« L’histoire fantastique que nous allons conter se passa en des temps immémoriaux, dans la nuit du fond des âges, à l’aube de l’histoire des hommes. Ceux-ci vivaient en clans sauvages ou en hordes belliqueuses, qui ignoraient encore tout, ou presque, de ce qui n’était pas la “chasse” ou le “combat”. Pour “ceux-qui-marchent-debout”, tout était mystère. Mystère, la pluie et le vent… Mystère, la nuit et la lune… Mystère, le jour et le soleil. C’était le temps obscur de l’ignorance, le temps des démons et des grands effrois. Mais c’était aussi le temps du courage, car déjà en ces âges farouches, certains rêvaient d’arracher leurs semblables aux cruautés des combats et aux ténèbres de l’ignorance. Le plus fameux de ces chasseurs, qui “pensait-avant-les-autres”, fut très certainement le fils de Craô, celui qu’on surnommerait “Rahan” ! » Tout le développement narratif est contenu dans l’incipit de cette bande dessinée qui se déroule pendant la préhistoire. Outre l’exotisme de cette époque, il n’y a pas meilleur décor que cette nuit des temps fantasmée où l’homme né inachevé ne peut que s’élever. En ces âges farouches, Rahan, solaire et solitaire, incarne l’idéal du héros absolu, respectant la typologie du genre. Le premier épisode met en lumière son parcours initiatique et son inscription dans l’illustre lignée des hommes élus dès leur naissance. Rahan est doublement orphelin. Ses parents meurent alors qu’il n’est qu’un nourrisson. Il est alors adopté par le clan du Mont-Bleu et son chef, Craô, avant que la tribu ne soit rapidement décimée par l’éruption d’un volcan.
Un homme affranchi des superstitions
Rahan fonde ainsi son statut de héros dans cette occultation originelle. Sans tribu, ni patrie, ni territoire, ni dieu, ni histoire, Rahan transcende tous les liens et carcans sociaux pour se réaliser en tant qu’individu libre et acquérir l’universalisme salutaire. Doté d’un coutelas d’ivoire et d’un collier de griffes légué par son père adoptif, Rahan décide de partir en quête de la « tanière du Soleil », fil directeur de tous les épisodes et ruse narrative permettant de perpétuer ses aventures à l’envi. Le canevas narratif est alors immuable et la métaphore du progrès est infinie. En effet, l’homme libre est un homme qui sait s’affranchir des peurs irrationnelles et des superstitions primaires grâce au savoir et à la pratique. Le hasard se révèle alors être un allié profitable à cet éveil intellectuel. Rahan observe les phénomènes, les comprend et se les approprie pour ensuite les transmettre. C’est une approche éminemment empirique de la science. Ainsi, un saumon accroché à une épine lui donne l’idée de l’hameçon, la queue d’un poisson suggère le gouvernail, une goutte d’eau se transforme en lentille ou microscope. Les grands thèmes idéologiques sont à peine déguisés. La nature peut être domptée. La science et l’instruction abattent l’ignorance et la superstition. C’est ainsi que Rahan finit toujours par libérer les clans de « ceux-qui-marchent-debout » de l’influence néfaste des figures oppressives : sorciers et chefs tyranniques. Cette prise de conscience passe par l’éducation et la transmission des savoirs et des pratiques permettant à l’homme de s’affirmer en tant qu’individu au-delà du collectif. On comprend alors que le progrès vise une inéluctable civilisation extirpant l’humanité de cet état sauvage supposé et permet ainsi l’édification de la société.