Horlogerie
Elle est la toute première région française à se voir décerner ce label par l’IGCAT (Institut International de la Gastronomie, de la Culture, de l’Art et du Tourisme). La région dynamique, qui suscite l’intérêt croissant des gastronomes, compte bien tirer son épingle du jeu grâce à ses ambassadeurs et faire chauffer les fourneaux en 2023 ! Parti à la rencontre de 5 chefs de la région, The Good Life vous explique pourquoi (et comment) les Hauts-de-France sont devenus incontournables sur la scène gastronomique mondiale.
Les Hauts-de-France, le potager du pays
Après Minorque (Espagne) en 2022 et Trondheim (Norvège) en 2021, pourquoi décerner ce label aux Hauts-de-France ? Pour son agriculture, d’abord. Les Hauts-de-France prennent la tête de nombreux classements, avec plus des deux tiers de leur territoire valorisés par cette activité. Premier producteur mondial d’endives, européen de pommes de terre, français de choux de Bruxelles, cornichons, oignons, petits pois, haricots verts, salsifis, groseilles… Le potentiel agronomique de la région figure parmi les plus avantagés de la planète, offrant une fertilité, un drainage et une richesse des sols rare, qui lui permettent de diversifier ses productions. Les Hauts-de-France sont en fait le potager de la France, capables donc de subvenir aux besoins nationaux en termes de ressources maraîchères.
Et ce n’est pas tout : la région est la première fromagère de France avec plus de 200 variétés de fromages, dont une AOP, le maroilles. Logique, quand on sait qu’elle produit 10% du lait français. Sans oublier qu’elle est terre d’élevage aussi, comptant 23 races historiques, dont le mouton boulonnais, la Bleue du Nord, la Rouge flamande, le lapin Géant des Flandres et une vingtaine de races avicoles.
Une puissance économique à l’échelle nationale
L’ancienne région ouvrière (le dernier puits d’extraction a fermé en 1990, ndlr), à priori petite région agricole, est en fait un géant de rentabilité grâce à ses exploitations très performantes, qui se classent en tête du pays avec 50 147€ de valeur ajoutée nette par actif selon l’Agreste, contre la région PACA en deuxième position avec 46 250€ suivi par l’Île-de-France avec 44 177€.
L’industrie agroalimentaire poursuit son développement avec l’implantation historique de grosses firmes nationales, de conserverie par exemple, avec une ouverture à de nouvelles activités prometteuses, tournées vers la transformation, comme le sucre de betterave. Et si les Hauts-de-France sont connus pour une agriculture intensive, les producteurs s’investissent pour produire « mieux », par l’implantation de coopératives agricoles, qui favorisent l’entraide entre agriculteurs.
La région est par ailleurs en train de devenir viticole, les premières cuvées ayant été mises en bouteille il y a peu, comme le « Charbonnay », dont les vignes ont été planté sur des terrils. C’est enfin une façade maritime importante : des trois ports majeurs de France (avec Dunkerque et Calais), Boulogne-sur-mer est le premier port de pêche français avec 34 000 tonnes de poissons pêchés par an.
Les Hauts-de-France attractifs pour les jeunes actifs
Terrain agricole et minier, les Hauts-de-France ont généré une vague d’immigration importante, qui a elle-même amené une diversité culinaire. Grâce à une position stratégique, frontalière avec la Belgique, proche du Royaume-Uni et de l’Europe du Nord, les échanges avec l’extérieur se font plus évidents et fluides que d’autres régions françaises et font vivre les Hauts-de-France à travers l’export et le tourisme.
La région, en plein essor, est aussi attractive pour les jeunes qui s’y (ré)installent de plus en plus, générant de l’activité et un intérêt économique et politique pour ses élus. On constate justement ce mouvement chez les jeunes chefs qui viennent ouvrir leurs propres affaires dans la région, motivés notamment par cette population rajeunissante.
Revaloriser la chaîne de la fourche à la fourchette
En réalité, que signifie le label pour la région choisie ? Il s’agit de révéler l’identité culinaire locale en valorisant et en encourageant les différents acteurs à entrer dans cette dynamique collective, aux bénéfices des habitants et des visiteurs des Hauts-de-France.
