« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. » Ce vers inaugural de Charles Baudelaire, issu du poème Spleen, semble avoir été écrit pour Billund tant il sied à merveille à l’atmosphère de cette bourgade danoise d’un peu plus de 6 000 âmes. Une grisaille qui contraste singulièrement avec les couleurs chamarrées qui ont fait la renommée de l’enfant prodige de la ville : Lego, le leader mondial du jouet. L’entreprise, fondée en 1932 par Ole Kirk Kristiansen, n’a pas toujours été à pareille fête. Lego – du danois leg godt, « bien jouer » – est né sur les cendres de la crise de 1929. Période durant laquelle l’artisan a opéré un changement d’activité pour se lancer dans la fabrication de jouets en bois. En 1952, l’incendie de son usine va contraindre Ole Kirk Kristiansen à opter pour le plastique. L’histoire est en marche.
du site. Ces 21 blocs emboîtés les uns dans les autres ressemblent à un jeu de Lego géant. Marion Gambin
1 300 briques produites chaque seconde
Exit donc les jouets en bois, place aux petites briques en plastique. Il faudra six années supplémentaires pour « dompter » ce nouveau matériau et parvenir à une imbrication quasi parfaite des briques entre elles. Une innovation à mettre à l’actif du plastique ABS (acrylonitrile butadiène styrène), dérivé du pétrole et décrié aujourd’hui. Soixante ans plus tard, ce sont près de 1 300 briques qui sont produites chaque seconde au sein d’un complexe abritant plus de 700 machines.
Des « maîtres d’œuvre » qui brillent par leur indépendance puisque aucune intervention humaine ne vient perturber ce cérémonial savamment orchestré. Tout est réglé comme du papier à musique dans l’usine historique de Billund, qui se borne à sculpter les fameuses briques. L’assemblage se fait plus à l’est, en Tchéquie. Mais l’usine de Billund fait office de gardien du temple Lego, puisqu’elle abrite également la Lego Idea House, un musée réservé aux employés, ou encore la Lego House, qui abrite des constructions gigantesques. Sans oublier le Lego Castle Hotel, qui permet aux visiteurs du monde entier de séjourner dans des chambres thématiques (chevalier, princesse, magicien…).
Sortie de route et retour aux sources
Un modus operandi qui a hissé Lego sur le toit du monde du jouet. Avec un chiffre d’affaires de 4,8 milliards d’euros en 2018 et un bénéfice net de 1,1 milliard d’euros (+ 3,5 %), la firme danoise fait partie des puissances régnantes de l’industrie au sens large puisqu’elle a été désignée « entreprise la plus puissante du monde ». Certains semblent vivre, encore aujourd’hui, un rêve éveillé. « A l’âge de 6-7 ans, je jouais aux Lego sur le sol de ma chambre avec mon frère. Plus tard, j’ai voulu m’orienter vers une activité qui ferait appel à ma créativité. Mais je ne pensais pas que fabriquer des jouets était un vrai métier », sourit Matthew Ashton, vice-président du département design de la marque. Le créateur s’est également attelé à la production du film Lego Batman, le film et a travaillé sur le dernier opus sorti au printemps dernier, La Grande Aventure Lego 2.
Batman et Avengers
« Cela m’a sorti de ma zone de confort et m’a permis de porter un regard différent sur la marque. A tenter de nouvelles choses. Ce fut une expérience particulièrement exaltante », abonde le dirigeant. Un mélange des genres qui a failli coûter cher à Lego, qui, en 2003, était à deux doigts de la banqueroute. En 2004, le groupe a enregistré une perte de 150 millions d’euros. Entreprise familiale, Lego a dû rompre avec ses traditions pour organiser sa survie. Kjeld Kirk Kristiansen, petit-fils du créateur et patron depuis 1979, passe la main en 2004 à Jorgen Vig Kundstorp. Ce dernier va remettre le navire à flot avec l’acquisition de licences emblématiques, comme Batman ou encore Avengers. A son départ en 2016, le chiffre d’affaires du groupe atteint 5 milliards d’euros, contre seulement 900 millions d’euros à son arrivée. Depuis 2017, c’est Niels B. Christiansen, qui préside aux destinées du groupe.
Des voitures au réalisme bluffant
Lego est également revenu à ses premières amours, remettant la « brique » au centre du jeu. Le Français Aurélien Rouffiange, 35 ans est designer au sein de l’unité Lego Technic, une gamme réservée aux passionnés de véhicules au réalisme bluffant. « Nous veillons au moindre détail et nous tâchons de reproduire le plus scrupuleusement possible les rouages d’un moteur, de la direction à la suspension, en passant par les pistons avec un maximum d’éléments estampillés Lego. » Un mimétisme qui a poussé Lego à reproduire une Bugatti Chiron grandeur nature… et capable de rouler sur piste.
Dévoilé uniquement à l’occasion du Mondial de l’auto 2018, ce chantier pharaonique a nécessité plus d’un million d’éléments Lego Technic, 4 032 engrenages, 2 016 essieux transversaux et 13 437 heures de développement, de design et de construction. Quel sera le prochain prodige ? « Je travaille sur tellement de projets que je ne sais plus lesquels sont déjà sortis et lesquels sont encore en préparation », élude Matthew Ashton. Lego peut reprendre sa course dans le ciel désormais dégagé de Billund.