The Good Business
Lorsque Elon Musk s’est lancé en 2003 sur le marché des voitures électriques en créant Tesla, il a fixé un objectif précis : produire – et vendre ! – 500 000 véhicules par an d’ici à 2020. Il lui manquait un élément essentiel pour réaliser son ambitieux projet : une usine ! Il l’a trouvée en 2010, tout à côté du siège de Tesla. Ses équipes ont fait de cette « vieille usine sombre » l’un des sites de fabrication les plus innovants du moment.
Le site se trouve à quelque 70 km au sud-est de San Francisco, de l’autre côté de la baie, dans la zone industrielle de Fremont, Californie. C’est là que Tesla fabrique ses voitures électriques, dans l’une des usines automobiles les plus avant-gardistes du moment. Blanc et lumineux, éclairé par la lumière zénithale et des rampes à LED, le bâtiment abrite la ligne de fabrication des Model S et son armée de plusieurs centaines de robots parmi les plus puissants du monde. Une deuxième ligne de production est en cours d’installation. Avant la fin de l’année, elle produira un nouveau modèle de Tesla, la Model X, le premier SUV haut de gamme 100% électrique. Il s’agit là d’une véritable renaissance pour ce qui fut l’une des pires usines automobiles des Etats-Unis… Créé en 1962 par General Motors, le site a fabriqué, pendant vingt ans, différents modèles de voitures et de camions pour les marques Pontiac, Chevrolet, Buick, GMC, à un rythme de plus de 1 000 véhicules par jour… Fermé en 1982, il a rouvert deux ans plus tard sous le nom de NUMMI (New United Motor Manufacturing Inc.), société commune à General Motors et Toyota. Plus de 4 700 ouvriers y ont fabriqué des véhicules des deux constructeurs, jusqu’au désengagement de General Motors, en faillite, en juin 2009. A cette époque, la production de l’usine atteignait 480 000 véhicules par an. Toyota a persévéré jusqu’en mars 2010, avant de transférer ses productions au Texas et dans le Mississippi.
La métamorphose d’une usine
Elon Musk, fondateur et dirigeant de Tesla, ne pouvait pas laisser passer une telle opportunité ! La capacité de l’usine NUMMI est telle qu’elle lui permettra d’atteindre son objectif : produire 500 000 voitures électriques par an à l’horizon 2020 ! Ses propriétaires n’en veulent plus. Et elle est située à une trentaine de kilomètres du siège de Tesla, à Palo Alto. La négociation est menée en un temps record et pour un montant particulièrement avantageux. Alors qu’elle est évaluée à 1,3 milliard de dollars, Tesla rachète l’usine pour… 42 millions de dollars et ses équipements pour 17 millions ! La société conclut un partenariat avec Toyota dans le but de développer conjointement des véhicules électriques. Tesla prend possession des lieux en octobre 2010 et le premier exemplaire de la Model S de série sort en juin 2012. Elon Musk va vite, Tesla va tambour battant. La première ligne de fabrication, installée au rez-de-chaussée du bâtiment qui compte un étage, a été remodelée durant l’été 2014. Devenue une ligne à haute cadence, sa capacité de production peut atteindre 3 000 véhicules par semaine. Il faudra bien cela pour fabriquer les 55 000 véhicules que Tesla ambitionne de produire en 2015. L’usine garde d’ailleurs d’importantes possibilités d’extension puisque la ligne n’occupe pour l’instant qu’une seule petite partie du bâtiment. Une deuxième ligne de fabrication est en cours d’installation, elle devrait être opérationnelle d’ici à la fin de l’année. Des centaines de robots de dernière génération sont livrés, testés, installés depuis fin 2014. Ce sont eux qui fabriqueront la Model X. Pour produire des voitures particulièrement innovantes en série, il fallait une usine elle aussi en rupture avec les codes du secteur automobile. Et on peut dire que Tesla n’a pas lésiné sur ce point ! « Nous avons conçu une usine très organisée et très efficace, mais aussi très agréable, où les gens ont envie de venir travailler ! » raconte aujourd’hui Gilbert Passin, vice- président Manufacturing. Ce Français, entré chez Tesla en janvier 2010 pour y mettre en place la fabrication, a fait l’essentiel de sa carrière dans le secteur automobile aux Etats-Unis et au Canada, chez Mack, Volvo et Toyota. Au tout début, son équipe et lui étaient hébergés dans l’usine de SpaceX, autre entreprise créée par Elon Musk, spécialisée dans l’astronautique. « Tout était nickel là-bas, cela nous a inspirés », poursuit Gilbert Passin.