Pour les chefs, il représente une véritable opportunité : mettre en lumière l’économie des métiers de bouche et l’agriculture de la région et créer de la valeur sur toute la chaîne « de la fourche à la fourchette », en offrant une réelle visibilité à leurs producteurs.
Toque doublement étoilée de La Grenouillère, illustre établissement (siglé Relais & Châteaux) de la Madelaine-sous-Montreuil dont il a repris le flambeau des mains de son père, Alexandre Gauthier se sent investi d’une mission en tant qu’ambassadeur du projet. « Il est important de redonner ses lettres de noblesse à la région, davantage moquée que révérée », nous affirme-t-il, « Nos produits ne sont certes pas toujours nobles, mais il ne faut pas s’en excuser, c’est la diversité qui fait notre richesse et qui laisse place aux surprises gustatives. D’autres terroirs ont fait leur réputation sur un seul produit comme le canard et la truffe font le Périgord. Si on leur retire ces produits, il ne reste pas grand-chose ».
En plus de valoriser cette diversité, ce label est donc un coup de projecteur qui va permettre de restaurer la réputation des Hauts-de-France, « tout en procédant à un retour aux savoir-faire ancestraux », qui s’inscrit dans l’air du temps aujourd’hui.
Manger, c’est voter trois fois par jour
À quelques kilomètres de là, dans le village de Boeschepe, à mi-chemin entre Dunkerque et Lille, Florent Ladeyn est un révolutionnaire de la consommation. Dans son Auberge du Vert Mont, héritée de sa famille, vous ne mangerez ni chocolat, ni citron, ni café mais des alternatives locales comme la chicorée, non pas par effet de mode, mais par conviction personnelle. Sa devise : « manger c’est voter trois fois par jour », car il est convaincu que tous les consommateurs, qu’importe leur position sur la chaîne « fourche-fourchette », ont leur rôle à jouer.
Pour autant, le chef refuse l’étiquette ‘locavore’. « Je cuisine simplement des produits qui viennent d’un périmètre de 15km pour les végétaux, 25 pour la viande, et 40 pour la mer ». À l’heure où la cuisine de fermentation n’a jamais été aussi en vogue, Florent, précurseur de la pratique il y a plus d’une décennie, estime qu’elle se justifie davantage dans les Hauts-de-France par son manque de ressources en hiver.
Pour lui, la force de la région réside dans le métissage de cultures héritées de l’immigration et des colons espagnols qui ont laissé derrière eux la carbonade flamande, une réinterprétation locale de la daube de taureau. « Nous sommes les bâtards du continent européen et c’est bien, il ne faut pas être chauvin ! » sourit le chef, qui voit en ce label une opportunité d’élargir sa clientèle, tout en veillant à « ce qu’elle (lui) ressemble et qu’elle n’entre pas dans l’élitisme ». Son menu-dégustation a d’ailleurs toujours affiché un prix fixe de 50€, sans que l’étoile en 2014 n’y ait changé quoi que ce soit.
Si Florent Ladeyn devait citer un seul de ses producteurs, ce serait Dries Delamote, fidèle maraîcher belge en « agriculture sauvage », une pratique de la permaculture qui relève presque de la sorcellerie botanique, tant il laisse s’exprimer les végétaux par eux-mêmes.
Le chef s’arrange avec lui pour écouler ses surplus, comme récemment le chouchou, un légume tropical planté de façon hasardeuse dont « il ne savait que foutre ». Ledit chouchou a terminé son existence dans un plat magnifique, sous forme de sabayon associé aux légumes racines… « Cela nous pousse aussi à la création », affirme le chef. Bientôt, il poursuivra la démarche – entreprise avec l’auberge et ses restaurants lillois Bloempot et Bierbuik -, avec l’ouverture de 4 nouvelles adresses dans la région… affaire à suivre.
