Horlogerie
Sa casquette vissée sur la tête, son tablier gris et son humour ont fait de lui un pilier de Top Chef en seulement trois saisons. Paul Pairet rempile pour une quatrième affectation de juré alors qu'il inaugure en parallèle son premier restaurant en France après plus de vingt d'ans d'exil chinois. De Paris à Shanghai, notre 5 à 7 hebdomadaire ne nous a pas laissé sur notre faim...
Quatorze années que Top Chef revient inlassablement sur nos écrans et dans le fil de nos conversations, qu’elles soient écrites ou orales, qu’on ait ou non visionné l’épisode de la veille. On connaît tous les noms de Jean Imbert et de Norbert Tarayre, deux des candidats les plus populaires a avoir marqué l’émission, et ceux de Philippe Etchebest et de Christian Constant, chefs émérites qui ont pourtant tiré parti de la renommé de la série d’M6 pour faire croître leur notoriété auprès du grand public. A l’instar de Paul Pairet…
Top Chef : un tremplin… même pour les chefs étoilés
Qui parmi les gourmets profanes connaissait les contours de la cuisine de Cyril Lignac ou d’Hélène Darroze avant qu’ils ne marquent de leurs accents leurs saisons respectives de Top Chef ? Désormais, les restaurants de ces chefs — devenus des superstars —, sont de véritables pèlerinages pour les accros du programme, avides de goûter du bout des lèvres les recettes qu’ils regardaient jusque là à la télévision.
C’est peu ou prou la réflexion qui a conduit Paul Pairet à accepter sa première mission pour Top Chef, en 2020. Le chef perpignanais a alors en tête des projets de retour en France. Auprès d’un chef connu, au sein d’un grand magasin… Mais tout tombe à l’eau, sauf sa détermination à mettre en pause à son exil chinois. Triplement étoilé pour son restaurant expérientiel Ultraviolet depuis 2017, il vit à Shanghai depuis 2005 et y a ouvert deux autres restaurants à tendance bistrotière : Mr & Mrs Bund en 2009 et Polux en 2019.
En 2019, on propose d’abord à Paul Pairet de mener une épreuve de Top Chef. Et tandis que Covid et pandémie ne font pas encore partie du vocabulaire mondiale, l’émission propose au chef de rempiler, cette fois-ci en tant que juré permanent. « J’avais envie de faire plaisir à ma mère » s’amuse-t-il, avant de confesser que l’occasion était trop belle de s’offrir un regain de notoriété avant l’inauguration de cette nouvelle adresse française qui n’ouvrira que trois ans plus tard.
Paul Pairet nous a parlé de Nonos, de Top Chef 2023 et de la place de la femme en cuisine…
The Good Life. Bonjour Paul Pairet, quelle heure est-il à Shanghai ?
Paul Pairet. Bonjour The Good Life. Il est 17 heures ! Pour tout vous dire, je suis au comptoir d’une cantine en train de commander mon dîner… Je viens de rentrer à Shanghai après les derniers réglages de mon nouveau restaurant Nonos.
TGL. Cela faisait plus de deux ans qu’on vous attendait à l’hôtel de Crillon…
P.P. Je cherchais depuis plusieurs années à revenir à Paris. J’avais déjà raté deux opportunités intéressantes mais je restais persuadé que le bon projet situé au bon endroit se présenterait à moi. Le destin a en effet voulu que Vincent Billard (désormais Directeur Général de l’hôtel de Crillon, ndlr), qui est un ami que j’ai connu à Shanghai alors qu’il dirigeait le Bulgari, m’a approché au moment où l’hôtel cherchait à repositionner son second restaurant de façon un petit peu plus populaire. Fasciné depuis mes jeunes années de chef de cuisine par le Crillon — j’avais eu la chance d’y dîner à l’époque de Christian Constant dans la salle des Ambassadeurs, puis à la table de Jean-François Piège —, je n’ai pas longtemps hésité. Le timing était parfait.
TGL. Nonos est une brasserie. Etait-ce une envie de votre part de revenir à cette cuisine traditionnelle ?
P.P. On parle fatalement plus d’Ultraviolet que de mes autres restaurants. Pourtant, j’ai ouvert Mr & Mrs Bund avant l’étoilé, une table qui ressemble finalement beaucoup à ce que l’on fait à Paris. C’est une grande brasserie où les serveurs fusent avec un côté steak house. Polux, venu un peu plus tard, est lui-même un café dans la pure tradition de ce que l’on fait en France, presque à son paroxysme. Je suis donc bien coutumier de cette gastronomie traditionnelle.
L’hôtel de Crillon souhaitait proposer une table plus populaire à ses clients. L’idée d’en faire un restaurant franco-français en plein Paris me semblait intéressante car il n’y a finalement pas tant d’adresses qui poussent le curseur du genre jusqu’au bout. Le soufflé, le charriot de tranches… des choses qui ont tendance à disparaitre, pourtant magnifiques ! Et puis, j’aime bien faire des frites ! (rires) Avec ce retour en France, je devais rester lucide sur le fait que je ne pouvais pas gérer un second établissement gastronomique puisque ma vie est à Shanghai. Je n’avais pas non plus de velléités à ramener plus d’étoiles Michelin ; les trois macarons d’Ultraviolet ayant comblé mes aspirations gastronomiques.
TGL. Sont inscrits sur votre carte les termes hors d’œuvre, addendum. Votre restaurant s’appelle Nonos… Aviez-vous envie de raviver une flamme tricolore ?
