The Good Business
Natif de Perpignan, Paul Pairet est arrivé à Shanghai en 2005 pour prendre la direction de la cuisine du Jade on 36, le restaurant de l’hôtel Shangri-La de Pudong. Il est aujourd’hui, avec deux restaurants – Mr & Mrs Bund et Ultraviolet –, le chef le plus respecté de la ville. Il a trouvé à Shanghai une clientèle fidèle, curieuse, mais aussi exigeante et avertie. Loin des clichés du chef expat arrogant, c’est un homme qui se questionne sur son rôle, sur le sens et la place du restaurant. Un chef qui n’a pas hésité à aller au bout de ses idées.
« C’est le projet de ma vie. » C’est ainsi qu’il définit Ultraviolet (@uvbypp), ce restaurant qui n’en est pas vraiment un, constitué d’une unique table de 10 couverts. Ultraviolet, c’est son histoire concentrée en trois heures et 22 plats. Des souvenirs d’enfance, des plats ressuscités de son passé, des défis techniques, des émotions partagées et un travail colossal. Les 10 convives qui ont eu la chance de décrocher une place (à réserver trois mois à l’avance) ne savent pas où ils vont.
Ils ont rendez-vous au restaurant Mr & Mrs Bund où les attend un minivan à bord duquel ils visionnent les images d’un épisode de… « Colombo ». Voilà qui résume bien l’esprit d’Ultraviolet, des références universelles mêlées à des détails intimes et décalés, une succession d’ambiances subtiles et de clichés grandiloquents. Les invités savent seulement que ce dîner aura lieu dans une salle dont les murs composent un écran de projection à 360°, où les plats seront servis dans une ambiance visuelle, sonore et olfactive taillée sur mesure.
Il ne s’agit surtout pas d’un dîner spectacle ni d’une performance artistique, mais bien d’un repas gastronomique où tous les efforts sont concentrés pour remettre le plat au cœur de l’expérience. « C’est la table d’hôte du XIXe siècle version avant-gardiste. J’ai d’abord voulu me débarrasser de la contrainte du service à la carte et faire une cuisine à rebours. Car les plats ont un pic, parfois très éphémère, où ils sont à leur meilleur. Il s’agissait donc de maîtriser le temps et l’offre. Mais aussi de prendre le contrôle du contexte, de mettre en lumière ce qu’on mange pour donner du souvenir au plat. En forçant la concentration des convives, on les met en phase. Après, seulement, chacun projette sa sensibilité et sa culture. »
Psychologie du goût
C’est depuis sa cuisine ultraéquipée – « une cuisine sans excuses », comme il la qualifie – qu’on réalise à quel point tout est orchestré à la seconde près. La brigade prépare et dresse les assiettes au signal du chef de cuisine, Greg Robinson, qui surveille l’écran de contrôle filmant la salle. Il y règne une énergie et une concentration rares. 25 personnes au service de 10. Un ratio qui dépasse celui des restaurants étoilés.
« Beaucoup d’éléments participent à la construction du goût. Avant le goût physiologique, il y a le goût psychologique – ce que j’appelle en anglais le psycho taste. C’est ce qui m’intéresse : la confrontation entre l’attente plus ou moins construite et le goût physiologique. Oui, c’est vrai, je décortique un peu tout, même si, en fin de compte, et c’est tant mieux, le client s’en fiche ! »
Ce qui compte effectivement, c’est le souvenir de cette huître scellée dans sa coquille par une fine couche de sorbet au citron, servie sur fond visuel de paysage marin et d’effluves iodées, du voyage éclair entre Paris et Tokyo grâce à un bluffant sashimi steak-frites à la moutarde glacée, ou encore de la richesse gustative d’une brioche noircie à la truffe, présentée au centre d’une forêt et suivie d’une raviole œuf-gruyère-truffe dégustée au cœur d’un Tuber melanosporum [truffe noire, NDLR] géant.
Un tel lieu pourrait-il exister ailleurs qu’à Shanghai ? Paul Pairet le croit, mais il a trouvé en Chine les partenaires qui l’épaulent dans tous ses projets et un contexte économique favorable. « La scène gastronomique est en train de bouger, mais elle concerne plutôt les restaurants occidentaux ou exotiques. De jeunes chefs viennent ici, de grands noms ouvrent des licences, un Guide Michelin Shanghai vient d’être publié. En revanche, le restaurant chinois, lui, ne s’est pas encore modernisé. Il y a bien deux ou trois chefs qui tentent une cuisine d’auteur avec, par exemple, un passage au service à l’assiette. Mais la cuisine chinoise est fondamentalement une cuisine de partage. Elle a aussi ses secrets que les chefs rechignent à divulguer. Le niveau moyen est toutefois excellent, et il y a de plus en plus de bons bars et de bons restaurants du quotidien. »
Paul Pairet est à Shanghai pour y rester. Ses deux restaurants et sa récente implication dans Unico (autre célèbre table du Bund) lui permettent de s’exprimer de diverses façons et de continuer à motiver une équipe qui le suit depuis ses débuts. Mais aussi de persister dans cette idée que, avec de l’exigence, on peut préparer la meilleure cuisine possible quel que soit le lieu, en créant soi-même le cadre qui la rend légitime. L’appartenance d’un plat à son contexte, cela existe, mais pas toujours. « On dit toujours qu’un poisson est meilleur au bord de la mer. Mais c’est faux, il y a des chances qu’il soit meilleur chez Ducasse ! »
A partir de 4 000 ¥ (545 €). Réservation sur www.uvbypp.cc