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Comment Teahupoo, en Polynésie, s’est-elle préparée pour Paris 2024 ?

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À presque deux heures de Papeete déroule l'une des vagues les plus enragées au monde. Teahupoo accueillera en 2024 les épreuves de surf des Jeux Olympiques, ses athlètes et son organisation titanesque. Mais à quel prix ?

La commune de Teahupoo, sur l’île de Tahiti (Polynésie française), a été préférée à Biarritz, Hossegor et Lacanau pour accueillir les épreuves de surf des Jeux Olympiques 2024. Cette décision implique un record : celui de la distance entre le lieu de tenue d’une compétition olympique et sa ville hôte, soit plus de 15.000 kilomètres.

Si le spot, plus connu des surfeurs aguerris que des touristes, a l’habitude d’accueillir des compétitions internationales — une étape du championnat du monde de surf s’y tient chaque année —, l’ampleur des J.O. pose des questions, notamment en matière de sauvegarde des lieux.


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Sur la vague, en mars 2023, les surfeurs japonais sélectionnés pour les J.O. s’entraînent déjà.
Sur la vague, en mars 2023, les surfeurs japonais sélectionnés pour les J.O. s’entraînent déjà. Fanny Liaux Gasquerel / iPhone 14

Teahupoo : un paradis méconnu et préservé

« Oh, on n’en a pas pour longtemps… Une bonne heure et demie, vus les embouteillages ! » prévient notre chauffeur, Mahoinui a souhaité emmener son ami Tahuaitu car il n’a jamais vu Teahupoo. « Je sais qu’il y a la meilleure roulotte à burger à l’entrée de la presqu’île, mais pour le reste… » Située à 70 kilomètres de la capitale Papeete, la petite commune n’est pas exactement une station balnéaire prisée.

Plus encore, ce « bout du monde » reste, comme nous le prouve Tahuaitu, inconnu de la plupart des Polynésiens. Ils savent que la route de Papeete s’y finit ; c’est d’ailleurs ce point bien précis qu’on me propose d’aller observer dès mon arrivée à mon logement, une chambre chez l’habitant — il n’y a pas d’hôtel à Teahupoo.

Pas plus de restaurants que d’hôtels à Teahupoo… Deux snacks assurent aux surfeurs un regain d’énergie, tout comme ce distributeur Coca-Cola.
Pas plus de restaurants que d’hôtels à Teahupoo… Deux snacks assurent aux surfeurs un regain d’énergie, tout comme ce distributeur Coca-Cola. Fanny Liaux Gasquerel / iPhone 14

Une fois arrivé au bout de la route, on poursuit sur un chemin réservé aux propriétaires terriens du Fenua Aihere. Fenua comme « terre », un terme que l’on retrouve souvent en Polynésie pour marquer l’importance du territoire, du terroir même. A la pointe de la presqu’île, à son extrême sud, cette « campagne » comme les locaux la nomme est une région quasi inhabitée.

Accessible uniquement par bateau ou par randonnée au-delà du sentier qui dessert les habitations les plus proches de Teahupoo, seule une dizaine de familles tahitiennes y ont élu domicile à l’année. Les autres maisons qui peuplent ce littoral vierge sont des résidences secondaires.

Le Fenua Aihere, vu du bateau.
Le Fenua Aihere, vu du bateau. Fanny Liaux Gasquerel / iPhone 14

Quelles inquiétudes ?

Pour décrocher l’organisation des épreuves de surf de ces Jeux Olympiques français, le gouvernement polynésien a déposé un complexe dossier. Cette vague, l’une des plus dangereuses au monde, était en concurrence avec celles de Lacanau, des Landes et du Pays Basque.

Peut-être grâce à leur nature pacifiste, les habitants de Teahupoo ne se sont pas élevés contre le projet, titanesque, qui aurait pu les effrayer. « Nous avions uniquement exigé une transparence totale, ce que nous avons obtenu », explique une habitante. Dans l’ensemble, la presqu’île est plutôt sereine face à l’arrivée de cette vague médiatique. Après tout, elle accueille depuis longtemps, et ce chaque année, l’une des plus importantes étapes du championnat WSL, la ligue de surf internationale. Les athlètes y ont leurs habitudes et sont d’ailleurs souvent fidèles à la famille qui les héberge pendant la compétition.

