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Réchauffement climatique : les stations de ski survivront-elles ?

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Hivers plus chauds et secs, glaciers qui fondent… Les stations de ski subissent de plein fouet les effets du réchauffement climatique. Tandis que certaines se voient contraintes de jeter l’éponge et de fermer, d’autres recherchent un modèle de développement plus écologique et surtout moins dépendant des sports d’hiver.

Noël 2019 a été trop doux à Montclar, dans les Alpes du Sud. Les skieurs étant en manque de neige, un hélicoptère est allé en chercher aux sommets. Il a fallu 80 rotations pour cumuler 200m3 de neige. L’image en a révolté plus d’un, la ministre de la Transition écologique d’alors, Elisabeth Borne, a très vite réuni les professionnels du secteur pour demander « un changement de modèle ». Bien que la pratique de l’enneigement par hélicoptère ne soit pas courante, elle illustre tous les enjeux écologiques et économiques auxquels l’industrie du ski doit faire face. Avec une augmentation des températures plus rapide en altitude qu’en plaine, la montagne est en première ligne pour faire face aux effets du réchauffement climatique.

Alors que la hausse des températures dans le monde a été de 1,4 °C depuis le XIXe siècle, les Alpes ont connu un réchauffement climatique de 2 °C. La limite pluie-neige qui permet de pratiquer le ski est passée de 1 200 à 1 500mètres depuis les années 60, mettant en péril l’économie des domaines situés en dessous de cette altitude. Les hypothèses, y compris les moins pessimistes, annoncent la fin de la pratique du ski telle que les générations précédentes l’ont connue.

En France, dans le plus grand domaine skiable d’Europe, où le ski représente 120 000 emplois et 10 millions de touristes, les stations essaient, parfois avec difficulté, de revoir un modèle mis en place il y a plus de cinquante ans pour perdurer malgré tout.

La survie du ski au réchauffement climatique par la neige de culture

« A l’horizon 2050, et ce quel que soit le scénario de concentration en gaz à e et de serre, les projections indiquent une réduction de la durée d’enneigement de plusieurs semaines », indique Météo-France. Les hivers sans neige n’ont rien de nouveau. A la fin des années 80, déjà, les stations de ski en plein boom ont vu leur fréquentation baisser après trois saisons particulièrement sèches.

Les premiers enneigeurs font leur apparition pour pallier les aléas de la météo. Utilisés comme variable d’ajustement dans les années 90, les canons à neige sont devenus, à cause des canicules à répétition et de la raréfaction continue de la neige en moyenne altitude, aussi indispensables que les remontées mécaniques. En France, 35 % des domaines skiables sont enneigés artificiellement ; en Autriche, où les massifs sont plus bas, on atteint 66 %, et 90 % en Italie.

Dans les stations de haute montagne, les canons à neige font partie de la gestion routinière avec la fabrication d’une sous-couche avant l’arrivée des premiers flocons pour sécuriser l’ouverture de la station. En basse ou moyenne montagne, la neige de culture devient une condition sine qua non de survie, car, pour être viable, un domaine nécessite d’ouvrir au moins 100 jours.

Consciente de l’enjeu économique que représente le sujet, la région Rhône-Alpes a débloqué, en 2016, 30millions d’euros d’aides financières pour l’enneigement artificiel des stations de basse altitude. Toutefois, la neige artificielle n’est d’aucun secours s’il fait trop chaud. « La production de neige nécessite des températures suffisamment basses, désormais moins fréquentes en début et en fin de saison », note un rapport de la Cour des comptes de 2018.

Selon l’institution, la neige de culture est « une solution partielle et onéreuse », et dans les stations de basse altitude, elle permet « au mieux et à un coût très élevé, la préservation d’un enneigement minimal ». Malgré tout, des domaines comme La Féclaz, en Savoie, continuent de miser sur l’enneigement artificiel avec la création d’une retenue collinaire de 25 000 m3, alors que le domaine est situé à 1 450mètres d’altitude. Les associations s’opposent au projet, mais le maire persiste pour sauver les 600 emplois liés à la pratique du ski, illustrant le difficile équilibre entre écologie et économie.

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Skier plus haut

Pour se garantir des saisons plus longues, certaines stations préfèrent de plus en plus créer des liaisons avec d’autres domaines et des pistes d’altitude. Dans l’Isère, la commune de La Grave espère construire un troisième tronçon de téléphérique pour passer de 3 200 à 3 600 mètres, quand l’Alpe-d ’Huez veut une nouvelle liaison avec les Deux-Alpes d’ici à 2023.

Il y a un an, un nouveau télésiège a repoussé le sommet des pistes du domaine de Valmeinier, en Savoie, de 2 500 mètres à 2 750 mètres. « De quoi répondre au réchauffement climatique et relancer l’attractivité de la station de ski familiale pour ses promoteurs », écrivait le site Actu Montagne pour annoncer la nouvelle. De plus, il est prévu de relier cette station à celles de Valfréjus et de Valloire dans les six prochaines années.

Réalisée en bordure d’un parc naturel, cette nouvelle liaison implique « des dommages très significatifs, voire irréversibles, à des milieux écologiques d’une valeur exceptionnelle », note, dans son compte rendu, la Mission régionale de l’autorité environnementale. « Si on veut maintenir des emplois dans notre vallée dans les vingt ans qui viennent, on a l’obligation de monter un peu plus haut dans les endroits où la neige sera encore présente », leur rétorquait le maire de Modane, Jean-Claude Raffin, sur France Bleu.

