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Créée au XIXe siècle, c’est la première université technique d’Italie à former ingénieurs, architectes et designers. D’illustres personnalités, comme le Nobel de chimie Giulio Natta ou les architectes Gio Ponti et Renzo Piano, sont passées par ses bancs. Aujourd’hui, même si la prestigieuse institution domine toujours la scène académique nationale, elle se confronte à des difficultés structurelles et à un contexte international hautement compétitif. Le Politecnico di Milano est pourtant bien décidé à relever ces défis et à réaffirmer sa place comme symbole académique et international de Milan.
Politecnico di Milano, la première université technique créée en Italie
En sortant de la station de métro Piola, nul besoin de demander son chemin, il suffit de se laisser porter par le flot des étudiants pour trouver la route menant au Politecnico di Milano, surnommé « Polimi » par ceux qui le fréquentent. À la fin d’un long boulevard arboré, on débouche sur la place Léonard de Vinci, où se trouve le campus principal et historique de l’institution.
Un large parvis sur lequel se déploie une imposante façade à l’architecture classique et à la symétrie parfaite. Ce jour-là, le bâtiment à la pierre claire se détache sur le ciel bleu qui fait ressortir par contraste la sobre mention « Politecnico di Milano 1863 » surmontant l’édifice. Fondé au XIXe siècle par Francesco Brioschi, alors secrétaire du ministère de l’Éducation et également recteur de l’université de Pavie, le Politecnico représente une étape cruciale dans l’histoire économique et industrielle de la région, mais également du pays.
Il s’agit en effet de la première université technique créée en Italie afin d’accompagner le développement d’un État naissant où tout est encore à construire. « Le Politecnico a été créé pour soutenir la production industrielle qui se développait en Lombardie, explique Donatella Sciuto, vice-rectrice de l’université. Historiquement, la première filière était l’ingénierie, rapidement suivie par l’architecture. Le design est arrivé plus tard et faisait d’abord partie de la filière architecture avant de devenir une entité indépendante. Aujourd’hui, nous sommes une université technique spécialisée dans ces trois domaines d’enseignement. »
Lorsque le Politecnico s’implante, en 1927, sur la place Léonard de Vinci, l’objectif est de doter l’université d’un campus à la mesure de sa stature et de ses ambitions. Imaginé à l’origine par les ingénieurs et architectes de l’établissement, les professeurs, diplômés et étudiants, le lieu consiste en six bâtiments répartis de manière parfaitement symétrique sur une superficie totale de 50 000 m². Au fur et à mesure de son évolution, le campus ne cesse de s’agrandir, et de nouveaux bâtiments viennent s’agréger à la disposition initiale, débordant la place et gagnant de nouvelles rues alentour, jusqu’à recevoir le surnom de « città studi » (le quartier des études).
Nombreuses extensions
Aujourd’hui, le campus Leonardo regroupe les départements de la filière d’ingénierie, ainsi que ceux d’architecture, qui se trouvent via Ampère dans les bâtiments iconiques Trifoglio et Nave, conçus par d’anciens élèves architectes, dont Gio Ponti. Il y a deux ans, c’est à l’architecte star Renzo Piano qu’est confiée la mission de réaménager le campus qu’il a lui-même fréquenté dans les années 60.
Le Politecnico s’est également étendu dans le quartier de Bovisa dès 1989, en périphérie du centre-ville. Inauguré en 1994, le campus Durando est le siège de la faculté de design, et le campus La Masa, ouvert la même année, accueille les départements d’ingénierie industrielle, mécanique, aérospatiale et d’énergie, ainsi que des infrastructures de recherche. D’autres campus satellites en Italie sont également ouverts à Côme, Crémone, Lecco, Mantoue et Plaisance.
« Le Politecnico compte plus de 47 000 étudiants, dont plus de 35 000 en ingénierie, 7 000 en architecture et 4 000 en design, annonce Donatella Sciuto. Nous sommes la première université technique en Italie, et 95 % de nos étudiants trouvent un emploi dans l’année suivant l’obtention de leur diplôme. On retrouve les départements de chacune de nos trois grandes disciplines dans le top 20 mondial pour la qualité de l’enseignement ainsi que de la recherche. »
D’après le classement QS World University Rankings, certains départements comme l’ingénierie civile ou l’aérospatial occupent le neuvième rang mondial, tandis que les filières design et architecture se trouvent respectivement au sixième et septième rang mondial en 2020.
