Architecture
The Good City
Lauréat du Grand Prix national de l’architecture 2022, Philippe Prost réveille des monuments, des ports et des cités, en révélant leur splendeur et en leur apportant une touche de modernité qui dialogue à merveille avec leur environnement. Ce chercheur prolonge les réflexions de Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707), son maître à penser. Nous avons eu l’occasion de le rencontrer pour évoquer son travail sur la mémoire, qu'il considère essentiel à la création.
Du Port Vauban d’Antibes à La Monnaie de Paris, en passant par le Casino d’Évian, la Cité des Électriciens – centre d’interprétation, de résidences d’artistes et de gîtes – et l’Anneau de la Mémoire d’Ablain-Saint-Nazaire, Philippe Prost et son atelier AAPP font résonner l’ancien avec le contemporain. Il aime à penser que cet intérêt lui vient de sa première vie d’organiste. Ses réalisations sont actuellement exposées à la Cité de l’Architecture & du Patrimoine à Paris, dans le cadre de « Philippe Prost, la mémoire vive ».
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Rencontre avec Philippe Prost
The Good Life : D’organiste à architecte, comment s’est réalisée votre transition ?
Philippe Prost : Mon parcours est atypique à plusieurs égards. Je voulais être organiste, mais pour faire plaisir à mes parents, qui pensaient que ce serait difficile d’en vivre, je me suis inscrit en parallèle dans une école d’architecture, à l’École de Chaillot de 1987 à 1989. En troisième année, j’ai attrapé le « virus » de l’architecture et abandonné la musique. Cependant, je perçois un lien souterrain entre les deux disciplines, car l’orgue est un instrument qui entre en résonance avec l’espace. Au début, je me suis spécialisé dans la recherche en histoire de l’architecture, en étudiant notamment les ingénieurs militaires des XVIIe au XIXe siècles, qui travaillaient de manière pluridisciplinaire, jusqu’à dessiner le mobilier. Les archives qu’ils nous ont laissées, notamment la collection des plans en relief à l’Hôtel des Invalides, sont d’une grande richesse.
Vous auriez pu être chercheur toute votre vie, mais une rencontre en a changé le cours, celle d’André et Anna Larquetoux.
P. P. : Sans cette rencontre, je ne serais probablement jamais devenu architecte praticien, et vous ne m’intervieweriez sans doute pas aujourd’hui, car je m’épanouissais pleinement en tant que chercheur. André et Anna Larquetoux, propriétaires de la Citadelle Vauban à Belle-Île-en-Mer, m’ont d’abord invité à participer à un colloque sur les fortifications. Deux ans plus tard, ils m’ont confié la restauration de leur monument. À l’époque, je n’avais pas d’agence ! André Larquetoux, d’une autre génération, m’a fait remarquer qu’il fallait bien démarrer un jour. Il m’a proposé de m’accompagner sur le chantier, en échange de mon savoir de chercheur, et ainsi, nous avons formé une équipe complémentaire. Cette aventure a duré quatorze ans, et c’est ainsi que j’ai véritablement commencé à pratiquer l’architecture.
Cela dit, vos recherches n’ont pas été vaines. Votre vision de l’architecture contemporaine s’inspire de celle de Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707).
P. P. : Je me suis beaucoup intéressé à Vauban, une figure très moderne pour son époque. Il prônait une économie de moyens et de ressources, tout en ayant une manière unique d’utiliser l’existant et de le compléter. Ses questions restent pertinentes aujourd’hui : comment exploiter au mieux ce que la nature et nos prédécesseurs nous ont légué ? Il voulait des travaux rapides et peu coûteux, une pensée en phase avec les préoccupations actuelles des circuits courts.
Pour le projet de logement de la ZAC de la Réunion (1997-2004), j’ai mis en pratique les principes de Vauban. Bien que nous ayons des permis de démolir pour tous les bâtiments sur le site, j’ai cherché ceux que nous pouvions conserver pour les intégrer dans le nouveau projet.
Vos projets, du Port Vauban à la Cité des Électriciens, s’inscrivent dans l’histoire tout en la prolongeant.
P. P. : Pour moi, l’architecture contemporaine et ancienne forment un tout. L’Anneau de la Mémoire à Ablain-Saint-Nazaire, par exemple, réunit près de 600 000 noms de combattants tombés dans le Nord-Pas-de-Calais entre 1914 et 1918. Ce monument en béton fibré ultra-haute performance dialogue avec les structures existantes, le relief modifié par les bombardements et les champs cultivés. Nous, architectes, utilisons la topographie pour sublimer les sites de multiples façons.
De manière générale, la mémoire joue un rôle essentiel dans votre travail…
Philippe Prost : Il n’y a pas de création sans mémoire. Conscients ou non, nous puisons toujours dans le passé pour fusionner des éléments et en créer de nouveaux. La dimension mémorielle de l’Anneau de la Mémoire est donc primordiale, non pas dans une optique commémorative, mais comme source de création.
Vous n’êtes pas un architecte d’un matériau en particulier, à la manière de Vauban.
P. P. : Mon rapport au matériau est lié au contexte. Pour l’Anneau de la Mémoire, nous avons utilisé du béton pour sa stabilité et sa longévité. À La Monnaie de Paris, le métal s’est imposé naturellement en raison des savoir-faire de l’institution. Chaque matériau a sa spécificité et répond à des besoins précis.
Et comme Vauban, vous souhaitez gérer les projets de A à Z, des fondations au mobilier, comme vous l’avez fait pour la Cité des Électriciens et le Casino d’Évian.
P. P. : C’est une chance de pouvoir encore le faire aujourd’hui, car ce genre d’approche est rare. Nous avons pris en charge l’architecture d’intérieur dans ces projets, visant une unité de conception. Pour moi, l’architecture est un tout.
Quel regard portez-vous sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris ?
P. P. : Mon avis est double. Pour un monument aussi emblématique, il me semblait important de lui redonner son intégrité extérieure, d’autant que nous avons une documentation précise, notamment sur la flèche de Viollet-le-Duc. Cependant, j’aurais reconstruit la charpente différemment, comme cela a été fait à Reims, en introduisant de nouveaux matériaux et techniques pour marquer cette destruction par l’incendie.