C’est une mise au monde, ou une mise à mort. Mise au monde d’un enfant, et, au-delà, celle d’un nouveau corps qui demande davantage d’attention parce qu’il porte en lui la vie. Mise à mort, en revanche, d’une existence passée. Ainsi se veut Grito Pelao, la dernière pièce de Rocío Molina, prodige de la danse espagnole devant laquelle Mikhaïl Barychnikov s’est agenouillé à l’issue d’Oro Viejo au New York City Center.
A Avignon, du 6 au 10 juillet, elle dansera avec la chanteuse Sílvia Pérez Cruz. Ces deux immenses artistes de la scène hispanique se mettent en situation de faiblesse, sous le regard d’une troisième personne, la mère de Rocío, Lola Cruz, qui a mis sa vie entre parenthèses pour s’occuper de la carrière de sa fille.
Avec un corps changeant, la danseuse qui avait toujours « détesté l’idée d’être mère », interprétera avec une certaine part d’improvisation « ce désir d’un enfant lorsqu’on vit seule et qu’on est homosexuelle, avec la peur de mener cette aventure sans un amour pour accompagner ».
Grito Pelao raconte l’histoire de trois femmes qui se retrouvent sur scène pour pousser un cri et affronter, ensemble, ce Dar a luz, (donner le jour, en espagnol), l’expression utilisée pour désigner l’accouchement, la mise en lumière.
« Cette pièce est arrivée à un moment où je ne trouvais plus aucun sens à ma vie, confie la danseuse, où je me moquais du succès et où, pour couronner le tout, je perdais toute forme de créativité. » A travers ce trio de femmes, de filles qui dansent pour les mères, et inversement, Grito Pelao évoque « cette douleur qui cherche une consolation dans la descendance, ce vertige que la maternité apporte ».
Cette composition répond donc à une quête pour assurer sa continuité, pour conjurer sa peur de mourir, ou tout simplement « pour se trouver » ainsi que le dit la poète américaine Anne Sexton, citée par la danseuse. Depuis qu’elle tape du pied avec une rage de vivre et d’aimer égale, Rocío Molina, qui préfère créer dans le calme de sa maison‑atelier de Huelva « là où le soleil tape fort », a porté le flamenco sur d’autres terres, métissant les genres, réconciliant virtuosités technique et théâtrale.
Elle a également enflammé la scène de Chaillot, à Paris, en novembre dernier, lors de l’éblouissant festival de flamenco, en présentant Afectos, un chef-d’oeuvre ! Sur la scène, la chanteuse et guitariste Rosario La Tremendita, le contrebassiste Pablo Martín Caminero, et Rocío utilisant son corps comme une caisse de résonance, se tapant dans les mains, sur les cuisses et sur le ventre, faisant claquer ses talons comme pour se réveiller, voire accoucher.
Cette suite de joutes et de danses de l’amour, intenses et burlesques, qui sont parfois interprétées sur des chansons hurlant les sentiments, « font résonner la fragilité de l’existence et rendent visible le ressenti ».
Avec Grito Pelao, la chorégraphe ouvre une nouvelle porte vers l’inconnu, pour être à l’écoute de ce corps qui lui procure autant de plaisir que de souffrance, et trouver enfin la sagesse, la paix avec elle-même.