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Apprivoiser le terroir des Hauts-de-France
Ce qui a le plus touché Edouard Chouteau en arrivant à la tête des cuisines de La Laiterie à Lambersart en 2020, c’est la générosité et l’authenticité des gens qui habitent la région. Chef trentenaire originaire de Bretagne, il a dû s’adapter à un terroir qui ne lui était pas familier en prenant le temps de le connaître et de l’apprivoiser. La saveur la plus représentative du Nord, pour lui, c’est l’amertume, quand on pense à la bière, la chicorée, l’endive… « j’ai été moi-même biberonné à l’amertume aux côtés de Pierre Gagnaire. Elle est importante, même indispensable, pour l’équilibre d’un plat », nous souffle le chef.
Édouard Chouteau a fait de l’identité « terre/mer » du restaurant sa propre patte, une association « qui représente aussi l’âme de la région ». La ‘volaille / haddock’ la caractérise, mettant à l’honneur le travail de Jean-Claude David, la référence boulonnaise en termes de produits fumés depuis plus de cent ans, qui ont fait de lui l’un des acteurs majeurs de la région. Accompagnée d’un jus à la chicorée, la volaille bio du boulonnais de Laurent Dumond lui tient tête, frôlant de près la qualité d’une volaille de Bresse grâce à une alimentation riche qu’elle a dénichée en gambadant toute sa vie en plein air.
La nouvelle génération de chefs propulse la gastronomie régionale
Elle est justement représentée par Diego Delbecq (Rozo à Marcq-en-Baroeul) et Félix Robert (Arborescence à Croix), originaires de la région. « Ce label est une opportunité pour sensibiliser les gens et poursuivre la transformation de l’agriculture intensive en une production plus artisanale, exclusive et éthique, qui a déjà commencé il y a cinq ans », assure Diego Delbecq, 34 ans, qui n’a pas peur de recourir à des produits plus lointains si la qualité du local n’est pas à la hauteur de ses espérances.
Il se réjouit particulièrement de la solidarité qui s’est installée entre les chefs, là où Paris est davantage dans la compétition. « Plus il y a de bons chefs, plus la région fait parler d’elle et draine une clientèle pour tous. On s’envoie les clients, et comme on est tous différents dans nos styles, les gens s’éclatent d’adresse en adresse », affirme-t-il.
Diego Delbecq parle d’ailleurs avec beaucoup de bienveillance de son confrère et ami Félix Robert, 32 ans, ancien disciple d’Alexandre Gauthier et tout juste installé avec sa compagne Nidta d’origine thaïlandaise, dont on sent l’influence dans l’assiette.
Pour Félix Robert, la plus grande force de la région, « ce sont ses petits producteurs encore dans l’ombre qui ont un énorme potentiel ». Pour celui qui a grandi en face de l’élevage de pigeons des Flandres d’Alex Dequidt – le cousin de Florent Ladeyn à Steenvoorde -, il était évident de le mettre à l’honneur dans son assiette, surplombé d’un plumage de topinambours de Philippe Laleau.
Mais « il resterait peut-être un effort à faire sur la pêche boulonnaise, suggère le chef, qui a décimé les fonds marins car elle manque encore de petits bateaux, comme en Bretagne ». Il aura pourtant réussi à exploiter la langoustine locale en la servant crue avec une courge (toujours de Philippe Laleau) taillée en julienne et nappée de Sriracha maison, la fameuse sauce thaïlandaise.
À table, on retrouve le pain d’Alex Croquet qu’on ne présente plus dans le Nord, créé exclusivement pour le restaurant, avec une mie magistralement dense qui reflète toute la démarche de ce boulanger passionné de levain et d’eau vitalisée.
Les fourneaux des Hauts-de-France vont chauffer en 2023 !
Alexandre Gauthier a prévu d’organiser deux repas à Boulogne-sur-Mer en l’honneur des pêcheurs de la côte d’Opale, qui rassembleront 80 personnes retraitées du monde du poisson et de la mer. Il a mis en place le projet de « la Cuisinerie », avec l’objectif de collecter, préserver et valoriser les recettes familiales et les anciens savoir-faire des Hauts-de-France qui ont disparu. « On n’a pas obtenu ce label en défendant la gastronomie, mais la cuisine populaire et généreuse. » Un travail de recherche scientifique est mené en partenariat avec les archives départementales du Pas-de-Calais et le laboratoire de recherche InRent, avec l’objectif d’ouvrir à terme la collecte à d’autres régions de France et de créer un Conservatoire national des recettes populaires.
