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Vous en souvenez-vous ? Jusqu’au 1er août 1991, le métro de la ville lumière disposait d'une première classe composée de banquettes en cuir rembourré et de wagons souvent à moitié vides. Une singularité toute parisienne, terrain d’une lutte politique et culturelle qui perdura tout au long du 20e siècle.
Vous l’avez surement entendu : du 20 juillet au 8 septembre 2024, à l’occasion des Jeux Olympiques, le ticket de métro pour un aller simple à Paris coûtera quatre euros. Ainsi en a décidé Ile-de-France Mobilités, l’autorité de régulation des transports dans la région sous la houlette de Valérie Pécresse. Une perspective controversée pour les futurs voyageurs qui feront face à des quais grouillant de monde, surement plus qu’à l’habitude malgré l’annonce d’une démultiplications des wagons en circulation. Le chiffre est aussi une réminiscence du prix de première classe du métro de Paris, comprenant des fauteuils rembourrés, des tables en bois Teck et un service de conciergerie qui circulait encore il y a seulement 32 ans.
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La première classe dans le métro, ça donnait quoi ?
A l’aube du 1er août 1991, chaque rame de métro à Paris disposait de wagons première classe facilement reconnaissables, notamment de par leur couleur (parfois jaune, parfois rouge) contrastant avec le reste du train, placés au milieu de la rame, les rendant beaucoup plus sûrs en cas d’incidents.
Aux débuts du métro à Paris, en 1900, un ticket de première classe, de couleur turquoise ou rouge, coutait 0,25 centimes de francs (le billet classique coûtait alors 0,15 centimes). À l’intérieur des wagons, la différence était clairement notable : une poignée de personnes avaient le privilège de s’installer sur des banquettes en cuir rembourrées alors que les foules se pressaient sur les quelque sièges en lattes de bois des wagons « normaux ». « Le métro était pensé comme un moyen de transport démocratique déjà dans les projets de la deuxième moitié du 19e siècle », explique Jean-Marc Hofman, co-commissaire de l’exposition Métro ! Le Grand Paris en mouvement, en cours à la Cité de l’architecture et du patrimoine jusqu’au 2 juin 2024.
Mai 68, le début de la fin
Malgré une première abolition en 1946, édictée par la nécessité d’accueillir une masse énorme de passagers qui ont redécouvert l’envie de circuler à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la première classe du métro de Paris est rétablie deux ans plus tard. A cette époque, le système de distinction des classes était totalement « légitime et normal » aux yeux des Parisiennes et des Parisiens.
C’est en 1968, dans le sillage des mouvements révolutionnaires qui bouleversent l’Europe, que l’existence de la première classe est fortement remise en question, méprisée par une jeune Gauche qui y voit un symbole du privilège bourgeois à abattre définitivement au nom de l’égalitarisme. « Au cours du 20e siècle, la ville de Paris a connu une croissance énorme en termes de population résidente, ce qui imposait une majeure fluidité dans les transports », fait noter aussi Jean-Marc Hoffman.
En 1982, la RATP et le gouvernement Mitterrand font un premier pas, en améliorant les wagons de deuxième classe et ouvrant la première classe à tous les usagers du métro en dehors du créneau 9-17 heures. Deux ans plus tard, grâce à l’intuition d’un groupe d’artistes qui recouvre les portes de la première classe d’une fresque de 15 mètres de long signée « Joyeux Noël », les graffitis se multiplient sur ces wagons, tel un acte de dénonciation d’un concept considéré comme archaïque et dépassé. Dans les reportages de l’époque, les usagers reconnaissaient de ne pas respecter la distinction première/seconde classe dans le métro de Paris.
Un adieu sans regret
L’adieu à la première classe annoncé par la RATP avec l’approbation du ministre des transports de l’époque, Paul Quilès, ne secoue pas trop les esprits. Pour justifier la décision, le Ministère des Équipements mentionne « le faible intérêt de l’existence de la première classe au regard des charges qu’elle engendre pour la RATP, du fait des déprédations dont elle était spécifiquement l’objet et des importants moyens de contrôle nécessaires pour en limiter l’accès aux seuls voyageurs disposant du titre de transport correspondant« .
Les clips des chaînes des infos de l’époque montrent en effet que peu de gens regrettent la première classe du métro de Paris. Les seniors sont la catégorie plus touchée par cette mesure. Certains usagers, à la télévision, parlent de « nivellement de la société » alors que d’autres affichent leur désir de continuer à voyager en première classe pour éviter la foule. Déjà, à l’époque, la plupart des interrogés semble bien conscient de l’absurdité de la première classe. Le monologue plein d’humour de Marcel Trillat, ancien journaliste, face caméra, en témoigne :
Les gens de deuxième classe étaient plus à l’aise entre eux. La petite marchande, bouquet de fleurs à la main, préférait attendre qu’un homme charmant l’ouvre enfin les portes du paradis de la première classe. Pourquoi priver les pauvres de ce privilège qui faisait tout le charme de leur misérable existence ? »
Paris était la seule ville au monde à conserver cette particularité. À Londres, les wagons de première classe ont disparu dès 1940, au début du deuxième conflit mondial. Dans les autres grandes métropoles, ils n’ont jamais existé. Aujourd’hui, alors que l’idée même d’une première classe dans le métro à Paris semble impossible, le souvenir est immortalisé par des films historiques, tels que Le Dernier Métro de François Truffaut et des chansons, comme Le Poinçonneur des Lilas de Serge Gainsbourg.
Plus récemment, quelqu’un s’est même engagé à maintenir en vie le mythe sur le web, non sans ironie. Les créateurs du compte Facebook « Comité pour la Restauration de la Première Classe dans le Métro » annoncent « résister secrètement » à ce « drame ». Et, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine de Paris, dans le cadre de l’exposition dédiée à l’histoire du métro parisien et au projet du Grand Paris Express, on peut en ce moment même voir un fragment de wagon de première classe original datant des années 30, issu d’un prêt de la RATP. L’occasion pour redécouvrir un morceau d’histoire de la ville lumière.
Métro ! Le Grand Paris en mouvement, une exposition à visiter à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine jusqu’au 2 juin 2024. Billetterie.
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