The Good Business
Ils règlent les rouages et aiguillent les succès des grandes marques horlogères… pour rester les maîtres du temps.
Il pilote les cadrans de Bell & Ross
Carlos Rosillo
La montre de ses rêves n’existait pas, alors il l’a inventée. En 1994, le cofondateur et président de Bell & Ross, Carlos Rosillo, diplômé HEC au parcours jusqu’alors assez classique (conseil en stratégie, puis banque d’affaires), s’éprend d’une idée à perturber la mécanique bien rodée de la traditionnelle horlogerie suisse : créer une montre de l’exploit, en version plus « gros bras » que poignets graciles, très inspirée des instruments d’aéronautique et de plongée. Une montre tellement « pro » dans sa fonctionnalité, qu’elle se rendra bientôt indispensable aux pilotes de l’armée de l’air… tout en séduisant, dans le sillage d’un mythe ciselé pour elle, des dizaines de milliers de fans ! Bell & Ross, c’est d’abord l’alliance de deux talents : Carlos Rosillo et son ami de lycée Bruno Belamich, cofondateur et directeur artistique, le Bell de Bell & Ross. Ce qu’ont fait ces amis d’enfance avec cette marque est incroyable. Partis from scratch, la marque possède aujourd’hui une notoriété mondiale, une vraie personnalité et une assise capitalistique solide, puisque la famille Wertheimer (Chanel) est entrée au capital de cette petite pépite française.
De samouraï du luxe à directeur de Cartier
Cyrille Vigneron
Propulsé en janvier dernier à la direction du fleuron français du luxe dans les conditions délicates d’une succession organisée dans l’urgence, après la démission « pour raisons personnelles », fin 2015, de l’excellent Stanislas de Quercize, Cyrille Vigneron, 54 ans, accueille avec ferveur son royal come-back au sein du groupe Richemont, où il a accompli une longue carrière (1988‑2013), chez Cartier en particulier. Le parcours de ce diplômé de l’ESCP, musicien et compositeur doué pour la guitare classique et père de quatre enfants (chacun d’entre eux a reçu une partition de son père en cadeau de naissance), diverge de celui d’un crack du business à l’ascension réglée comme une horloge. Cyrille Vigneron entame son odyssée en 1985 par une plongée dans l’industrie (Compagnie générale des eaux, Pechiney), et passe prestement de l’aluminium à la joaillerie en rejoignant Cartier International. Parachuté à la tête de la filiale nippone de Cartier, dont il double le chiffre d’affaires en cinq ans, ce Français marié à une Japonaise poursuivra sa business road dans l’Archipel comme président de Richemont Japon, puis de LVMH Japon, son ultime escale avant celle de CEO de Cartier.
L’éclectique iconoclaste patron d’Audemars Piguet
François-Henry Bennahmias
On sent chez lui cette irrépressible envie de déstabiliser ses interlocuteurs, une manière de leur signifier que c’est lui le boss et qu’il lui revient de distribuer les cartes. Comme s’il avait encore à prouver l’exploit qu’il a d’ores et déjà signé : s’être installé au sommet d’Audemars Piguet, grande et belle signature horlogère de la vallée de Joux, lui, « l’ex‑cancre », selon ses mots, devenu golfeur professionnel avant de faire quelques pas dans la mode, puis chez Breitling et, enfin, en 1994, chez Audemars Piguet, qui l’enverra bientôt à New York, maillon alors plus que faible de la griffe. « On est parti du 17e sous-sol ! La marque faisait 6 M € de chiffres d’affaires à mon arrivée… et plus de 100 M dix ans plus tard ! » Aujourd’hui, au Brassus, dans ce décor de petite Laponie qu’il électrise de sa propre empreinte – un Terminator grandeur nature, cadeau de son ami Arnold Schwarzenegger, accueille ses hôtes –, François‑Henry Bennahmias se félicite de cette montre en or jaune qu’Audemars Piguet lance aujourd’hui à contre‑courant de toutes les tendances. Et de s’imposer à lui-même ce précepte de Yoda gravé sur la porte de son bureau : « Do or do not, there is no try. »
