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Depuis quelques années, la cuisine coréenne (hansik) a le vent en poupe, comme en témoignent l’engouement grandissant pour des techniques ancestrales de fermentation ou la prolifération de korean barbecues dans les capitales occidentales. Les plats comme le kimchi, le bulgogi ou le bibimbap sont devenus des ambassadeurs d’un pays en plein boom. Mais seule une virée à Séoul permet véritablement de prendre la mesure de tout ce que cette gastronomie a à offrir.
A Séoul, sans doute davantage que dans bien des capitales, la nourriture est omniprésente dans tous les moments de sociabilité. Il n’est d’ailleurs pas rare de se retrouver à grignoter tout au long de la nuit : on ne boit jamais un verre sans manger en même temps. Le KFC (Korean fried chicken) est de rigueur avec la bière, tandis que le makgeolli ou le soju (alcools de riz) se consomment avec des plats traditionnels coréens.
Qu’on soit installé dans une gargote qui ne cuisine qu’un seul produit, assis en tailleur dans un salon privé, attablé dans un restaurant étoilé, en équilibre précaire sur un tabouret en plastique dans la rue ou chez une grand-mère, toutes les tables coréennes se ressemblent et se déclinent sur le même modèle.
Un bol de riz (bap) et un bol de soupe (claire, guk ; potage, tang ; ragoût, jjigae), des baguettes et une cuillère par personne et, ensuite, des plats principaux de viande ou de poisson déposés au centre de la table, entourés de condiments, d’assaisonnements et d’une multitude de banchan, des plats d’accompagnement secondaires. Trois, cinq, sept, neuf, leur nombre varie en fonction des occasions mais sera toujours impair et suit le principe philosophique d’eumyangohaeng, qui se fonde sur les cinq éléments naturels créés par le yin et le yang – soit le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau.
En attendant, le rouge des kimchi tranche avec la blancheur du riz, pendant que les namul proposent des camaïeux de vert et de brun. Tiges d’ail, feuilles de shiso ou d’aster, pousses de fougères, d’amarantes, de wakamé. Autant de plantes sauvages, de racines et de rhizomes aux évocations aussi poétiques que leurs goûts sont mystérieux.
La variété des plats s’accompagne d’une importante palette de couleurs, d’une profusion de saveurs et de textures souvent inédites pour un palais néophyte. Tout se contrebalance dans une recherche d’équilibre aussi esthétique que gustative. La cuisine coréenne traditionnelle est réalisée à partir de produits saisonniers, comme les céréales, les haricots, les légumes ou encore les herbes et les racines sauvages. Du fait des hivers rudes, les techniques de fermentation ont très tôt été développées et perfectionnées afin de pouvoir conserver les denrées alimentaires.
Lexique culinaire
• Banchan : plat d’accompagnement servi dans de petits contenants. Il en existe de nombreuses sortes et on en sert plusieurs lors des repas.
• Bibimbap : littéralement « riz mélangé », avec divers namul et de la viande, etc.
• Bulgogi : viande de bœuf marinée dans de la sauce de soja, du sucre, de l’huile de sésame, puis grillée.
• Doenjang : pâte de soja fermentée.
• Dubu : tofu coréen
• Ganjang : sauce de soja.
• Gochujang : condiment fermenté piquant.
• Kimchi : accompagnement traditionnel coréen à base de légumes lactofermentés (généralement du chou chinois, mais aussi des radis ou du concombre), trempés dans de la saumure et un mélange de poudre de piment rouge, d’ail, etc.
• Mandu : ravioli coréen.
• Namul : accompagnement de divers végétaux assaisonnés.
• Ssamgabsal : viande de porc grillée qu’on mange dans des feuilles de salade, avec diverses plantes ou herbes.
A Séoul, la gastronomie joue un rôle politique
La réussite de la préparation repose sur la qualité des assaisonnements, appelés yangnyeom, et qui se traduit littéralement par « pensez que ce sera un remède ». En effet, l’un des principes fondamentaux de la gastronomie coréenne s’appuie sur la tradition philosophique orientale (yaksikdongwon), selon laquelle la nourriture et la médecine seraient de même origine.
En ce sens, le kimchi constitue un produit emblématique de la cuisine coréenne, mais il cristallise également la manière dont l’imaginaire coréen contemporain s’est construit. Ce plat d’accompagnement censé posséder des vertus diététiques devient une appellation lors de son inscription en 2001 dans le Codex alimentarius (organisme subsidiaire de l’Organisation des Nations unies et référence internationale en matière de normes alimentaires).
Le kimchi, présumé incarner toute la tradition gastronomique coréenne, est un mets pourtant relativement récent puisque le piment n’a été introduit en Corée du Sud qu’au XVIIe siècle. Cependant, son pouvoir symbolique n’est en rien atténué. En 2013, le gouvernement réussit à le faire inscrire au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
L’engouement qui existe aujourd’hui pour cette cuisine est en réalité le résultat d’un travail de promotion acharné des autorités gouvernementales lancé dès les années 90. Alors que la Corée du Sud s’insère dans le système mondialisé, la construction d’une identité nationale forte devient un enjeu majeur.
Ainsi, la cuisine coréenne joue un rôle stratégique essentiel dans l’élaboration d’un discours fort sur le patrimoine culturel du pays et se veut un vecteur de soft power international. Le concept même de hansik devient le maître mot d’une mondialisation revendiquée.
L’arrivée du Guide Michelin en 2017 à Séoul démontre d’ailleurs la réussite de la promotion de cette gastronomie, d’une part, et atteste, d’autre part, le dynamisme de la scène culinaire.
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