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The Good Business
Après Cire Trudon et Officine Universelle Buly, le directeur artistique et serial entrepreneur Ramdane Touhami tutoie les sommets, dans tous les sens du terme.
Rencontrer Ramdane Touhami relève de l’impossible. L’homme ne tient pas en place. « Ma vie est un chaos assumé, mais je ne sais pas vivre autrement », nous dit-il. Un jour, il est à Tokyo, l’autre, à Bombay, le jour suivant, à Bangkok, puis au mont Kenya. Les montagnes, comme l’échelle sociale, Ramdane aime les grimper. Il est obsédé par les sommets.
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La montagne au cœur
Pour ce fils d’ouvrier agricole, l’école n’est pas son truc. Au mieux, il y écoule ses tee-shirts ornés du mot « Teuchiland », qui s’arrachent comme des petits pains dans la cour de récréation. Arrivé à Paris, où il dort un temps dans la rue, il fonde un concept-store qui n’a rien à envier à celui de Colette. Joyeux luron plein d’humour, il a alors une tchatche débordante et, surtout, un enthousiasme contagieux, doublé d’un aplomb qui frôle l’arrogance.
Avec mille idées à la minute, il flaire l’air du temps à venir. Un Japonais le repère et lui demande de redessiner ses boutiques. Sa carrière enfin lancée ressemble à une montagne russe, mais l’homme se relève toujours. Obstiné, c’est un bourreau de travail. En 2006, il rallume la flamme de la maison Cire Trudon, travaille sur de nouveaux parfums et lance les fameuses cloches à bougie, maintes fois copiées depuis.
Avec sa femme, Victoire de Taillac, il imagine ensuite une marque de parfums et de cosmétiques en réveillant l’histoire d’un distillateur, parfumeur et cosméticien tombé dans la poussière des siècles. Officine Universelle Buly ouvre en 2014, à Paris, dans le décor hyperréaliste d’un apothicaire d’autrefois. Tout est fait dans les règles de l’art, à l’ancienne. « Je voulais montrer qu’un “reubeu” peut créer le truc le plus old school possible et faire revivre l’art de la calligraphie. »
L’entreprise est vendue en 2021 à LVMH. « Nous avions quatre boutiques à Paris et soixante-six à l’étranger. » Le téléphone de Ramdane sonne. En fond d’écran, pas de photo de ses trois enfants, mais le visage d’Élisée Reclus (1830-1905). « C’est un communard et le plus grand géographe français de tous les temps. Il a écrit Histoire d’une montagne alors qu’il était en exil en Suisse. »
C’est justement en Suisse, à Mürren, que Ramdane Touhami a acheté son premier hôtel, le Drei Berge Hotel, qui entame sa seconde saison hivernale. Ambiance Twin Peaks sous champi, explosion de couleurs et de motifs, depuis la moquette jusqu’au haut des murs…
Ramdane Touhami : taillé pour l’aventure
L’entrepreneur signe ce décor cinétique avec Art Recherche Industrie, l’agence de direction artistique tous azimuts qu’il a fondée. Enfin, à tout juste 50 ans, il déplace les montagnes à Paris, dans sa nouvelle adresse à tiroirs située dans le Marais. Words, Sounds, Colors & Shapes y propose des vêtements Drei Berge. « C’est la première marque de montagne sans plastique. On travaille le Ventile, seul tissu que les aventuriers utilisaient avant la généralisation des matières synthétiques. »
On trouve aussi A Young Hiker, regroupant 42 marques japonaises et américaines de montagne, et un café permettant de parler cordée et sommet. Une volée de marches et voilà une galerie d’art contemporain et la Société helvétique d’imprimerie typographie (une imprimerie rachetée par Ramdane Touhami), qui invite à revenir au temps du papier et à feuilleter les éditions de livres et de magazines faits maison.
« Le “cool” doit aujourd’hui parler de l’écologie et de la justice humaniste sur la planète. C’est un combat impossible à mener frontalement. Il faut l’amener par le goût et l’esthétique, par un “waouh, c’est beau !” » D’où The Radical Media Archive, qui présente une partie des 22 000 revues révolutionnaires collectionnées par Ramdane. « J’ai l’air capitaliste, mais je suis très extrême gauche », sourit-il. L’homme n’a jamais mâché ses mots, en bon « anarcho‑mountaineer ».
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