La Tesla Factory en chiffres
• Surface : plus de 464 500 m2 sur 2 niveaux.
• Capacité de production : 500 000 véhicules par an à l’horizon 2020. aujourd’hui, le site pourrait produire jusqu’à 3 000 voitures par semaine. En 2015, l’usine démarre la fabrication de la model X, le premier SUV haut de gamme 100% électrique.
• Model S : 70 000 model S ont été vendues depuis le début de sa commercialisation, en 2012. Tesla prévoit d’en livrer 55 000 en 2015.
• Délai de fabrication : 2 jours pour la fabrication des pièces, 3 jours pour l’assemblage.
• Délai de livraison : 4 mois entre la commande et la livraison de la voiture au client.
• Vitesse : la model S P85D, la version la plus puissante, atteint 100 km/h en 3,3 s. La vitesse maximale est comprise entre 225 et 250 km/h.
• Batteries : la batterie est composée de 7 000 piles lithium-ion, fabriquées par Panasonic, au Japon, selon une technologie propre à Tesla. Lorsque l’usine Gigafactory 1, en cours de construction dans le Nevada, sera opérationnelle, en 2017, Tesla fabriquera elle-même ses batteries.
Les robots à la manœuvre
Qu’est-ce qui différencie la Tesla Factory d’une autre usine automobile ? Tout ou presque ! Tesla fabrique l’essentiel des pièces qui composent ses voitures via des processus très intégrés. Moteur, convertisseur, carrosserie, boîte de vitesse, pack batterie, sans oublier les logiciels, devenus des composants essentiels, tout est made by Tesla ! « Cela va des bobines d’aluminium jusqu’à la voiture finie ! » se félicite Gilbert Passin. Seuls quelques composants, comme les roues, les pneus ou encore les écrans, sont fabriqués par d’autres entreprises. Pour l’instant, les piles lithium-ion qui composent le pack batterie sont fabriquées au Japon par Panasonic selon une technologie développée par Tesla. Mais c’est la Tesla Gigafactory 1, installée à Reno, dans le Nevada (au grand dam de la Californie, qui a vu s’enfuir ce projet forcément très convoité), qui les fabriquera, dès que cette méga-usine voulue par Elon Musk sera opérationnelle, en 2017. Cela fera baisser le coût des batteries d’environ 30%. Au début de la fabrication, des robots déroulent d’énormes bobines d’aluminium et les découpent en feuilles. Celles-ci sont embouties par des presses, « les plus puissantes des Etats-Unis », affirme, sûr de lui, Adam Kirby, qui fait régulièrement visiter l’usine. Ces presses forment les portières, le capot, etc. L’aluminium arrive aussi sous forme de lingots, qui sont fondus pour être injectés à haute pression dans des moules et produire différentes pièces. En tout, 98% de la caisse d’une Tesla est en aluminium. Seuls les parechocs, les renforts latéraux et le support des suspensions sont en acier. Le plastique, sous forme de billes, qui doivent être fondues, est injecté pour former certaines pièces. Les piles – 7 000 par batterie – sont assemblées dans le pack, un rectangle métallique qui sera placé dans le fond du châssis. « Ce pack pèse lourd. Il abaisse le centre de gravité de la voiture, ce qui lui donne une grande stabilité », précise Adam Kirby. Les moteurs, quant à eux, sont d’une taille particulièrement réduite par rapport à un moteur à essence. Conjugué à l’absence de réservoir, cela libère de la place et fait des Tesla des voitures plutôt spacieuses. Les robots forment les pièces, les convoient, les assemblent, par soudure ou par emboîtement. A l’instar du Titan 1000, de l’allemand Kuka, qui soulève et positionne une carrosserie complète avec une précision de 0,2 mm ! Beaucoup de robots sont multitâches et changent eux-mêmes d’outils en fonction du travail à effectuer. Les ouvriers, peu nombreux, présents le long de la chaîne, sont surtout chargés des contrôles de finition et des opérations que les robots ne peuvent pas effectuer comme, par exemple, certaines soudures dans des endroits peu accessibles.