Ce projet d’extension comprend également l’installation très contestée d’un Club Med de plus de 1 000 lits dans la ville de Valloire. Dans un scénario similaire, la commune de La Clusaz a refusé, en septembre dernier, l’installation de l’hôtelier français et l’extension du domaine. En cause : non seulement une infrastructure qui nécessite de modifier des terrains vierges de montagne, mais aussi une grande pression sur la demande en eau avec des complexes gourmands en ressources naturelles.

Réchauffement climatique, la fin du tout-ski

Ces agrandissements et nouveaux travaux dans un contexte d’incertitude climatique paraissent comme les derniers sursauts d’une profession qui tente de s’accrocher à un vieux modèle. « Il y a 180 stations de ski en Rhône-Alpes, et la 180e n’a qu’un seul modèle en tête, celui de Courchevel ; on imite ce qui se fait chez les plus grands », lance Alain Boulogne, président de la Commission internationale pour la protection des Alpes.

Si la diversification est le modèle généralement préconisé, il est difficile pour les stations de sports d’hiver de se passer de neige alors que 95 % du chiffre d’affaires est réalisé en période hivernale. Les investissements sont plus facilement rentabilisés par la vente des forfaits en hiver que par celle des randonnées en été.

Pour accompagner les territoires de montagne du massif alpin français dans leur transition, l’Union européenne (UE) a mis en place le programme Espace valléen dans le cadre des fonds européens de développement régional. Les territoires concernés bénéficient d’une aide de 500 000 euros de l’UE et autant de la part de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour proposer de nouvelles activités et installations touristiques estivales.

Dans le massif pyrénéen, où l’épaisseur de neige pourrait diminuer de moitié d’ici à 2050, selon l’Observatoire pyrénéen du changement climatique, une reconversion est également en marche. Depuis 2018, trois stations de ski pyrénéennes en difficulté financière se sont regroupées et prévoient d’investir 25 millions d’euros sur cinq ans pour maintenir un tourisme annuel avec, au programme, du VTT, du biathlon et des randonnées équestres et pédestres.

La station municipale du Puigmal, qui avait fermé en 2013, a pu rouvrir l’année dernière grâce à un partenariat avec l’équipementier Rossignol, en proposant des circuits de randonnées, de trails et des pistes de VTT. Dans le Vercors, les premiers projets de mobilité douce et de chemins de montagne sur les anciennes voies ferrées ont été inaugurés en 2014.

« Le Vercors ne mise pas tout sur la neige, on veut devenir un territoire quatre saisons », affirme de son côté Michael Kraemer, le vice-président de la communauté de communes du massif du Vercors responsable du tourisme. Même à Verbier, en Suisse, où le sommet culmine à 3 330 mètres, « une réflexion est en cours pour ouvrir dix mois sur douze », assure Laurent Vaucher, le président des remontées mécaniques Téléverbier.

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Réduire son empreinte carbone

Même si au-dessus de 2 000 mètres la pratique du ski paraît encore assurée pour les trente années à venir, les domaines skiables décident d’agir ensemble pour réduire leur impact environnemental et rester dans les scénarios les moins pessimistes à l’horizon 2100. La vallée de Chamonix, où le dégel du pergélisol est visible à l’œil nu, avec des éboulements réguliers, a lancé un plan climat haute montagne avec un premier volet de mesures s’étendant sur la période 2019-2021.

Chamonix est aussi l’un des six domaines français sur les 350 existants à avoir obtenu le label Flocon vert. Délivrée par l’association Mountain Riders, cette certification atteste d’une véritable démarche de développement durable avec, entre autres, une réduction des émissions de gaz à effet de serre, une diversification vers une activité quatre saisons, une meilleure gestion de la neige de culture et des ressources naturelles.

La station favorise aussi la mobilité douce avec des trains et des navettes gratuits, car le transport des voyageurs est le premier responsable des émissions de gaz à effet de serre (57 %) dans un séjour au ski. De son côté, Domaines skiables de France (DSF), qui regroupe les 238 opérateurs de remontées mécaniques français, a présenté, début octobre, ses 20 initiatives concrètes en faveur de l’environnement.

« Il faut nous mobiliser et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique si nous voulons que le ski demeure un atout pour la France et ses territoires », annonçait DSF dans un communiqué. La chambre professionnelle s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2037, avec une attention renforcée sur les dameuses responsables de 94 % des émissions de gaz à effet de serre d’un domaine skiable.

Bilans carbone, dameuses à hydrogène, électricité d’origine renouvelable, mais aussi partage des nouvelles retenues d’eau avec les agriculteurs ou nouvelles motorisations plus économes en énergie, les engagements vont également dans le sens d’une demande des jeunes générations plus soucieuses de leur impact sur le climat. « Selon les enquêtes de satisfaction réalisées l’hiver dernier sur une quarantaine de domaines, plus d’un tiers des skieurs se dit intéressé par le respect de l’environnement dans les stations », souligne son président Alexandre Maulin dans les colonnes du Figaro.

Dans un contexte où le ski n’attire plus, comme le montre la baisse du nombre de skieurs de 14 % dans les Alpes entre 2008 et 2018, d’après une étude du Financial Times, l’écologie semble donc être la seule option durable pour attirer les dernières générations vers les cimes avant que fondent les dernières neiges.


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