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Le site de Simose, au Japon, réunit architecture, art et gastronomie dans un lieu d’exception où Shigeru Ban a laissé libre cours à sa créativité et à son savoir-faire. L’architecte, guidé par la quête d’une communion avec la nature, a imaginé un musée, un restaurant et un hôtel… qui n’en est pas un.
Chaque année depuis 2015, le Prix Versailles récompense les réalisations architecturales contemporaines « les plus belles du monde » dans huit catégories différentes, parmi lesquelles les aéroports, les équipements sportifs ou encore les hôtels et les restaurants. Une qualification qui peut sembler bien superficielle tant la notion de « beau » est complexe et rend peu compte des difficultés qui entourent l’acte de bâtir aujourd’hui. Parmi les lauréats de cette année, l’architecte Shigeru Ban.
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C’est néanmoins un jury d’exception, renouvelé chaque année, qui met son expertise au service de ce prix, dont les résultats sont traditionnellement annoncés au siège de l’Unesco, à Paris.

Pour sa dixième édition, qui s’est déroulée en 2024, il réunissait un panel de personnalités reconnues dans leurs domaines respectifs : les architectes Wang Shu, David Adjaye, Daniel Libeskind et Sou Fujimoto, le danseur et chorégraphe Benjamin Millepied, l’actrice Blanca Suarez, la violoniste Julia Fischer et la styliste Guo Pei.
Parmi les projets lauréats figure le Simose Art Museum, au Japon, récompensé dans la catégorie « musées ». Difficile d’affirmer qu’il est « le plus beau », mais une chose est sûre, cet endroit, à 45 minutes au sud-ouest d’Hiroshima, à l’écart de l’effervescence urbaine de Tokyo et Kyoto, ne ressemble à aucun autre.
Effet miroir
Il y a d’abord le site, un terrain de 4,6 hectares au bord de la mer intérieure de Seto, qui sépare les îles de Honshu, Shikoku et Kyushu. Cette étendue d’eau est un lieu à part, assez méconnu, mais spectaculaire par sa géographie et la splendeur de ses paysages. Dans cet environnement d’exception, le Simose Art Museum n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un ensemble plus vaste qui regroupe également un hôtel composé de dix villas, le Simose Art Garden Villa, et un restaurant français. Aux manettes, l’architecte Shigeru Ban.

Lauréat du Pritzker Prize en 2014, distinction considérée comme le Nobel de l’architecture, le Japonais est connu pour son engagement de longue date en faveur des populations touchées par les catastrophes naturelles et humaines. Il a ainsi forgé sa renommée internationale en imaginant des structures en tubes de carton qui ont offert des habitats temporaires aux victimes du génocide au Rwanda (1994), du séisme de Kobe (1995) ou, plus récemment, aux réfugiés ukrainiens à Paris.
Mais Shigeru Ban ne craint pas le grand écart. Sa carrière est jalonnée de réalisations prestigieuses comme le Centre Pompidou-Metz (2010), la Seine musicale (2017), à Paris, ou encore le siège social de SwatchOmega (2019), à Bienne, réalisations assorties de budgets confortables. Le musée Simose est le fruit de la passion de Yumiko Shimose, P-DG de Marui Sangyo Corporation, l’entreprise de matériaux de construction fondée par ses parents en 1958.

Depuis sa création, la compagnie familiale a constitué une collection riche de plus de 500 œuvres d’art, qui comprend des poupées traditionnelles japonaises, des peintures modernes et des objets d’artisanat occidentaux, conservées et exposées au Simose Art Museum. Une fondation éponyme a été créée en 2018, laquelle contribue au développement et à la promotion de la culture dans la région d’Hiroshima et au Japon. Pour abriter cette riche collection et imaginer un écrin à la hauteur, Yumiko Shimose a fait appel à l’un de ses célèbres compatriotes en la personne de Shigeru Ban.
L’entrée dans le musée s’effectue par un bâtiment d’accueil, qui dévoile une de ces spectaculaires charpentes en bois dont l’architecte a le secret. Parallèlement au trait de côte, le vaste site de Simose est traversé par un mur en verre miroir qui s’étire sur près de 190 mètres de longueur et s’élève à 8,5 mètres de hauteur, créant un effet visuel saisissant. Le paysage se trouve doublé par réflexion, brouillant les repères spatiaux et démultipliant les points de vue.

Au pied de cet écran monumental se trouve un plan d’eau de faible profondeur sur lequel sont disposées huit galeries mobiles d’exposition, chacune habillée d’un verre de couleur différente. Elles composent un paysage fragmenté, rappelant la singularité des îles éparses de la mer de Seto. « Ces volumes flottent sur des barges, ce qui permet de les déplacer avec seulement deux personnes, de sorte que la disposition peut être modifiée en fonction du récit de l’exposition », explique-t-on à l’agence Shigeru Ban. Un dispositif furieusement photogénique.
La nuit tombée, ces boîtes lumineuses révèlent une atmosphère onirique. Situé à l’extrémité nord de l’écran-miroir, le jardin Émile-Gallé convoque des plantes que l’artiste et designer français du même nom (1846-1904) utilisait comme motifs dans ses œuvres, lesquelles constituent une partie importante de la collection du musée.
Dix villas-bijoux
Le Simose Art Garden Villa, de son côté, est un hôtel qui n’en est pas vraiment un tant il s’affranchit des codes du genre. Il se compose de dix villas, réparties en deux catégories, Waterfront Villas et Forest Villas, tantôt alignées face à l’eau, tantôt disséminées dans la nature au milieu des arbres. Autre métaphore de l’insularité qui caractérise le site, chacune possède son identité propre et une écriture architecturale spécifique.

Pour quatre d’entre elles, Shigeru Ban a exhumé des maisons qu’il avait dessinées au début de sa carrière : la célèbre Paper House, conçue à partir des fameux tubes en carton, la House of Double Roof, originellement édifiée au bord du lac Yamanaka, la Furniture House, où mobilier et structures se confondent, et enfin, la Wall-less House, dont les trois façades vitrées repoussent les limites de la transparence.
Cinq d’entre elles, les Kielsteg Houses, ont été spécifiquement conçues pour le Simose Art Garden Villa, selon le procédé de construction en bois provenant d’Autriche qui a donné son nom aux maisons. La lumière y pénètre comme si elle était filtrée à travers les arbres. La Cross Wall House a quant à elle été imaginée en hommage à John Hejduk (1929-2000), directeur du département d’architecture de la prestigieuse université Cooper Union, qui a eu une influence importante sur Shigeru Ban pendant ses années d’études à New York.

Si chacune possède ses caractéristiques architecturales, toutes les maisons ont en commun d’établir une relation très forte avec la nature environnante. Elles possèdent bien sûr tout le confort nécessaire et il faut compter un minimum de 1 000 euros pour passer la nuit dans cet hôtel haut de gamme, le billet d’entrée au musée étant compris dans le prix. Face à la mer, un restaurant de 50 couverts propose une cuisine exclusivement française qui revisite des classiques tels que le pot-au-feu ou le foie gras.
Pour les passionnés d’architecture, d’art et du Japon, le Simose offre une expérience unique, un voyage à la découverte de l’un des trésors de l’ouest japonais. Jusqu’au 13 avril, le musée présente une exposition intitulée « Small Cute Things. Hina Decorations and Gosho Dolls », consacrée aux « petites et belles choses », chéries depuis des générations dans la famille Shimose, notamment des poupées japonaises qui constituent la base de la collection familiale et un pan essentiel de la culture nippone.
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