« J’ai été parmi les premiers étudiants à avoir assisté au cours de design industriel que l’université avait décidé d’ouvrir en 1993 comme l’une des branches de la faculté d’architecture, raconte Manuela Celi, professeur de design produit au Politecnico. L’école de design a, elle, été officiellement inaugurée en 2000. La première promotion devait compter 400 personnes ; les étudiants sont aujourd’hui plus de 4 000. »
La faculté de design propose quatre filières de spécialisation : design produit, design intérieur, communication et mode. L’institution est classée première dans le pays et troisième en Europe.
« Nous avons été la première école de design à être créée au sein d’une université en Italie, explique Luisa Collina, rectrice de la filière design et professeur. À l’époque, la plupart des écoles de design étaient privées. Elles accueillaient des promotions réduites et s’organisaient sur le modèle de l’atelier. Le fait d’appartenir à une grande université technique signifie l’accès à une vaste communauté, ainsi que la possibilité de construire des ponts avec les sciences, la technique et les humanités. Notre philosophie se fonde sur une approche à la fois scientifique et créative. Nos élèves ont accès à des studios et à des ateliers, mais également à des cours de matériaux, de structure, de chimie, de dessin technique ou encore de mathématiques qui permettent d’aller au-delà de la simple approche des beaux-arts. »
À la sortie de la gare routière de Bovisa, le contraste avec le campus historique du centre-ville est saisissant. Ancien quartier industriel symbole des heures glorieuses de l’Italie des années 60, Bovisa tombe peu à peu en déshérence avec le départ des industries. L’implantation du Politecnico dans les années 90 constitue une initiative ambitieuse pour revitaliser le quartier. En attendant qu’il fasse sa mue complète en grand pôle de recherche et d’innovation, il semble pris dans un curieux entre-deux, un pied dans le passé, l’autre pas encore dans le futur.
Sur le campus, les étudiants se prélassent au soleil pendant leur pause déjeuner, entourés de bâtiments aux façades délavées et à l’allure un peu dépassée. C’est pourtant derrière ces murs que se trouvent des laboratoires parmi les plus innovants en Europe. Une soufflerie pour la recherche sur la dynamique des fluides, un laboratoire de sécurité routière permettant des crash-tests grandeur nature ou encore les laboratoires de design.
Dans ces derniers, les élèves sont invités à allier la pratique à la théorie. Dans chaque laboratoire, des techniciens et des professionnels sont présents pour transmettre le langage et les gestes de leur métier : travail sur la scénographie et construction d’un module pour mieux appréhender la notion d’espace dans le laboratoire de design intérieur, apprentissage sur des machines à coudre et à tricoter manuelles dans le laboratoire de mode, ou encore studio photo et salle vidéo.
« Même si la recherche et la théorie occupent une place centrale, nous voulons que les étudiants développent aussi une intelligence manuelle, détaille Luisa Collina. Il doit y avoir une approche également physique au projet. C’est pour cela qu’ils acquièrent d’abord une base manuelle avant de passer au numérique. »
Le Politecnico di Milano face à une forte concurrence internationale
Si le Politecnico domine la scène de l’enseignement supérieur et de la recherche en Italie, l’institution se confronte à une compétition internationale féroce, alors même qu’elle est loin de se battre avec les mêmes armes. En tant qu’université publique, elle accuse le coup du désengagement progressif de l’État et de son manque d’investissements dans le domaine de l’enseignement et de la recherche.
Pour un pays industrialisé, l’Italie possède en effet l’un des budgets les plus bas consacrés à la recherche. En six ans, l’aide publique a diminué de 17 % dans le cadre de coupes budgétaires. Dans une enquête menée par l’université, il est mis en évidence qu’en Italie le taux d’investissement représente 1,3 % du PIB, contre 2,3 % pour les autres pays de l’OCDE.
Le pays ne possède que 18 % de diplômés de l’enseignement supérieur et de titulaires d’un PhD, contre 37 % en moyenne dans l’OCDE. Enfin, le budget moyen que peut consacrer le Politecnico par étudiant est de 10 000 euros, contre 50 000 euros dans d’autres universités techniques équivalentes.
« À l’échelle mondiale, nous sommes confrontés à diverses difficultés qui limitent notre compétitivité, confirme Donatella Sciuto. Les salaires des professeurs sont, par exemple, strictement encadrés par l’État, ce qui nous donne peu de marge de manœuvre. Notre internationalisation a débuté en 2013 et, aujourd’hui, tous nos cours de masters sont dispensés en anglais. Mais ce fut un processus difficile pour en arriver là. Près de 10 % du corps enseignant et environ un tiers des étudiants sont aujourd’hui internationaux. Nos infrastructures de recherche sont bonnes, mais elles ne peuvent pas égaler celles d’universités dont le financement est bien supérieur au nôtre. »
L’enquête révèle par ailleurs une proportion de 17 étudiants par professeur en moyenne au Politecnico, contre 8 étudiants par professeur dans les autres universités techniques équivalentes des pays de l’OCDE.
