font que passer à Washington, le pouvoir et l’aura du journal – soutenu notamment par les milieux d’affaires de la gauche libérale de la côte Est – semblent éternels.
La « Gray Lady » a disparu
« Il exerce une influence exceptionnelle, non seulement en Amérique, où il représente une institution presque nationale, mais aussi sur les affaires de la planète. » C’est ce que constate Gay Talese dans son best-seller The Kingdom and the Power, consacré au New York Times. Ce dernier est resté fidèle à sa devise « All the news that’s fit to print » (« Toutes les informations dignes d’être publiées »). Pourtant, celui qu’on appelle familièrement le Times ne mérite pourtant plus aujourd’hui son surnom de « Gray Lady ». Un sobriquet qui lui avait été donné naguère en raison de son conservatisme. Ainsi que de son allure quelque peu guindée et de la grisaille de ses innombrables pages.
« La grande dame distinguée d’hier s’est affublée de rouge à lèvres, d’eye-liner et d’un soutien-gorge pigeonnant ». Ainsi écrivait perfidement, voici une dizaine d’années, un confrère du Weekly Standard – titre aujourd‘hui disparu – après que l’immuable maquette du New York Times s’était modernisée. Avec, notamment, des photos en couleur à la une.
Une crise difficile à surmonter
Ce géant de la presse américaine et mondiale a senti, malgré sa rapide transition vers le numérique (dès 1996), passer le vent du boulet de la crise meurtrière des médias. Entre 2009 et 2012, les recettes publicitaires s’effondrent. Et l’édition papier perd 100 000 lecteurs. Le Times doit emprunter 250 millions de dollars. Mais aussi licencier 10 % de ses effectifs et revendre son somptueux nouvel immeuble conçu par l’architecte Renzo Piano. Il doit désormais se contenter d’en devenir locataire de quelques étages…
En 2014, un rapport alarmiste sur la situation financière du journal auquel il est reproché d’évoluer trop lentement précipite le limogeage de l’autoritaire et trop « traditionnelle » directrice de la rédaction, Jill Abramson.
C’est que les habitudes sont dures à changer au sein de cette vénérable institution. En effet, les « senior journalists » et « columnists » du « print », véritables stars, ont longtemps imposé leur rythme et rechigné à l’idée de fusionner avec la rédaction du web. Une fusion qui n’interviendra finalement qu’en… 2007. Lors du déménagement sur la 8e Avenue.
Nombreux sont les journalistes de la « vieille école », attachés à leur machine à écrire Underwood ou Woodstock et à leurs volumineuses archives, qui renâclaient à l’informatisation de leur poste de travail. Mais, aujourd’hui, que de chemin parcouru – fut-ce avec de nombreux faux pas stratégiques et, pour certains collaborateurs, à marche forcée – vers la modernité du « digital first ».
Données clés
• Fondation : 18 septembre 1851.
• Siège : 620 8th Avenue, New York.
• Propriétaire : The New York Times Company, détenue depuis 1896 par la famille Ochs-Sulzberger.
• Directeur de la publication : Arthur Gregg Sulzberger.
• 1 600 journalistes.
• Une douzaine de bureaux de correspondants à l’étranger.
• Salaire moyen d’un reporter : 106 000 $/an.
• Audience papier et numérique cumulée par mois : environ 150 millions de lecteurs dans le monde.
• Tirage quotidien : 540 000 exemplaires.
• Prix de vente du numéro à New York : 2,50 $ en semaine et 5 $ le dimanche.
• Tirage de l’édition du dimanche, avec The New York Times Magazine : 1,15 million d’exemplaires.
• International Edition (en anglais) : une quinzaine de pages imprimée simultanément dans 35 pays et vendue 3,50 € en France.
• Editions en espagnol et en chinois.
• Nombre d’abonnés pour le print et le numérique : 3,5 millions.
• Audience numérique : 138 millions de visiteurs par mois.
• Nombre d’abonnés pour le seul numérique : 2,6 millions.
• En 2018, les revenus de la publicité sur l’édition papier ont baissé de 10 % ; sur le numérique, ils ont augmenté de 22,8 %.
• Entre 1851 et 2017, le New York Times a calculé qu’il avait déjà publié 3,5 millions de pages et 15 millions d’articles.
Une belle inventivité
En 2009, Le Times doit renoncer à poursuivre le TimesExtra lancé un an plus tôt. Il proposait des scoops en provenance de divers sites Internet. Cinq ans plus tard, il doit annoncer la suppression de 50 % de ses blogs faute d’attirer suffisamment de visiteurs. Heureusement, son inventivité se révèle aussi quelquefois payante.
