The Good Business
Le pétrole, l’or noir, énergie reine du XXème siècle, voit son éclat faiblir. Attaqué pour sa responsabilité dans le réchauffement climatique, il reste malgré tout la source dominante du mix énergétique mondial actuel. Alors que le récent boom du pétrole « non conventionnel » est venu gonfler les réserves mondiales, il pourrait à nouveau s’imposer en l’absence de décision politique forte en faveur de la transition énergétique.
Il n’y a que le pétrole qui pouvait amener l’Arabie saoudite et l’Iran à signer un accord commun.
Au sommet de l’Opep (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, OPEC en anglais) , qui s’est tenu en septembre 2016, à Alger, les quatorze membres du cartel (dont l’Arabie saoudite et l’Iran) ont, à la surprise générale, trouvé un accord pour réduire la production de pétrole. Responsables de près de 40% de la production du brut dans le monde et propriétaires de 71% des réserves, les membres se sont mis d’accord pour réduire, à partir du 1er janvier 2017, de 1,2 million de barils de pétrole (maximum) la production quotidienne de l’Opep. En 2015, le monde produisait près de 91,7 millions de barils par jour. Au-delà de la surprise diplomatique, l’accord d’Alger a surtout rendu visible l’état de fébrilité dans lequel les capitales des pays producteurs de pétrole étaient tombées depuis quelques mois devant la faiblesse des cours du brut. Entre juin 2014 et décembre 2016, les prix du baril sur le marché du Brent avaient brutalement chuté de 110 à 35 dollars, pour ne plus jamais dépasser les 50 dollars.
Paradoxalement, la chute a été orchestrée par le premier producteur mondial et vigie historique du marché, l’Arabie saoudite. Un changement dans la hiérarchie du marché est à l’origine de cette manœuvre. Dans le milieu des années 2000, une poignée de producteurs de pétrole américains développent une technologie de fracturation hydraulique, qu’ils associent avec une technique de forage horizontal. Leurs efforts de perfectionnement de cette méthode leur permettent de fracturer des roches-mères (schistes), qui emprisonnent d’importantes quantités de pétrole. Avec l’essor de cette technologie devenue abordable – le coût de production d’un baril tourne, selon eux, autour de 60 dollars, contre plus de 100 dollars pour un baril de brut produit en offshore –, les Etats-Unis connaissent un nouveau boom pétrolier. Entre 2007 et 2017, l’activité, qui déclinait depuis vingt ans, passe de 5 millions à près de 10 millions de barils par jour, au point de flirter avec les niveaux de production russes et saoudiens. Cette concurrence américaine ne tarde pas à inquiéter les autres acteurs du marché. Riyad décide ainsi, en 2014, d’utiliser ses capacités de production non utilisées, de l’ordre de 2 millions de barils par jour, pour inonder volontairement le marché. Pour asphyxier les producteurs de pétrole de schiste américains, l’Arabie saoudite compte sur ses coûts de production imbattables, de l’ordre de 10 dollars le baril. En prime, le royaume pronostique que les Américains deviendront rapidement peu rentables. « Riyad a certainement identifié que les coûts de production d’un baril de pétrole de schiste n’étaient pas de 50 ou 60 dollars, mais de deux à quatre fois supérieurs », explique Olivier Rech, responsable de la recherche énergie-climat chez Beyond Ratings. Certains analystes estiment effectivement, à l’époque, que le succès du pétrole de schiste outre-Atlantique repose moins sur des technologies innovantes que sur le recyclage des importantes liquidités que la banque centrale américaine (FED) déverse sur l’économie domestique depuis la crise de 2008. Le marché du pétrole, très financiarisé, serait l’un des premiers à en profiter. « Sur le marché du pétrole, il existe des contrats (forward, warrant…) qui permettent des effets de levier très intéressants, mais qui participent à créer des effets de bulles », ajoute Nicolas Mazzucchi, chercheur-associé à l’IRIS.
L’échec de Riyad
L’effondrement des cours du pétrole brut qui s’ensuit frappe durement le secteur pétrolier américain. La production se stabilise, les faillites se multiplient et le secteur perd près de 100 000 emplois à partir de 2014. La chute des prix a également des conséquences graves pour les autres producteurs de pétrole. C’est notamment le cas des pays fortement peuplés très dépendants des cours du pétrole, à l’image de l’Algérie. C’est également celui des pays engagés dans l’exploitation de gisements complexes : le Brésil, avec le « presal », des gisements offshore situés sous une couche de sel ; la Russie, présente en Arctique ; ou encore le Venezuela, qui possède les premières réserves de brut au monde, mais aussi l’un des pétroles les plus chers à exploiter. Et la stratégie de Riyad se heurte rapidement à ses propres fragilités. « La chute des prix a fragilisé plus rapidement que prévu les finances de l’Arabie saoudite, l’obligeant à demander aux pays de l’Opep et non-Opep de partager l’effort avec elle », explique Olivier Rech. Après six mois, le bilan de la stratégie de l’Opep est mitigé. Les prix sont légèrement remontés, franchissant le seuil des 50 dollars le baril en décembre 2016. Mais la hausse a été moins forte que prévu. La faute à un accord parfois trop flou sur les exigences de chacun. Surtout, ce frémissement pourrait n’être que de courte durée, car les producteurs américains de pétrole de schiste s’apprêtent à relancer la production devant la remontée des cours. « Une des caractéristiques de ces pétroles, c’est qu’il est possible d’arrêter et de redémarrer très rapidement la production », ajoute Nicolas Mazzucchi. Selon l’Opep, les investissements dans le pétrole de schiste devraient ainsi augmenter de 35% en 2017 aux Etats-Unis.
L’Arabie saoudite se prépare à vendre les bijoux de famille
L’Arabie saoudite a décidé de vendre sa poule aux œufs d’or au second semestre 2018. Enfin, une petite partie.
Riyad a en effet pris la décision de coter jusqu’à 5 % d’Aramco, la société publique qui exploite les immenses réserves de brut du royaume. Les actions seront cotées à la Bourse de Riyad et sur une place étrangère comme New York, Londres ou Hong Kong. L’introduction en Bourse préparée avec plusieurs banques occidentales valoriserait la société autour de 2000 ou 3000 Mds $. L’ouverture de 5 % du capital pourrait ainsi rapporter au pays autour de 100 Mds $. Reste que l’introduction d’Aramco est également un risque pour Riyad, tant l’opacité historique de la société, notamment sur la réalité des réserves de brut que la société déclare posséder, risque de ralentir le processus d’introduction. Les dirigeants sont toutefois prêts à prendre le risque de la transparence, seul moyen, selon eux, de sortir le pays du tout-pétrole. Car les fonds récoltés serviront à abonder un fonds souverain, destiné à financer la diversification du pays. L’Arabie saoudite semble être enfin convaincue de la justesse de la phrase de son ancien ministre de l’Energie : « Le passage de l’âge de pierre à l’âge de fer ne s’est pas fait par manque de pierre. » L’année dernière, le pays a effectivement posé les jalons d’une diversification de son économie, avec la présentation de son plan Vision 2030.
Aujourd’hui, le pays tire près de 90 % de ses revenus du pétrole.