The Good Business
En deux décennies, Paul‑Emmanuel Reiffers a fait de l’agence Mazarine une pièce maîtresse de la communication spécifiquement adaptée à l’univers du luxe. Portrait d’un communicant hors pair et visionnaire, qui a très tôt misé sur l’outil numérique comme potentiel de développement.
Pour rencontrer ce patron de l’une des agences de communication les plus influentes de Paris, rendez-vous a été pris au studio des Acacias. L’une des dernières cordes ajoutées à l’arc de l’agence Mazarine, dont les activités se déploient autant dans l’édition que dans la publicité, dans la création numérique que dans l’événementiel, dont l’organisation de défilés de mode, dans la recherche de mécénats culturels que dans l’agitation sur les médias sociaux. En somme, une machine de guerre bien réglée au service des grands de la mode (Chanel, Givenchy, Cartier, Louis Vuitton, Ferragamo…) ainsi que de ceux du luxe (Roederer, Hennessy, Baume & Mercier, Van Cleef & Arpels…), et qui sait aussi rester dans l’ombre pour mieux gérer son développement. Paul-Emmanuel Reiffers est là à l’heure dite. Veste impeccablement taillée, chemise blanche ouverte et jeans lui assurent cette silhouette dynamique qui sied parfaitement à ce jeune communicant de tout juste 50 ans. A notre arrivée, il est en train de faire le tour de l’exposition dédiée à Guy Bourdin.
Non pas pour la redécouvrir, mais afin de s’assurer que tout est en ordre pour accueillir – gratuitement – le public selon les règles muséales qu’il s’est fixées. L’homme a cette réputation de précision, d’exigence et de rigueur dans le travail, et d’ailleurs dans tout ce qu’il entreprend. Des qualificatifs qui expliquent sans doute la réussite de Mazarine. Mais pas seulement. Lui se plaît à dire qu’il a au moins une fois par an eu de la chance. Vu de l’extérieur, on estimerait plutôt qu’il a cette « vista » de l’entrepreneur qui sait investir des champs d’activité émergents au bon moment et les développer avec cette intelligence qui sait faire mettre l’égo de côté pour mieux grandir.
Un esprit d’entreprise acquis très tôt
Pourtant, un nom comme Mazarine ne passe pas inaperçu, ni ne laisse indifférent celui qui s’intéresse d’un peu plus près à cette agence composée de 350 employés, tous regroupés dans un QG sis dans le 17e arrondissement de Paris, à deux pas du studio des Acacias. « Lorsque j’ai créé l’agence, en 1993, j’habitais rue Mazarine, à Paris. Et mon associé des débuts était en fait un voisin vivant dans le même immeuble. D’où ce nom que je n’ai jamais lâché. » A cette époque, le jeune homme vient de terminer son magistère de gestion à la Sorbonne. Déjà, durant ses études, il a fait preuve d’un esprit d’entreprise en organisant des colloques et des rencontres où se sont croisés hommes d’affaires et hommes politiques, gens du luxe et de la culture. « C’était une formidable expérience que je gérais comme un job à part entière. Alors, à la sortie de la fac, je n’avais pas très envie d’envoyer des CV pour tenter de décrocher un poste. » Autant transformer ce qu’il a acquis en agence de conseil en communication. Surtout qu’en cette période postguerre du Golfe, l’ambiance est un peu morose et qu’il vaut mieux prendre son destin en main pour se fabriquer ses propres rêves. Mais les mentalités ne sont pas encore à lever des fonds pour lancer un projet. « On était plutôt dans la logique de remplir le carnet de commandes pour faire rentrer l’argent. Mais cela ne me posait pas de problème, car j’ai été élevé avec ces valeurs par un père entrepreneur qui n’a pas hésité à emmener toute la famille en Afrique pour développer ses affaires. »
Mazarine en dates
- 1993 : création à Paris.
- Effectifs en 2016 : 350 employés.
- 2000 : agence numérique.
- 2001 : création du pôle Art & Culture.
- 2004 : 1re campagne internationale de publicité.
- 2007 : développement dans le design et le packaging.
- 2010 : acquisition de La Mode en images.
- 2011 : 1re filiale internationale en Chine.
- 2012 : intégration de l’agence de publicité Mademoiselle Noï (mode et parfums).
- 2014 : acquisition de You to You, agence de Social Media, lancement de Mazarine Asia Pacific (Pékin, Shanghai, Macao et Hong Kong) et ouverture du studio des Acacias.