Cette inventivité débordante va des nouvelles formes de publicité, comme le native advertising (publicité en ligne adaptée au contenu éditorial), à des structures d’accueil. Tel timeSpace, un incubateur et accélérateur de médias start-up. Document Helper, lui, est un outil informatique révolutionnaire. Ce dernier est capable de fournir aux journalistes, au moment d’écrire leur papier, 900 documents en moins de dix minutes !
Le New York Times et le défi du numérique
Toute une gamme de services nouveaux online sont proposés. Même un jeu vidéo sur le contenu éditorial. Ou encore des applications permettant de télécharger et de lire des articles sur un iPhone ou un iPad, même sans réseau. La plupart le sont gratuitement pour les abonnés et, pour certains services, moyennant une somme raisonnable pour les autres lecteurs.
Certains éditorialistes et chroniqueurs stars n’apprécient pas toujours cette ouverture sur Internet. Ainsi, Thomas Friedman n’hésite pas à dire qu’il hait cette application. Enfin, au chapitre interminable des récentes initiatives du Times pour élargir son audience numérique, signalons son édition en espagnol depuis 2016. Ainsi que son site d’information en chinois, alimenté par des journalistes basés à Shanghai, Pékin et Hong Kong. Mais le serveur a été prudemment installé hors de Chine pour éviter la censure. Autre atout majeur du New York Times : son élégant et prestigieux magazine vendu avec son édition dominicale diffusée à 1,15 million d’exemplaires.
Des enquêtes mémorables
Aujourd’hui, le Times, dont la volumineuse édition papier est diffusée à 540 000 exemplaires en semaine et est encore livrée – en incluant l’édition du dimanche et son magazine – à quelque 800 000 foyers, revendique plus de 3 millions d’abonnés payants pour ses offres numériques. Auxquels il convient d’ajouter 1 million de visiteurs pour son offre gratuite. Evidemment, c’est sa qualité éditoriale, sa crédibilité et l’intégrité de ses journalistes auxquels veille un rédacteur en chef ombudsman qui restent ses meilleurs atouts.
Ses 127 prix Pulitzer, ses scoops et enquêtes aux révélations fracassantes sont dans toutes les mémoires. De la publication, en 1971, sous Nixon, des Pentagon Papers, qui dévoilaient les coulisses de l’engagement américain au Viêtnam, à celle du dossier consacré à la fortune de Donald Trump et à ses combines fiscales.
Et comment résister au plaisir d’égrener quelques-uns de la trentaine de Pulitzer glanés ces deux dernières décennies ? Pulitzer Prize for Breaking News Reporting, Pulitzer Prize for Public Service, Pulitzer Price for National Reporting, Pulitzer Price for International Reporting…
Ces innombrables trophées monteraient-ils à la tête de quelques-uns de ses journalistes ? En tout cas, certains se risquent parfois à des jugements péremptoires. Ainsi, cette année, l’un d’eux raillait-il l’Académie française, mais aussi la France . « Les gardiens de la langue française sont dans l’impasse, tout comme leur pays. » Et le journaliste de dénoncer une contradiction entre « la France fière et intemporelle, déterminée à se préserver à tout prix, et la France qui peine à s’adapter au XXIe siècle ».
Irak et caricatures polémiques
Inévitablement, le Times commet aussi, parfois, de lourdes erreurs. Ainsi, sa journaliste d’investigation Judith Miller a publié une série d’articles accusant à tort Saddam Hussein de détenir des armes de destruction massive. Et ce sans recouper ses informations pour le moins fantaisistes. Des articles qui, évidemment, ont conforté George W. Bush dans sa décision d’envahir l’Irak en 2003.
Par ailleurs, on ne peut que regretter que le Times ait décidé de ne plus publier de dessins politiques dans son édition internationale à compter du 1er juillet. Cela fait suite à une polémique liée à une caricature publiée fin avril et jugée antisémite. Mais les rares dérapages ne sauraient suffire à ternir l’aura et nuire durablement à la crédibilité du Times. Le journal continue, plus d’un siècle et demi après sa création, d’imposer le respect et de faire trembler même les dictateurs les plus cyniques.
La Syrian Electronic Army, un groupe de hackers à la solde de Bachar el-Assad, a essayé pour cela de faire taire le journal en piratant son adresse Internet. Heureusement, quelques heures plus tard, le New York Times parvenait à reprendre le contrôle de son site. Et à nouveau à publier « All the news that’s fit to print ».
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