Une autre philosophie automobile
Les carrosseries assemblées sont automatiquement acheminées vers l’atelier de peinture. Elles en sortent capot ouvert, auquel une feuille a été fixée, qui précise les options d’aménagement intérieur demandées par le client. Connexion de la batterie, sièges, éléments du tableau de bord, etc., ces aménagements sont réalisés par des ouvriers assistés de robots. L’ensemble des pièces est produit en deux jours. Il en faut trois de plus pour assembler le tout, peindre, réaliser les finitions et livrer une Tesla Model S rutilante à son propriétaire. Pour commander et recevoir sa voiture, ce dernier aura auparavant ouvert un compte My Tesla. L’achat se fait en direct ou en ligne. « Il n’y a pas de bon de commande ni de chèque, chez Tesla. Le client paie par carte bancaire. Puis, grâce à son compte, il peut suivre à distance la fabrication de sa voiture, consulter le manuel d’utilisation, acheter des accessoires ou des objets siglés Tesla, etc. », détaille olivier Loedel, directeur de Tesla France. Tesla casse les codes du secteur automobile et pas seulement dans la vente. Le bureau d’études est installé tout à côté de la ligne de fabrication. Cela favorise les échanges entre les différents métiers. Seules la direction juridique et celle des ressources humaines ont des bureaux à l’étage. De même, les recrutements se font en dehors des métiers habituels. Tesla n’hésite pas à consulter beaucoup pour trouver les profils intéressants. Bloomberg affirmait récemment que le constructeur aurait déjà recruté quelque 150 anciens employés d’Apple à des postes commerciaux, techniques ou de design. « Une Tesla relève plus de l’informatique que de l’automobile », remarque Anthony Maes, ingénieur logiciel, recruté fin 2013 pour travailler sur l’interface utilisateur et la fonction de pilotage automatique, qui devrait apparaître sur les voitures fin 2015. Le logiciel prend une part de plus en plus importante dans les véhicules. Il est régulièrement mis à jour pour ajouter de nouvelles fonctionnalités, comme les applications d’un smartphone… « Mais cela présente un avantage : on peut apporter une amélioration à la voiture sans la rappeler ! » remarque Anthony Maes. C’est presque de la science-fiction. Good job !
3 questions à Gilbert Passin
Vice-président Manufacturing chez Tesla.
The Good Life : Vous dites avoir voulu faire du site de Fremont une usine agréable, où les gens ont envie de venir travailler. Comment avez-vous fait ?
Gilbert Passin : On a tout refait ! On a commencé par l’intérieur. Nous avons rendu le bâtiment clair et lumineux. Nous avons aussi refait l’extérieur, pour avoir un look plus « Silicon Valley ». Nous avons essayé de créer une ambiance, un contexte, où les gens ont plaisir à faire des choses. Surtout, notre but n’était pas de reproduire, mais de construire quelque chose d’entièrement nouveau. Tout comme au début de Tesla, lorsque Elon Musk m’a confié la charge de la fabrication.
TGL : Vous avez une longue expérience dans le secteur automobile en Amérique du Nord. Comment avez-vous conjugué expérience et innovation totale ?
G. P. : J’ai beaucoup appris dans mes postes précédents chez Renault, Volvo et Toyota. Mais ici, nous sommes partis d’une feuille blanche. Au tout début de Tesla, nous n’avions pas d’usine, pas de véhicule, pas d’outil… Il n’existait aucun processus industriel pour les voitures électriques, nous devions les inventer. Nous avons donc repensé les étapes de la production avec des techniques nouvelles. Par exemple, dans un processus traditionnel, un robot effectue une tâche. Nous aimons beaucoup les robots, mais nous n’avions pas forcément beaucoup d’argent. Alors nous avons travaillé avec les fabricants pour concevoir des robots multitâches que nous avons intégrés dans le processus de fabrication. Et nous avons recruté le personnel capable d’imaginer et de mettre en œuvre ces processus. Nous continuons d’expérimenter avec les entreprises qui nous proposent des innovations.
TGL : La proximité de la Silicon Valley et d’universités comme Stanford doivent vous apporter beaucoup de personnes qualifiées et d’innovations…
G. P. : C’est vrai que les gens qui travaillent ici ne viennent pas tous de l’industrie automobile. Ils ont de l’expérience dans le secteur médical, l’agroalimentaire, la high-tech… Mais Tesla a une aura très forte, qui attire les talents universitaires et professionnels du monde entier ! nous recrutons donc surtout des gens qui veulent s’exprimer et qui sont motivés : car nous travaillons beaucoup, facilement de 50 à 60 heures par semaine !
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