Culture
Réputée pour son secret bancaire, sa haute horlogerie et ses divins chocolats, la Confédération helvétique abrite une autre ressource d’une richesse insoupçonnée : l’immense variété de ses prodigieuses collections d’art. Le pays sera d'ailleurs à l'honneur de la prochaine édition du Art Paris Art Fair, qui fête ses 20 ans, du 5 à 8 avril 2018.
Modeste par sa taille, la Suisse n’en est pas moins influente sur l’échiquier de l’art, d’après The European Fine Art Foundation (Tefaf ). Selon son rapport 2016, la part de marché du pays helvète s’élève à 2 %, ce qui le place en sixième position, derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et la France, ex aequo avec l’Allemagne. Il y a encore une quinzaine d’années, les deux places fortes de la Suisse étaient Zurich et Bâle, situées en pays alémanique. Zurich est le siège d’une dizaine de musées consacrés à l’art (dont le fameux Kunsthaus, doté de fabuleuses collections impressionnistes) et d’une centaine de galeries. La ville doit sa puissance à l’importance de ses fondations privées et de ses collections d’entreprises, à commencer par le Migros Museum, un musée d’art contemporain financé par la grande chaîne de supermarchés du même nom, ainsi qu’au dynamisme du Löwenbräu, une ancienne brasserie transformée il y a une vingtaine d’années en un gigantesque espace d’art contemporain. Le lieu regroupe des institutions prestigieuses (le Migros Museum justement, la Kunsthalle, la Collection Daros…) et quelques-unes des galeries d’art contemporain les plus cotées du moment (Eva Presenhuber, Bob Van Orsouw, Peter Kilchmann, Hauser & Wirth…).
Bâle, de son côté, est le siège de la plus grande foire d’art au monde, Art Basel, qui fêtera, en 2020, son 50e anniversaire. Chaque année, à la mi- juin, Bâle concentre le plus grand nombre d’avions privés de la planète. Milliardaires et oligarques convergent vers ce point du globe, où près de 300 galeristes brassent en cinq jours des centaines de millions de dollars. Le reste de l’année, la ville ne manque pas de vitrines : le Kunstmuseum possède les plus beaux Cranach et Holbein du monde ; le Schaulager, conçu par l’agence d’architecture Herzog & de Meuron, conserve l’immense collection d’art moderne et contemporain d’Emanuel Hoffmann ; la Fondation Beyeler, enclose dans un bâtiment signé Renzo Piano, abrite l’exceptionnelle collection du galeriste Ernst Beyeler, qui est l’un des trois cofondateurs d’Art Basel ; le musée Tinguely, construit par l’architecte Mario Botta, expose les réjouissantes machines en mouvement du plus célèbre sculpteur suisse. Quant aux bonnes galeries, elles abondent : Stampa, Nicolas Krupp, Gisèle Linder, von Bartha… Il a longtemps existé une grande disparité de richesse culturelle entre la Suisse alémanique et la Suisse romande, mais, depuis une quinzaine d’années, la fracture tend à se réduire. Genève, comme Lausanne, est l’une des villes dont le rayonnement est en plein accroissement. La cité de Calvin a pris un train d’avance avec la montée en puissance du quartier des Bains, une ancienne zone industrielle transformée en district arty.
Suisse : le port franc de Genève, plus grande concentration d’oeuvres d’art au monde
Une quinzaine de galeries d’art contemporain, dont les fameuses galeries Skopia ou Xippas, ont pris possession de cet ancien quartier populaire. Elles se sont agrégées au Mamco, le musée d’Art moderne et contemporain, qui s’est implanté là dès 1994. Depuis 2010, un autre poids lourd du monde de l’art a inauguré un espace à Genève, l’Américain Larry Gagosian. C’est dans cette ville encore qu’ont pris pied les maisons de vente Sotheby’s, Christie’s ou encore Blondeau Fine Art Services (BFAS). Si Genève a atteint une telle envergure, c’est – en partie – à son port franc qu’elle le doit. Plus d’un million d’œuvres d’art sont conservées dans 150 000 m2 d’entrepôts.
Le plus beau musée du monde, et le plus secret, se trouve dans cette caverne d’Ali Baba, mieux sécurisée que la réserve d’or de Fort Knox. La ville de Lausanne, que l’on a longtemps associée à la très belle Collection de l’art brut, née de la donation de Jean Dubuffet, est, elle aussi, en pleine mutation. Fin 2019, un nouveau pôle muséal naîtra dans d’anciennes halles situées près de la gare, avec tout d’abord le musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA). Prévu pour 2021, un bâtiment imaginé par les frères Aires Mateus accueillera le musée de Design et d’Arts appliqués contemporains (Mudac), qui abandonnera la place de la Cathédrale, et le musée de l’Elysée, consacré à la photographie, qui quittera les bords du lac Léman. La ville, qui abrite de bonnes galeries, s’est même dotée, depuis l’an dernier, d’une foire internationale d’art contemporain qui se tient en avril. La configuration politique du pays explique, sans doute, l’émulation qui se dessine entre les diverses régions. La Suisse est constituée de 26 cantons qui fonctionnent comme autant de micro-Etats souverains : chacun manifeste une volonté de rayonnement culturel.