Le voilà donc à s’investir dans l’événementiel, mais aussi dans l’édition, et à pratiquer, en même temps qu’il les apprend, tous les métiers du secteur. Du commercial aux techniques d’impression, en passant par l’écriture et la mise en pages. Car il sait que les choses ne se font pas seules. Et même encore aujourd’hui, il ne croit pas vraiment au copinage. « Le jeu des réseaux n’est jamais gratuit. Si vous n’avez pas les bonnes compétences et un savoir-faire en particulier, vos affaires n’iront pas très loin. Je crois davantage à la constitution d’une équipe composée de collaborateurs sachant évoluer ensemble plutôt qu’à un seul homme sur lequel tout reposerait. »
Des déclarations qui peuvent un peu surprendre vis-à-vis de l’univers du luxe que l’on juge facilement, de l’extérieur, assez superficiel et sensible au name dropping. « Les gens que vous avez en face de vous sont de grands professionnels et vous ne pouvez les subjuguer très longtemps si vous ne leur apportez pas quelque chose de concret. Et cela, seule une synergie peut le permettre. » D’où cette idée assez osée de développer, dès 2000, une activité dans le numérique afin de proposer aux marques des vitrines de qualité. Et ce, sans passer encore une fois par la logique de start-up qui a caractérisé ces années-là – combien ont survécu ? –, mais en investissant ses propres deniers dans l’aventure. « Au sein de Mazarine, nous avons démarré à trois, dont un pro de l’informatique qui maîtrisait parfaitement l’outil. De mon côté, contrairement à ceux qui tentaient d’improviser un sujet une fois qu’ils avaient les fonds, j’avais la connaissance d’un secteur et le langage pour expliquer aux clients ce que nous allions mettre en œuvre pour leur marque. » Et le pari de faire mouche, au point que le numériques représente aujourd’hui 50 % du chiffre d’affaires de Mazarine.
Un portefeuille de métiers diversifié
D’autres intuitions du genre, Paul-Emmanuel Reiffers va en avoir, histoire d’ajouter de nouvelles expertises à ses activités. Comme ce sera le cas lorsqu’il rachète La Mode en Images, l’un des leaders de l’organisation de défilés de mode, ou bien l’agence You to You, spécialisée dans la communication sur les réseaux sociaux. Mais en faisant en sorte que jamais il n’y ait de confusion sur le rôle de chaque agence, laissant à chacune le soin de gérer ses propres clients. « En 2011, j’ai fait aussi le pari de développer Mazarine en Chine. Cette zone, alors en pleine croissance exponentielle, était demandeuse de savoir-faire comme les nôtres en même temps que des marques françaises avaient besoin d’être accompagnées sur ce marché. »
Aujourd’hui, fort d’un partenariat solide qui assure la pérennité de l’activité en Asie, il regarderait plutôt du côté des États-Unis pour poursuivre son développement de filiales : la reprise économique et la demande y sont hyperfavorables. En même temps, il ne cache pas non plus que d’autres activités, comme le retailing ou les relations de presse, pourraient être complémentaires dans son portefeuille de métiers. Pour l’heure, ce fameux studio des Acacias témoigne de cette volonté d’occuper de nouveaux territoires créatifs profitables à l’agence. Mais plus par instinct, et par le fruit de rencontres, que par pure stratégie. En voisin de l’adresse, Paul-Emmanuel Reiffers passait fréquemment devant la cour abritant cet ancien studio photo où ont travaillé de très grands photographes, dont, d’ailleurs, Guy Bourdin. Séduit par le lieu, et étant à la recherche de locaux pour étendre ses bureaux, il parvient à contacter le propriétaire qui, après plusieurs mois d’échanges, accepte de lui céder l’endroit. Une fois les travaux de rénovation effectués, comme pour marquer le coup, il souhaite, un peu dans le prolongement de l’intervention que l’artiste Claude Lévêque a réalisée l’année précédente au sein même de l’agence, organiser une exposition de l’artiste Matthew Day Jackson.
Mais, cette fois-ci, en mode centre d’art. « Cela a été un tel succès, qu’une fois l’exposition décrochée, plusieurs personnes m’ont dit que c’était impossible de transformer l’endroit en bureaux. Alors, je me suis dit que ça faisait sens de continuer à faire vivre l’endroit comme un lieu d’art et de l’inscrire dans les rouages de l’agence. » Inauguré en 2014 par cette exposition durant la Fiac, le studio des Acacias va désormais présenter deux accrochages par an, toujours en lien avec la photographie, car ce médium rejoint de près les activités de l’agence. « Nous travaillons avec de grands photographes et c’est vrai que l’image photographique est une bonne porte d’entrée dans l’art. Lorsque j’ai commencé à acheter des œuvres, j’ai, par exemple, été sensible aux photographies de Nobuyoshi Araki que Kamel Mennour présentait dans sa galerie, d’ailleurs située rue Mazarine. Aujourd’hui, je suis peut-être plus porté sur la peinture, car il y a dans le choc visuel que peut susciter un tableau un vrai sentiment d’unicité. Vous savez que vous n’aurez peut-être pas de seconde chance pour vous porter acquéreur de cette œuvre. »
La photo et l’art, une passion qui l’a d’ailleurs conduit à investir, à titre personnel, dans un projet éditorial qui en a surpris plus d’un : le magazine Numéro. Celui qui a été précurseur dans le numérique se retrouve aujourd’hui propriétaire d’un titre papier. « Pour moi, c’est logique, car il s’agit d’un support très proche de l’univers de Mazarine. » Aussi, sa première mission a été d’en renforcer la présence sur le web. N’a-t-il jamais pensé s’investir dans une marque fabriquant des produits ? « Je crois en fait qu’un projet comme Numéro est la bonne réponse. Il s’agit d’une marque reconnue qui existe par le magazine qu’elle édite depuis 1999. » Ce type est un visionnaire… compétent.