« C’est un véritable défi de réussir à mettre en place un enseignement sur mesure quand vous avez un très grand nombre d’étudiants, explique Luisa Collina. Nous n’avons qu’une centaine de professeurs en interne et 400 au total, ce qui signifie que le ratio étudiants/ enseignant est très élevé. Dans le domaine du design, vous avez parfois des classes comportant seulement cinq élèves à l’étranger, ajoute notre interlocutrice. Mais j’aime les nombres élevés, car cela représente une grande communauté, une grande diversité, et je pense que cela constitue aussi une opportunité pour les étudiants. Il y a une énergie intéressante qui se dégage d’un grand nombre. »
Nouer des alliances stratégiques
Dans le plan stratégique pour la période 2020- 2022 rédigé à la demande du ministère de l’Éducation et de la Recherche, le Politecnico a profité de l’exercice pour faire un état des lieux général et développer les points cruciaux de sa stratégie pour le futur.
Les bouleversements liés à la crise sanitaire du Covid-19 ont notamment convaincu l’institution de se positionner comme acteur à l’avant-poste de la société. L’ambition est ainsi de devenir une European Leading University en développant des partenariats et des alliances académiques avec d’autres universités en Europe et ailleurs afin de s’insérer dans un réseau international.
« À l’échelle mondiale, nous sommes conscients qu’il est très difficile de concurrencer les universités asiatiques qui se développent extrêmement vite et dont le financement est à un tout autre niveau, souligne Donatella Sciuto. En tant qu’université européenne, il vaut mieux s’unir avec d’autres établissements régionaux pour faire front ensemble plutôt que d’être en concurrence les uns avec les autres. »
Le Politecnico a ainsi rejoint l’IDEA League, alliance stratégique réunissant des universités techniques européennes de référence – l’ETH Zurich, TU Delft, RWTH Aachen et l’université Chalmers – visant à renforcer les liens entre la technologie, la science et la société. De même avec Alliance4Tech, créée par Centrale- Supélec et comprenant également l’université technique de Berlin et l’University College de Londres, qui entend développer un campus européen.
« Nous avons plus de 200 partenariats internationaux, et ces relations constituent l’un des points forts de la faculté, assure Manuela Celi. Milan possède également un fort pouvoir d’attraction pour les étudiants du fait de son rapport particulier au design. Il y a les entreprises, les professionnels et les événements liés au design qui ont lieu toute l’année. L’école se nourrit de cet environnement et profite d’un écosystème très complet. Ici, les étudiants respirent le design. »
Lancés dans les années 2000 à l’initiative de l’université, la Fondazione Politecnico pour les domaines scientifiques et Polidesign sont des structures qui visent notamment à multiplier les ponts avec les fondations, les organisations et les entreprises. En 2020, la Fondazione Politecnico a géré 215 projets représentant 93 millions d’euros.
« Dès que nous sommes sollicités, nous fournissons des conseils techniques à la ville, mais aussi aux entreprises, confirme Donatella Sciuto. Nous nous impliquons dans des domaines très variés, comme la numérisation, l’urbanisme ou encore la mobilité. Parmi nos récentes contributions, nous avons été un centre de test pour l’application de la 5G pour la ville de Milan. Nous avons aussi développé un centre de compétence pour l’industrie 4.0 afin d’accompagner les petites et moyennes entreprises dans leurs transitions numériques. De manière générale, nous souhaitons mettre notre savoir-faire et notre recherche au profit d’une société durable. »
Le Politecnico est résolument décidé à retrouver un rôle culturel, économique et social de premier plan comme cela a pu être le cas dans son histoire. Perpétuer la tradition qui a contribué à l’excellence de son enseignement et de ses recherches académiques tout en portant une attention particulière aux défis qui attendent la société en général.
« Nous continuons à investir les champs traditionnels du design italien, indique Luisa Collina. Nous travaillons toujours sur le mobilier, la lumière, les appareils ménagers, le graphique et la mode. Nous ne souhaitons pas abandonner ces thèmes. Nous essayons plutôt de les adapter à de nouveaux domaines comme le design interactif, la visualisation des données, le multimédia, l’Internet des choses, etc. Avec, toujours, l’idée de se concentrer sur l’individu plutôt que sur la technologie seule. Faire cela, c’est aussi prendre en compte l’histoire et l’art. Après tout, la tradition italienne a toujours été de mener des expériences dans tous les champs artistiques avant de les transférer dans l’industrie et la production. Nous voulons préserver ce type d’ADN. »
Ainsi, le Politecnico se projette en fer de lance de la société italienne et compte bien, ce faisant, rayonner dans le monde entier.