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Power Station of Art, Shangai
La gigantesque Power Station of Art, seule structure publique du West Bund, abrite la biennale de Shanghai.
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Culture

Shanghai prend le train de l’art

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A Shanghai, les musées privés prennent la main. Pour le moment. Mais c’est sans compter sur les ambitions de certains acteurs du marché, qui aimeraient bien voir la mégapole doubler Hong Kong. Il y a encore un peu de boulot…

On y croise tous les VIP du monde de l’art. Bernard Blistène, du Centre Pompidou, Frances Morris, de la Tate Modern, ou Marc Spiegler, le patron d’Art Basel, y ont été pris en flagrant délit de selfies devant des œuvres de Sterling Ruby, d’Olafur Eliasson ou de Zhang Enli. Le Shanghai Night est l’espace muséal le plus couru de Shanghai. A cela près que ce n’est pas un musée, mais un karaoké, semé de colonnes et de dorures, une bonbonnière de quatre étages pour nouveaux riches qui s’époumonent sur les tubes des stars de la pop sirupeuse asiatique. Plus clinquant qu’une Rolex Yacht-Master 18 carats, le Shanghai Night appartient à Qiao ­Zhibing, un entrepreneur qui s’est lancé dans l’art contemporain avec un appétit féroce.

Le Yuz Museum s’étend sur plus de 6 000 m2. Il a été financé par le Tycoon Budi Tek.
Le Yuz Museum s’étend sur plus de 6 000 m2. Il a été financé par le Tycoon Budi Tek. Olivia Martin-McGuire

La ville compte nombre de ces magnats collectionneurs qui font et défont le paysage artistique. En 2005, Dai Zhikang, patron du Zendai Group, a été l’un des premiers à ouvrir, dans le quartier de Pudong, un espace d’art baptisé le Zendai MoMA (renommé en 2009 Shanghai Himalayas Museum). D’autres ont suivi. En 2010, Adrian Cheng, 37 ans, héritier de la New World Development Company Limited – un empire dans le monde du luxe, des grands magasins et de l’hôtellerie –, a créé la K11 Art Foundation (KAF) (@k11artfoundation) et ouvert un espace d’art au sein de l’un de ses centres commerciaux. En 2012, Budi Tek, qui a fait fortune dans l’agroalimentaire en Indonésie, a inauguré le Yuz Museum (@yuzmuseum), un musée de plus de 6 000 m2. En 2013, David Chau, 32 ans, petit génie de la finance, a lancé une foire d’art contemporain à ­Shanghai : Art021. Tout ce petit monde voyage en écumant les foires et les biennales internationales et calque ses rêves sur le modèle muséal occidental. Depuis une dizaine d’années, c’est à qui achètera les œuvres les plus chères et ouvrira les musées privés les plus vastes. « L’effervescence muséale de Shanghai est à l’image du dynamisme économique de la ville, explique Leo Xu, qui défend de jeunes artistes chinois depuis sa galerie nichée dans l’ancienne concession française. La plupart de ces nouveaux musées privés sont liés à des collectionneurs, dont une bonne partie sont des promoteurs immobiliers. Le musée est pour eux un outil promotionnel et un levier. Ils l’utilisent pour valoriser des parcelles de terrain qu’ils ont achetées, comme outil de relations publiques avec les politiques, comme ascenseur social personnel aussi. »

Meo Xu défend l’avant-garde locale dans sa galerie de l’ancienne concession française.
Meo Xu défend l’avant-garde locale dans sa galerie de l’ancienne concession française. Olivia Martin-McGuire

A ce jeu-là, le gagnant est sans conteste le magnat Liu Yiqian, qui préside le Sunline Group et dont la fortune est estimée à 1,38 milliard de dollars. Avec son épouse Wang Wei, Liu Yiqian a défrayé la chronique en novembre 2015, lorsqu’il a acquis chez Christie’s New York le Nu couché de Modigliani pour 170,4 millions de dollars. Il a ouvert à Shanghai le Long Museum (@thelongmuseum), qui compte deux antennes : l’une à Pudong et l’autre dans le West Bund, cette zone transformée depuis peu en art district. Le long du fleuve Huangpu, les musées d’art contemporain s’alignent désormais comme les wagons d’un train sans fin. Avec ses 33 000 m2, dont 16 000 m2 pour les espaces d’exposition, le Long Museum est le plus vaste de Chine. Il voisine avec le Yuz Museum, l’énorme Power Station of Art (seule structure publique à ce jour) dans laquelle se tient la Biennale de Shanghai, ou encore le Shanghai Center of Photography, un petit centre dédié à la photo qui fait figure de boutique-musée avec ses 500 m2. A cela, il faut ajouter les projets à venir. Celui de Qiao Zhibing, par exemple, dont les ambitions débordent largement les murs trop étroits de son karaoké. D’ici à 2018, son futur complexe Tank Shanghai réunira, sur 60 000 m2, des espaces d’exposition, des jardins, des restaurants, une librairie, un centre éducatif, etc. Une autre structure verra également le jour à l’horizon 2018-2020. On ignore qui est le commanditaire, mais on connaît l’architecte : David Chipperfield. Enfin, il se murmure que le Centre Pompidou pourrait finalement concrétiser son projet de création d’une antenne en Chine, en ouvrant lui aussi un espace dans le West Bund.

Avec sa biennale internationale, qui fête cette année son vingtième anniversaire, Shanghai a toujours été un haut lieu de l’art contemporain. Mais en quelques années, la ville a mis un spectaculaire coup d’accélérateur. « Tout est parti du district de Xuhui, dans lequel se trouvait un ancien aéroport avec des hangars et des usines aéronautiques, explique Ashok Adiceam, directeur de la fondation Yuz. Dès 2011, le gouverneur de ce district, qui avait suivi une formation d’architecte et possédait un goût pour l’art, a décidé de transformer la zone en art district. Pour cela, il a donné les parcelles et a participé aux frais de rénovation des anciens bâtiments industriels, en échange d’un loyer. » Depuis deux ans, les structures naissent à grande vitesse et se livrent une furieuse compétition, à coups d’expositions phares : en 2014, KAF a monté la première rétrospective Claude Monet en Chine continentale, le Yuz Museum s’est distingué au printemps dernier avec une extraordinaire exposition Giacometti, tandis que le Long Museum faisait sensation en présentant les œuvres d’Olafur Eliasson. La Power Station of Art se réserve pour 2017, avec une performance au long cours de Marina Abramovic.

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