Art
The Good Culture
Le centre culturel Serpentine Galleries, à Londres, mêle expositions d’art contemporain, projets architecturaux innovants et programmes éducatifs. Portrait d’un petit lieu devenu grand.
Avril 1934. Un groupe de femmes portant robe longue et chapeau passe la porte du petit salon de thé du parc royal de Kensington, non loin de ce qui sera un jour la résidence de la princesse Margaret, sœur de la reine Élisabeth II. Les anciens salons de 1855, refaits à neuf, attirent des promeneurs, des aristocrates et des enfants de bonne famille venus se sustenter le temps d’une pause. The Good Life vous en dit plus sur l’histoire du centre culturel Serpentine Galleries.
A lire aussi : Londres : le pavillon Serpentine 2020 confié aux architectes sud-africaines de Counterspace
Du salon de thé à l’art contemporain
Comment, quatre-vingt-dix ans plus tard, la minuscule buvette est-elle devenue un lieu majeur de l’art contemporain ? Au début des années 70, le changement dans les tendances sociales et l’évolution des usages des espaces publics poussent les gestionnaires à transformer le salon de thé en galerie d’art.
La Serpentine, nommée d’après le petit lac situé tout près de là, est d’abord placée sous tutelle gouvernementale via l’Arts Council, l’équivalent de notre ministère de la Culture. Le tournant opère avec le directorat de pionniers influents à l’esprit d’avant-garde, comme Julia Peyton-Jones, qui prend la tête des lieux en 1991.
« Julia a permis d’élever la Serpentine au rang d’institution. Elle a notamment mis en place un système de mécénat privé, pour lever des fonds, inspiré du modèle américain. Cela n’était pas une pratique courante [en Angleterre] à l’époque… C’est un modèle que nous suivons encore aujourd’hui et qui fonctionne très bien », explique Hans Ulrich Obrist, le directeur artistique de la Serpentine, qui a rejoint l’institution en 2006. L’actuelle directrice exécutive est Bettina Korek, qui dirigeait précédemment la foire Frieze Art Fair de Los Angeles.
L’imagination au pouvoir
Avec un accès gratuit et sans collection propre, la Serpentine propose des expositions novatrices, souvent pensées comme des Gesamtkunstwerk (œuvres d’art totales) permettant aux artistes de s’approprier entièrement les lieux.
À la frontière entre la performance et l’expérience thérapeutique, Marina Abramović y avait, par exemple, invité les visiteurs à déambuler à ses côtés pendant 512 heures. Parmi les installations les plus marquantes, en 2016-2017, Anywhen, de Philippe Parreno, proposait une expérience immersive inoubliable.
Dans l’entrée, Invisible Boy racontait l’histoire d’un émigré chinois perdu entre les rues de New York et ses visions chimériques. Un signal sonore provenant d’une salle attenante nous intimait ensuite de poursuivre le parcours vers la vidéo June8,1968 et d’embarquer à bord du train funéraire de Robert Kennedy, après l’assassinat de celui-ci par Sirhan Sirhan. Dehors, de la fausse neige évoquait des paysages fantasmés devenus réalité.
L’année suivante, Pierre Huyghe y explorait la perception et la cognition humaine à travers l’IA, brouillant les frontières entre le naturel et l’artificiel. Plus récemment, l’exposition Suspended States, de Yinka Shonibare, interrogeait l’impact écologique de la colonisation, l’héritage de l’impérialisme sur les conflits ainsi que le rôle des statues publiques.
En avance sur son temps, la Serpentine a souvent donné une place prépondérante aux artistes des interstices, celles et ceux qui révèlent l’interconnectivité de mondes d’habitude examinés séparément. Elle s’est aussi dotée de départements dédiés aux nouvelles technologies, à la durabilité et à l’environnement. Les questions d’équité sociale reviennent aussi de manière récurrente.
En 2013, la Serpentine investit un ancien hangar à poudre situé au nord du parc, qu’elle fait rénover par l’architecte Zaha Hadid. Baptisé Serpentine North, le nouvel espace pousse plus loin encore les frontières traditionnelles de l’art. En 2017, Cambio, du duo de designers Formafantasma, levait le voile sur l’extraction, la production et la distribution du bois et de ses produits dérivés, des chaises design à la fabrication des livres.
En 2022, Final Days, l’exposition du street artiste Kaws, mêlait des peintures et des sculptures à des installations virtuelles, accessibles sur une appli. En parallèle, le jeu en réseau Fortnite dévoilait une reproduction numérique de la Serpentine, qui a permis de toucher plus de 152 millions de personnes.
Hors les murs
Les œuvres débordent parfois jusque dans les jardins de Kensington, comme en témoignent la centaine de barils posés par Christo et Jeanne-Claude sur le lac Serpentine, au cœur de Hyde Park, en 2018. L’année dernière, Tomàs Saraceno pointait du doigt l’impact écologique de l’humanité sur la nature, avec Web(s) of Life, une sculpture-refuge pour la faune du parc.
Depuis cet été, une immense Citrouille, de Yayoi Kusama, est posée sur la pelouse près du petit lac. Élément clé de la programmation artistique des lieux, le Serpentine Pavilion, lancé en 2000, invite un architecte de renommée internationale à concevoir un pavillon temporaire sur la pelouse de la Serpentine South. Frank Gehry, Jean Nouvel, Bjarke Ingels Group (BIG) et Francis Kéré se sont prêtés au jeu.
Rare entorse à la règle, en 2022, l’artiste Theaster Gates s’emparait seul du projet architectural et proposait une chapelle noire empreinte de l’histoire des potiers anglais et de la chapelle Rothko, à Houston, au Texas. Cette année, la structure de Minsuk Cho scinde l’espace en petites alcôves, intimes et « communales » à la fois.
A lire aussi : La galerie Hauser & Wirth s’offre un nouvel espace d’exposition à Paris