A l’inverse des habitudes de la WSL, le comité souhaitait voir construit un village pour les athlètes des Jeux Olympiques 2024 dans le Fenua Aihere. Une telle installation aurait requis de profondément dénaturer le paysage immaculé sur lequel lorgnaient les instances olympiques, des actes que dénonça l’association locale Vai Ara o Teahupoo (littéralement « que Teahupoo reste vigilant »).

La plupart des habitants de Teahupoo font partie de cette alliance citoyenne qui aime montrer ses couleurs sur de jolis t-shirts que ses membres portent dans la vie de tous les jours. Leurs actions récentes ont notamment permis l’arrêt d’un projet d’installation d’une antenne 4G dans la zone la plus reculée du Fenua Aihere, là où l’on vit encore sans accès à Internet ou au réseau téléphonique. Un choix — qui doit le rester.

Que faire alors pour loger les participants aux épreuves de surf ? « Depuis le 12 août [2022,, ndlr], nous avons rencontré tous les acteurs sur le site. C’est un dossier qui avance bien. Des aménagements sont nécessaires, mais la plupart seront temporaires pour ne pas dénaturer les lieux », a annoncé Édouard Fritch, président de la Polynésie française, lors de l’intronisation officielle de Teahupoo comme ville d’accueil des Jeux Olympiques 2024.

Si le projet d’un site ex-nihilo a donc été abrogé, celui de recourir aux familles locales pour héberger les athlètes a subi le même sort. Les surfeurs séjourneront donc sur un bateau de croisière aménagé amarré à 10 kilomètres de la vague. Il se murmure néanmoins que certaines délégations dormiront à terre, sans changer leurs habitudes… « L’idée du bateau est bonne pour nous car elle n’implique aucune édification, explique un guide local, mais surement pas pour les athlètes qui préfèrent la simplicité de nos maisons et leur accès facile à l’océan. »

Les conséquences des Jeux Olympiques 2024 sur Teahupoo

La marina locale, d’une quarantaine de places, est en chantier depuis un an afin de doubler sa capacité d’accueil. Aucune solution n’a été donnée aux marins locaux pour amarrer leurs bateaux entre-temps. Ses tarifs risquent aussi de s’envoler, éveillant les inquiétudes des propriétaires de bateau dont ils sont souvent la seule source de revenus.

Un chantier s’élève aussi là où la route s’achève.
Un chantier s’élève aussi là où la route s’achève. Fanny Liaux Gasquerel / iPhone 14

Là où la route s’arrête, un autre chantier est en cours. Celui de la rénovation du pont qui enjambe la rivière et dans laquelle les enfants du coin apprennent à nager. L’association Vai Ara o Teahupoo ne s’est pas opposée à ce projet mais a imposé ses règles : ne pas prolonger la route vers le Fenua Aihere et ne spoiler aucune ressource naturelle pour cette extension/rénovation. Aucun arbre ne sera coupé, aucun rocher ne sera déplacé, c’est promis — c’est en tout cas ce que la mairie assure.

Car à peine à plus d’un an de l’évènement, personne ne semble réellement savoir comment vont s’organiser les choses. « Nous sommes satisfaits car, pour le moment, rien ne se fait », s’amuse une habitante. En l’absence d’informations précises, chacun présume que, à la façon de l’installation annuelle de la WSL, des infrastructures légères et éphémères seront privilégiées. « Chacun est libre de venir surfer chez nous à condition qu’il reparte avec ses déchets et qu’il ne touche à rien », explique toujours cette locale, rappelant au passage que le partage est au cœur de la culture polynésienne.

Le pont qui sera prochainement réhabilité.
Le pont qui sera prochainement réhabilité. Fanny Liaux Gasquerel / iPhone 14

Effet secondaire de cette exposition médiatique unique, les terrains de la commune, jusque-là pour la plupart hérités de générations en générations, commencent à se vendre à prix d’or à des investisseurs extérieurs (souvent des étrangers). « Certains essaient de surfer sur l’engouement provoqué par les Jeux Olympiques 2024, nous apprend, sans jeu de mot, un habitant de Teahupoo. Les transactions s’accélèrent et les prix augmentent depuis l’annonce de l’événement ».

Rien ne semble néanmoins réellement inquiéter les Tahitiens de ce village du bout du monde. « Les choses reviendront à la normale une fois le cirque passé », tente-t-on de se convaincre.

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