P.P. Je crois que le fait de vivre à l’étranger aide à porter plus facilement valeurs de ses origines et à les chérir. On leur donne presque plus d’intérêt alors qu’on les banalise presque quand on vit dans son pays d’origine. Je ne dis pas qu’il n’y a pas beaucoup de brasseries dignes de ce nom à Paris. J’avais néanmoins envie de redonner au genre ses lettres de noblesse en faisant attention à chaque détail et en les élevant vers l’excellence.
Les recettes de certains plats ont pris des semaines voire des années avant d’être perfectionnées. Celle des soufflés au fromage, par exemple, qui a été élaborée sans farine, avec seuls du fromage et de la crème, est le fruit d’une étude d’une dizaine d’années qui a été conduite à Ultraviolet sans n’avoir jamais été proposée à sa carte. On opère beaucoup de recherches dans les cuisines d’Ultraviolet mais elles n’aboutissent pas toujours à sa table, au profit de mes autres restaurant. Peu importent les recherches, d’ailleurs, tant que le soufflé final a un vrai goût de fromage et une forme impeccable.
Faire plaisir tout en se faisant plaisir, telle est la définition que je pourrais donner de ce restaurant. – Paul Pairet
On retrouve aussi chez Nonos cette partie grill qui me tenait à cœur ! Cela donne au restaurant un côté un peu rétro. C’est un mélange des genre que l’on retrouvait dans les années 50 quand les snacks et les grills voisinaient dans les hôtels. Ils avaient cette carte un peu (trop) longue et fixe tout au long de l’année. C’était très commun avant l’avénement de la Nouvelle Cuisine. J’ai donc mis à la carte de Nonos tous les plats que j’aime et ils n’évolueront pas beaucoup, à moins que certains soient des flops et que je développe de nouvelles envies.
Juste à côté ouvrira en avril Comestibles, un comptoir dans lequel nous serviront quelques plats basiques (quelques sandwiches, un croque-monsieur, un burger, un club) et des mets à emporter. Que du bon, que du simple.
Parlons enfin de Top Chef 2023 ! Voilà quatre saisons que vous coachez et jugez de jeunes chefs. Que cela vous apporte-t-il ?
P.P. Déjà quatre saisons ! Top Chef est une vraie une parenthèse, sans dire qu’elle est enchantée (rires), qui me fait beaucoup de bien. Surtout avec la situation chinoise de gestion de la pandémie, les tournages me permettent de m’échapper et de me raccrocher à une autre réalité. Je n’envisageais néanmoins pas les choses comme cela quand j’ai accepté le projet. Pour commencer, c’était un vrai honneur qu’on vienne me chercher jusqu’à Shanghai. J’avais également depuis un certain temps en tête d’un projet à Paris, j’ai donc sauté sur l’occasion pour profiter de l’exposition folle qu’offre l’émission à ses candidats mais aussi à ses chefs. Cette raison commerciale m’a-t-elle servi d’excuse pour, en fait, accepter afin de faire plaisir à ma mère ? Oui. (rires)
J’ai fait Top Chef pour faire plaisir à ma mère ! – Paul Pairet
Top Chef m’enrichit aussi d’une façon différente d’aborder les conseils que je donne aux jeunes. Quand j’endosse ma tenue de chef, je défends ma cuisine alors que quand je mets celle de coach, je défends celle de mes candidats. C’est très différent. J’essaie alors de rentrer dans son univers, de le soutenir du mieux que je peux et, surtout, de ne pas l’orienter selon mes goûts mais selon mon expertise.
Top Chef a-t-il, selon vous, changé le paysage culinaire français ?
Paul Pairet. Je pense qu’une tendance s’est amorcée avec l’avènement de la bistronomie. Venue retravailler les codes de la gastronomie, avec moins de moyens et en imposant des menus plutôt que des cartes à choix— selon moi la meilleure façon d’éviter de s’imposer des brigades énormes —, elle a permis à une nouvelle génération de chefs d’ouvrir leurs affaires plus facilement.
Pour refaire l’histoire, au début des années 2000, la France sort d’une d’inertie dans laquelle étaient embourbés les restaurants depuis les années 90. Vers 2005, les choses commencent à changer. 2010, les Septime et autres Saturne apparaissent, montrent à voir des belles expressions de chefs : la bistronomie. Une sorte de nouvelle vague culinaire est née à ce moment, sur laquelle a surfé Top Chef (première diffusion en 2010, ndlr).
L’émission a donc appuyé le trait de l’époque et a permis à ces jeunes de s’exprimer et d’accéder à une visibilité accrue par la télévision. Ce coup d’accélérateur est néanmoins à double-tranchant. Si la majorité des ex-candidats ouvrent d’ailleurs rapidement leurs restaurants après l’émission, seule une poignée sort du lot.
Le casting de Top Chef 2023 n’est composé que de deux femmes. Hélène Darroze est la seule jurée féminine. Quelle est la place de la femme dans l’émission ?
P.P. Cette répartition reflète malheureusement également la réalité de notre métier. J’ai par exemple une brigade à 50 % féminine chez Ultraviolet car les services y sont moins sportifs qu’à Mr & Mrs Bund.
Je suis contre les quotas. Le respect de la femme, l’équité, c’est aussi lui donner la même place qu’à l’homme. Je refuse l’idée de faire entrer des femmes dans un concours ou une cérémonie de récompenses sous le seul prétexte de leur genre. Je cherche les meilleurs chefs, point à la ligne. Il se trouve qu’il y a tout simplement moins de femmes que d’hommes en cuisine : le pourcentage de femmes en école hôtelière en témoigne. J’aimerais encourager le changement d’abord à ce niveau car je ne sais pas comment faire pour que la télévision fasse mieux que la réalité…
F.L.G.
La saison 14 de Top Chef sera diffusée tous les mercredis à partir du 1er mars 2023 sur M6.
Nonos
A l’hôtel de Crillon
10 place de la Concorde, 75008