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Sa législation accommodante attire depuis des années les multinationales américaines et européennes. Avec les conséquences lourdes que cela implique pour les revenus des pays voisins, qui luttent (avec modération) contre ce dumping fiscal à l’intérieur de l’Union européenne.
On les affuble d’acronymes un peu barbares ou de qualificatifs très imagés. Comme la « CV-BV », qui évoque la double domiciliation rendant invisible une entreprise aux yeux du de l’administration fiscale, ou le « sandwich hollandais » qui, associé au « double irlandais », est prisé des multinationales américaines. Ces pratiques, légitimées par une législation permissive, font la réputation discrète des Pays-Bas, devenus un refuge pour nombre de sociétés de toutes nationalités.
Dans sa dernière étude, l’organisation Tax Justice Network n’a pas hésité à classer le pays situé au cœur de l’Union européenne (UE) comme le quatrième paradis fiscal au monde, derrière les îles Vierges, les Bermudes et les îles Caïmans : un voisinage détonant ! En juillet dernier, alors que le gouvernement dit « frugal » de Mark Rutte contestait le plan de relance européen à la suite de la crise sanitaire, l’ONG a dénoncé un double discours par la voix de son directeur Alex Cobham : « Les données historiques de l’OCDE récemment publiées confirment que, loin d’être un chef de file de la responsabilité fiscale, les Pays-Bas sont l’un des plus grands catalyseurs de l’abus de l’impôt sur les sociétés. »
Si d’autres nations de l’UE se révèlent tout aussi accueillantes, tels l’Irlande ou le Luxembourg, l’éden néerlandais semble doux au plus grand nombre. Le manque à gagner fiscal pour ses cousins français, allemands ou italiens dépasse largement les frontières de l’Union. « Pour les centaines de milliards de dollars de profits réalisés par les multinationales américaines hors du territoire américain, les Pays-Bas sont le paradis fiscal numéro un », confirme le chercheur français de l’université de Berkeley Gabriel Zucman dans son livre La Richesse cachée des nations (Seuil, 2017).
Comment fonctionne cette machine infernale ? Pour une multinationale qui a installé une holding à Amsterdam, le schéma de base consiste à facturer des redevances de marque à ses filiales partout à l’étranger. Ces revenus remontent jusqu’à elle et ce sont autant de bénéfices qui ne sont pas taxés par l’Administration néerlandaise s’ils ne font que transiter. Tandis que tous les pays d’implantation des filiales voient leur échapper les recettes de l’impôt pour les activités qu’elles y réalisent.
Apple, Google, Nike ou Starbucks… autant de géants qui profitent de cette optimisation fiscale aux Pays-Bas.
Il y a un autre genre de holding bien accueillie aux Pays-Bas, celle dite de consolidation pour les entreprises qui fusionnent. PSA et Fiat Chrysler, dans leur processus de fusion en cours, ont déjà prévu d’y implanter le siège de la nouvelle entité, sous prétexte de trouver un terrain neutre entre Français et Italo-Américains.
Il y a vingt ans déjà, Airbus Group (alors EADS) avait choisi, au moment de sa création, la petite ville de Leyde pour son siège social. Autre outil dans la panoplie néerlandaise : les tax rulings ou rescrits fiscaux, un cadeau de bienvenue dont le Luxembourg s’est aussi fait une spécialité. Cette fois, il s’agit pour l’entreprise de négocier, avant son installation, son niveau d’imposition pour une durée déterminée, rarement moins de cinq ans.
Et l’accord ne peut pas être remis en cause.
Ce dumping tous azimuts – que l’Agence néerlandaise pour l’investissement étranger qualifie du subtil euphémisme de « régime d’intégration fiscale efficient » – agace les voisins européens, sans grande conséquence. L’an dernier, dans une étude éloquente, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) a évalué le montant de l’évitement fiscal des multinationales pour les finances de la France : 36 milliards d’euros pour l’année 2015, un montant trente fois supérieur à ce qu’il était au début des années 2000.
Les Pays-Bas en sont le principal responsable avec le Royaume-Uni. « Neuf des premiers pays d’enregistrement des profits manquants en France sont européens, explique l’économiste Vincent Vicard, auteur de l’étude. D’où l’importance de l’échelon européen dans les politiques de lutte. »
En mars 2019, le Parlement européen a lui-même dénoncé les Pays-Bas, ainsi que l’Irlande et le Luxembourg, et ce sous l’impulsion d’un député néerlandais Paul Tang, parfois vilipendé comme un traître à son pays. En septembre, c’est la Commission européenne qui annonçait vouloir s’attaquer aux « paradis fiscaux intérieurs ».
Quelques modestes changements ont bien été réalisés, sur des règles de taxation ou l’opacité des tax rulings… Une ouverture a minima qui n’a pas modifié les contours chatoyants des Pays-Bas, cette très accueillante contrée fiscale.
Ces entreprises françaises hébergées aux Pays-Bas
Peu d’entre eux s’en réclament, pourtant, la liste des groupes français qui ont installé aux Pays-Bas leur siège social, une holding ou encore des filiales importantes, notamment de financement, est longue.
Airbus, Accor, Capgemini, Danone, Decathlon, Faurecia, Louis-Dreyfus, Publicis, Renault-Nissan, Thales, pour ne citer que ceux-là, sont autant de fleurons à la forte activité internationale qui profitent depuis de nombreuses années de l’environnement accueillant des villes néerlandaises. Bientôt, Peugeot-Citroën les y rejoindra, suivant la fusion du constructeur tricolore avec Fiat Chrysler.
Comme les autres, les sociétés françaises viennent chercher la fiscalité stable et douce, particulièrement sur les revenus tirés de la propriété intellectuelle, par exemple générés par des brevets dont la holding ou la filiale des Pays-Bas détient les droits.
Le pays présente aussi d’autres avantages vus de Paris, dont, notamment, des facilités administratives incomparables et une position commerciale centrale en Europe via le port de Rotterdam et la plate-forme aéroportuaire d’Amsterdam-Schiphol.
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