4 questions à Guillaume Piens
Commissaire général d’Art Paris Art Fair, une foire qui a forgé sa réputation en ouvrant le champ de l’art et en explorant des scènes étrangères, et qui fête cette année ses 20 ans en mettant la Suisse à l’honneur.
The Good Life : Pourquoi avoir choisi la Suisse comme invitée d’honneur ?
Guillaume Piens : La Suisse est à la croisée de toutes les traditions européennes, puisqu’on y retrouve à la fois les cultures française, latine et germanique. Dans ses composantes, c’est un pays régionaliste, avec des cantons et des villes très différents et très autonomes dans leur façon de fonctionner. Inviter 14 galeries suisses – de Lausanne, de Zurich, de Bâle, de Berne, de Neuchâtel et de Genève –, c’est être en accord avec la vocation d’Art Paris Art Fair, qui entend mettre en valeur les différentes régions d’Europe et se distingue ainsi de la FIAC, davantage tournée vers le marché américain.
TGL : La Suisse est voisine, et pourtant on connaît mal sa scène artistique…
G. P. : Il existe des pans entiers de la culture suisse qui ne nous sont pas étrangers, à travers des artistes comme Le Corbusier ou Pierrette Bloch, qui ont été intégrés au paysage français ; à travers, également, la scène très active des années 90, qui a vu émerger des figures telles que Pipilotti Rist, Ugo Rondinone ou Fischli & Weiss. En revanche, on connaît moins la jeune scène, incarnée par des artistes comme Augustin Rebetez, Anne Rochat ou Claudia Comte. La programmation de « La Suisse à l’honneur », confiée à Karine Tissot, historienne de l’art et commissaire d’exposition, permet de les mettre en lumière.
TGL : Cette programmation intègre pratiquement tous les types de médiums : vidéos, wall paintings, installations…
G. P. : Karine Tissot a mis en place un très riche programme vidéo, entièrement consacré aux artistes femmes. Elle a aussi invité le groupe Helvetia à exposer une partie de sa fabuleuse collection d‘art contemporain suisse. Les visiteurs découvriront aussi des projections nocturnes de Camille Scherrer, Yves Netzhammer et Alan Bogana sur la façade du Grand Palais, une installation de John M. Armleder sur le perron, d’immenses wall paintings de Christian Gonzenbach et Christoph Rütimann… De quoi prouver que la Suisse a du répondant.
TGL : Comment se présente l’édition 2018, qui marque les 20 ans de la foire ?
G. P. : Nous l’attendons avec beaucoup de sérénité puisque, parmi les 140 galeries présentes, nous accueillons cette année de nombreuses enseignes parisiennes de prestige, qui reviennent vers nous ou qui postulent pour la première fois. C’est le cas des galeries Dominique Fiat, Anne de Villepoix, Eric Dupont, Odile Ouizeman, Alain Gutharc, Jean Brolly, Bertrand Grimont ou encore Eric Mouchet et Zlotowski, qui font stand commun. Pour nos 20 ans, nous avons demandé au commissaire d’exposition François Piron de porter un regard subjectif sur la scène française en opérant une sélection parmi les projets des galeries participantes et en produisant un texte d’analyse de fond. Au moment où la France redémarre d’un point de vue économique, il nous a semblé important de souligner aussi le dynamisme de notre scène artistique.
Art Paris Art Fair,
Grand Palais (Paris),
du 5 au 8 avril.
www.artparis.com
C’est ainsi qu’il existe un maillage de plus de mille musées et fondations sur un territoire de 41 000 km2, soit l’équivalent de l’ex-région Aquitaine. Souvent considérée comme un pays à part, la Suisse l’est donc aussi dans le domaine des arts plastiques. Le phénomène n’est pas près de s’essouffler, si l’on en juge par le nombre de personnalités helvétiques qui régentent la carte mondialisée de l’art. Outre les artistes tels que Pipilotti Rist, Fischli & Weiss, Sylvie Fleury, Ugo Rondinone, John M. Armleder, Thomas Hirschhorn ou Urs Fischer, très présents sur la scène internationale, il faut encore compter avec le très influent commissaire d’exposition Hans Ulrich Obrist, chargé des projets internationaux des Serpentine Galleries, à Londres ; avec Simon de Pury, la « rock-star » des commissaires–priseurs ; ou encore avec Iwan et Manuela Wirth, propriétaires de la galerie Hauser & Wirth, avec six espaces répartis entre Zurich, New York, Los Angeles, Londres, Gstaad et le Somerset, et un impressionnant portefeuille d’artistes (Mike Kelley, Dan Graham, Ron Mueck, Roni Horn…).
En 2015, le magazine britannique Art Review, qui classe chaque année les 100 personnalités les plus influentes dans le domaine de l’art, avait porté Iwan et Manuela Wirth en tête de son palmarès. L’année suivante, c’était Hans Ulrich Obrist qui prenait la main. Rien ne dit que Maja Hoffmann, l’héritière des laboratoires La Roche, qui inaugurera fin 2018 la Fondation Luma, à Arles, ne sera pas la prochaine à monter sur la plus haute marche du podium. En attendant, la foire Art Paris Art Fair 2018 fait de la Suisse son invitée d’honneur, avec une quinzaine de galeries en vedette. L’art helvète monte au créneau, premier de cordée sous la verrière du Grand Palais.