Des dîners à 4 mains seront organisés pour faire rayonner la cuisine locale ailleurs en France : Florent Ladeyn va par exemple mêler sa cuisine à celle de Florent Pietravalle, installé à La Mirande à Avignon, ou à celle du chef britannique Daniel Morgan du restaurant Robert à Paris.
Edouard Chouteau, lui, développe actuellement un menu composé des plats phares des chefs qui ont fait vivre la Laiterie, à l’occasion des 120 ans du lieu cette année, qui sera servi toute l’année.
2023, année ambitieuse pour les acteurs des métiers de bouche et les élus locaux
Les élus de la région ont lancé des appels à projet pour mobiliser un maximum de monde, avec l’espoir de créer une dynamique citoyenne et professionnelle autour de cette opération et que chacun y prenne part, y compris les particuliers, pour éviter de générer trop de dépenses régionales.
Daniel Fasquelle, maire du Touquet et pilote du projet en sa qualité de président du comité régional du tourisme, a bien conscience que les yeux vont être rivés sur les Hauts-de-France cette année. « L’objectif est de faire de 2023 une année exceptionnelle pour la région ». 150 événements, variant entre salons professionnels et grand public, fêtes, marchés, rencontres et grands repas autour de produits locaux ont déjà été recensés, avec pour objectif de faire labelliser bon nombre d’entre eux et de valoriser tous les acteurs de la gastronomie régionale. Les Hauts-de-France accueilleront aussi la deuxième édition d’Omnivore nord du 16 au 19 juin, ainsi que la remise des prix The Fork le 20 novembre prochain.
Par ce label, Alexandre Gauthier et Daniel Fasquelle misent sur une couverture médiatique importante, comme elle l’a été pour les onze régions qui ont précédé les Hauts-de-France, dans l’espoir d’attirer les touristes. « La gastronomie est aujourd’hui un moteur de choix prioritaire d’une destination touristique, il faut que les visiteurs puissent associer la région à des produits, des plats, des chefs pour les faire venir ».
Certes, les Hauts-de-France ont battu les records de fréquentation pour la saison printemps-été 2022, mais l’objectif est de faire encore grimper ces chiffres. Xavier Bertrand, président de la Région, souligne le potentiel « énorme » de celle-ci, caractérisé par cette distinction qui vient renforcer encore l’attractivité de la région, récompensant le travail de fond effectué depuis des années par l’ensemble des filières de bouche. « En termes de retombées économiques, tout ce travail accompli se traduit par plus de 80 000 emplois sur le territoire des Hauts-de-France (plus de 4% de l’emploi salarié) et l’injection de près de 6,5 milliards d’euros de consommation dans l’économie régionale. »
Avec ce label, les acteurs des métiers de bouche veulent redorer le blason et la réputation de leur région en 2023 ! Pour les élus, il s’agit d’en faire une destination gastronomique incontournable et plus compétitive à l’échelle internationale. Les habitants des Hauts-de-France ont eux aussi leur rôle à jouer, en améliorant leur mode de consommation alimentaire et ainsi rémunérer les petits producteurs. Vous avez l’idée : fini le cliché de la carbonade flamande et du chicon-jambon, et place à la cuisine moderne qui met à l’honneur l’artisanat maraîcher !
Retrouvez tous les événements prévus cette année sur gastronomy.hautsdefrance.fr.
V.S
Nos bonnes adresses dans les Hauts-de-France
La Grenouillère d’Alexandre Gauthier,
19 Rue de la Grenouillère,
62170 La Madelaine-sous-Montreuil
L’Auberge du Vert Mont de Florent Ladeyn,
1318 Rue du Mont Noir,
59299 Boeschepe
La Laiterie d’Edouard Chouteau,
138 Av. de l’Hippodrome,
59130 Lambersart
Rozo, de Diego Delbecq,
34 Rue Raymond Derain,
59700 Marcq-en-Barœul
Arborescence de Félix Robert,
76 Rue de la Gare,
59170 Croix