Le prince charmant de la mythique couronne verte
Jean-Frédéric Dufour
C’est sans doute la plus romantique des épithètes dont hérite aujourd’hui cette étoile montante de l’horlogerie helvétique dans le sillage de sa nomination « électrochoc » (car venue de l’extérieur) à la tête de Rolex en juin dernier. Une nomination qui, tradition oblige, confine désormais au mutisme cet ex-brillant CEO de Zenith qui expliquait alors les ressorts de sa stratégie gagnante à la tête de cette pépite de LVMH, « micro‑société » de 120 M € d’euros de chiffre d’affaires, en comparaison des 4,2 Mds € de chiffre d’affaires de Rolex, selon la banque suisse Vontobel. Rien ou presque ne filtre de l’actuelle gouvernance de cet élégant Genevois de tout juste 46 ans issu d’une grande lignée d’industriels et d’ingénieurs, et dont le CV s’arme de valeurs sûres : Chopard, Blancpain, Ulysse Nardin. Faire bouger les lignes pour booster Rolex, sans courir le risque d’une révolution culturelle, tel serait le fil rouge du nouveau roi de Genève, dont Jean-Claude Biver, directeur du pôle horloger de LVMH et duquel il fut le poulain, disait récemment : « Jean-Frédéric fait partie de ces entrepreneurs qui sont à la fois connectés au futur et à la tradition. »
Pionnier du marketing chez Piaget
Philippe Léopold-Metzger
Ce Franco-Américain au physique de crooner, né à New York, diplômé de l’Edhec de Lille et de la Kellogg School of Management de Chicago, dit avoir « tout appris » chez Cartier (aujourd’hui fleuron du groupe Richemont), de chef de produits « stylos et briquets », au début des années 80, à Piaget, qu’il a rallié en 1992, pour en devenir le CEO sept ans plus tard. « J’ai rejoint l’univers de l’horlogerie au moment où elle commençait à recruter des professionnels du marketing », analyse aujourd’hui Philippe Léopold‑Metzger. Tout semble alors opposer Cartier, le retailer du luxe à l’avant‑garde de l’international, à Piaget, petit bijou familial de l’horlogerie helvétique alors fraîchement tombé dans le gousset du joaillier de la rue de la Paix. Philippe Léopold‑Metzger va les unir dans une même force de frappe pour faire briller Piaget dans la sphère des montres bijoux, tout en dépoussiérant cette montre extraplate inscrite dans ses gènes. « La clientèle chinoise aime les montres élégantes, note Philippe Léopold‑Metzger. Mais la pister réclame une vraie gymnastique intellectuelle ! » Et de traquer sa volatilité, de la parisienne rue de la Paix à Séoul et bientôt Sydney.
L’ovni de la haute horlogerie high-tech
Richard Mille
C’est avec un zeste de provocation que cet amoureux des complications horlogères défie, depuis seize ans, le temple conservateur de la haute horlogerie suisse par la création confidentielle de ses propres montres (3 200 unités seulement en 2015), dont le prix s’envole à une altitude quasi inégalée par les griffes les plus prestigieuses du monde : de 80 000 à 2 M € ! « Une hérésie ! », clame son géniteur, qui note le haut niveau de connaissances de ses initiés, d’autant plus mordus de leur Mille qu’elle dissimule son expertise sous une esthétique déroutante, comme pour mieux leur réserver l’exclusivité de ses richesses hyperinnovantes. Richard Mille surfait sur une jolie carrière, aux commandes de la division horlogère de Mauboussin en 1998, quand a pris forme cette pulsion créative qui palpitait dans ses méninges. Et tant pis si sa folle – mais domptée – énergie inventive se traduit en retards de fabrication ! Ils indiffèrent la caste avertie de ces geeks, champions ou artistes, rodés à faire du cash avec leur talent, fiers d’afficher à leur poignet cette montre « autre », indéfinissable. Comme Richard Mille.