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Crédit : Tracey Emin. All rights reserved / Adagp, Paris, [2023/2023]
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« L’Argent dans l’Art » à la Monnaie de Paris : 2000 ans d’or et de moula

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"L'Argent dans l'Art", la nouvelle expo de la Monnaie de Paris, revient sur la relation compliquée des artistes à l'argent. Tantôt dénoncé, tantôt chéri, l'argent s'est fait dans l'histoire de l'art une place aussi importante que celle qu'il s'est fait dans la société. La preuve avec Duchamp, Warhol, Edgar Degas et beaucoup d'autres...

Qui ne se souvient pas de Serge Gainsbourg brûlant en direct à la télévision un billet de 500 francs ? Depuis la nuit des temps, l’art et l’argent entretiennent une relation sibylline. Jean-Michel Bouhours, commissaire d’exposition et historien de l’art, revient sur vingt siècles d’amour et de haine dans l’exposition L’argent dans l’art, à découvrir à la Monnaie de Paris jusqu’au 24 septembre 2023. Sujet actuellement tabou en France, l’argent, depuis sa création, a fait pourtant beaucoup parler de lui, dans l’art notamment. Dans une démarche politique, historique, religieuse ou personnelle, de nombreux artistes l’ont abordé de manière subtile ou parfois frontale. Salvador Dalí, représenté sur l’affiche de l’exposition, et Andy Warhol aimaient l’argent et ne s’en cachaient pas. Il était au centre de leurs préoccupations voire de leur art. L’argent ne les a pas attendu, il entre sur la scène artistique bien avant eux, dès l’aube de l’histoire de l’art. 

Une exposition qui retrace l’histoire de l’argent dans l’art

L’exposition L’argent dans l’art fait particulièrement sens à la Monnaie de Paris, seule institution en France à frapper la monnaie depuis l’an 864. Le parcours s’étend des salons historiques aux galeries contemporaines de l’institution, et propose un voyage dans le temps sur les traces de l’argent. A travers plus de 200 œuvres, tableaux, photographies, installations ou vidéos, l’exposition explore toutes les facettes des relations réelles ou fantasmées qu’entretiennent les artistes avec l’argent et questionne le visiteur sur sa perception du fric, du flouze, du pognon… Le parcours est chapitré en 6 parties : Mythes et origines de la monnaie, Morale et métiers d’argent, Révolution et capitalisme financier, Que vend l’artiste ?, Capital : je t’aime moi non plus, et enfin Art et argent, entre flux et datas. Tout un programme  ! 


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De l’or à la monnaie, l’argent, dès son invention en 630 avant notre ère en Lydie sous le règne du légendaire roi Crésus, s’entoure de mythes et légendes. Celui de Danaé et la pluie d’or, un des plus célèbres, est issu de la mythologie grecque. Un oracle avertit Acrisios, roi d’Argos, que le futur fils de sa fille Danaé le tuera. Pour conjurer le sort, il la fait enfermer dans une tour d’airain. Malheureusement pour lui, Zeus, épris de la jeune femme, se transforme en pluie d’or pour pénétrer les lieux et donne à Danaé un garçon : Persée. Après avoir tué la terrible Méduse, le héros accomplit son destin. Depuis l’Antiquité, le mythe de Danaé inspire un grand nombre d’artistes comme les peintres Titien, Rembrandt et Le Tintoret, et aujourd’hui la photographe et perforeuse Tracey Emin qui en propose une relecture féministe. 

Gage d’équité dans les échanges commerciaux, l’argent, très vite, titille la morale. La religion pointe du doigt les inégalités. L’avarice est, doit ont le rappeler, un des sept péchés capitaux. Les peintres s’emparent du sujet et font échos au Commerce des indulgences initié par l’Église catholique romaine au XIVe siècle. Au fil du temps, l’argent se forge une mauvaise réputation, notamment au moment où elle se lie aux jeux et à la luxure. Allégorie de la Foi et du Mépris des Richesses de Simon Vouet (1638-1640), ou encore Le jeune homme et la veille de Hendrik Goltzius (1614) illustrent particulièrement bien cet aspect. Au-delà de la prostitution, une section entière est consacrée aux métiers d’argent qui mènent inexorablement aux impôts, comme le montre Collecteur d’impôts, XVIe siècle de Marinus van Reymerswale, puis jusqu’au capitalisme, magnifié par Edgar Degas dans Portraits à la Bourse (1878-1879). 

Caricature et mise en scène

Jusque-là, les peintres se plaçaient en observateur, sans que leur argent (potentiel) imprègne directement leurs œuvres. Pierre-Auguste Renoir est un des tout premiers à en tirer le portait symboliquement, à travers celui du premier marchand des peintres impressionnistes Paul Durand-Ruel. A partir du XXe siècle, les artistes mettent en scène leur argent, sans détour. En 1913, Marcel Duchamp engage une réflexion instructive sur les mécanismes de l’argent et la valeur du travail artistique avec son premier ready-made, Roue de bicyclette. A partir des années 20, les surréalistes, avec en tête André Breton, réprouve ouvertement le capitalisme auquel succombe Salvador Dalí, se jouant jusqu’à l’excès du tabou. En 1954, dans Dalí, Why do you paint ? – Because I love art, le photographe américain Philippe Halsman représente la star coiffé de pièces de monnaie après avoir transformé sa mythique moustache en dollar à l’aide de deux pinceaux. Cette caricature qui ne manque pas d’autodérision est aussi une critique du marché de l’art qui semble ne plus connaître de limite, jusqu’à l’indécence. 

15-Andy Warhol-Dollar Sign-1981-Muriel Anssens_Mamac Nice © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. _ Licensed by ADAGP, Paris, 2023
15-Andy Warhol-Dollar Sign-1981-Muriel Anssens_Mamac Nice © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. _ Licensed by ADAGP, Paris, 2023

Andy Warhol VS Marcel Duchamp

Dans les années 1960/1970, les prix s’enflamment. Certains artistes s’en amusent, dans un geste poétique assumé. En 1972, Michel Journiac propose un Contrat pour un corps, plus exactement à des volontaires de donner leur corps non pas à la science mais à l’art. L’artiste ne trouve pas de volontaire mais va au bout de sa démarche : exposer un squelette (reconstitué) peint en or. Avec une ironie mordante, il prétend ainsi offrir l’éternité, à l’instar des pharaons momifiés placés dans les musées. En 1977, à l’occasion de la Fiac, Orlan présente Le Baiser de l’artiste, une performance politique et drôle. Assise sur un piédestal derrière une photographie d’elle nue, elle offre aux visiteurs un baiser en échange d’une pièce de 5 francs, ce qui en fait l’œuvre la moins coûteuse de la foire.

A travers une sélection d’œuvres particulièrement hétéroclites, des antiquités, des toiles de Gustave Courbet ou Andy Warhol, des sculpture notamment d’Arman ou des installations contemporaines de Hans Haacke ou d’Anne et Patrick Poirier, L’argent dans l’art montre que l’art et l’argent sont indissociables, même si ça ne plaisait pas du tout à Marcel Duchamp. Comme sujet ou comme intérêt personnel, l’argent est inexorablement lié à l’artiste. A travers ce sujet fascinant, l’exposition propose un voyage, long de XXe siècle, dans l’histoire de l’art, suffisamment rare pour ne pas s’y aventurer.

 

« L’argent dans l’art » à la Monnaie de Paris jusqu’au 24 Septembre 2023.

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